Hausse des rendements obligataires dans le monde : quelles conséquences pour la France ?

La hausse mondiale des taux longs reflète l’inquiétude croissante de la dérive des finances publiques, laquelle pourrait accroître la pression budgétaire sur la France.

Jocelyn Jovène 23.06.2025
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Illustration par collage de triangles pointant vers le haut et vers le bas, avec des photographies de pièces de monnaie et d'un bâtiment urbain intégrées dans le dessin, ainsi que divers éléments graphiques.

Points importants

  • La hausse des rendements obligataires dans le monde reflète un moindre appétit des investisseurs pour la dette des Etats.
  • L’augmentation des dettes publiques conduit ces derniers à émettre plus de titres.
  • La conséquence est une augmentation des primes de terme et une pentification de la courbe des taux, qui accroît le coût de financement des Etats.

Depuis le début de l’année, les rendements à 10 et 30 ans des obligations assimilables du Trésor, émises par la France, ont augmenté de 7 points de base à 3,26% et de 27 points de base à 3,99%, respectivement, dans un contexte de hausses des rendements obligataires à travers le monde qui reflète l’inquiétude croissante des investisseurs face à la dérive des finances publiques de la plupart des pays développés.

Le gouvernement et les parlementaires français qui sont confrontés à la réduction du déficit public devraient s’intéresser à l’évolution des rendements obligataires de long terme aux Etats-Unis et au Japon, lesquels progressent inexorablement depuis le début de l’année. Pourquoi ?

Une hausse des rendements signifie que les investisseurs se montrent de plus en plus hésitants à acheter certaines maturités de dette, à un moment où les Etats dont les déficits publics ne se réduisent pas doivent de plus en plus faire appel au marché pour se financer.

Une crise de confiance globale

Depuis le début de l’année au 20 juin, le rendement à 30 ans des obligations japonaises a bondi de 64 points de base, la dette allemande a vu son rendement augmenter de 38 points de base. Les bons du Trésor ont augmenté de 11 points de base et ceux des OAT ont progressé de 27 points de base.

De l’avis de nombreux gérants et stratégistes, cette hausse des rendements obligataires s’explique par une défiance de plus en plus claire des investisseurs à l’égard de la capacité des Etats les plus endettés de réduire leurs déficits publics.

Si rien ne change, on pourrait assister à une hausse de la volatilité sur les marchés de taux et un renchérissement significatif du coût de la dette publique dans les budgets, avec pour conséquences un ralentissement économique et la baisse de la valeur des obligations détenues par les investisseurs.

La France contrainte d’emprunter de plus en plus cher

En France, le service de la dette devrait représenter une dépense de 54,9 milliards d’euros dans le budget 2025, contre 50,9 milliards d’euros en 2024, pour un déficit public prévu à 139 milliards d’euros, soit 5,4% du PIB.

« Tous les jours l’Etat français est contraint de se financer à des niveaux bien plus chers que par le passé », indique Matthieu de Clermont, directeur des investissements assurance et stratégies réglementaires chez Allianz Global Investors. « Il y un effet boule de neige qui risque de continuer, car dans les mois à venir, la charge d’intérêt de la dette française va devenir le premier poste du budget de l’Etat français. Il va d’ailleurs se passer la même chose aux Etats-Unis ».

Les efforts insuffisants pour réduire les déficits publics attirent de fait de plus en plus l’attention des investisseurs internationaux.

« Le marché prend conscience que les gouvernements ont le plus grand mal à réduire les déficits publics en adoptant des réformes drastiques – ce qu’ont fait des pays de la zone euro comme la Grèce, le Portugal ou l’Irlande sous la pression des marchés à partir des années 2010-2012 – et s’interrogent aussi sur la capacité des gouvernements à relever la croissance potentielle », souligne Marie-Anne Allier, gérante au sein de l’équipe taux chez Carmignac Gestion.

Au-delà de la France, la hausse des taux longs est un phénomène mondial

L’attention portée aux émissions de dettes souveraines a pris de l’ampleur ces derniers mois, avec des épisodes de tensions sur les marchés obligataires au Japon ou aux Etats-Unis.

En mai, une émission de dettes souveraines à 20 ans par le Japon a provoqué une hausse significative des rendements obligataires, en raison d’inquiétudes sur la situation économique du pays et d’un moindre appétit des investisseurs pour la dette japonaise.

Le 21 mai, le rendement à 30 ans des bons du Trésor a franchi une nouvelle fois la barre symbolique des 5%, selon Factset, un événement significatif pour les marchés financiers selon des gérants. La hausse du rendement d’une obligation se traduit par une diminution de son prix.

La veille, l’administration Trump présentait son un projet de budget, baptisé « One Big Beautiful Bill Act », qui devrait accroître le déficit public de 2.300 milliards de dollars au cours des dix prochaines années, selon le Congressional Budget Office. Le texte est actuellement en discussion au Sénat.

« Deux éléments ont contribué à une prise de conscience soudaine de la situation délicate des finances publiques aux Etats-Unis », explique Anne Beaudu, gérante obligations internationales chez Amundi. « Le premier élément concerne le budget fédéral en cours de discussion, qui va accroître le déficit public et contribuer à une augmentation plus rapide que prévu de la dette publique. Le deuxième facteur, c’est la politique tarifaire de Trump qui a provoqué un mouvement de défiance vis-à-vis des actifs en dollars, et se traduit par une réallocation des portefeuilles vers d’autres devises. »

Un moindre appétit pour les dettes des Etats

Derrière ces hausses de taux, plusieurs facteurs sont à l’œuvre : il y a un effet d’offre, avec l’augmentation des émissions de dette souveraine par les Etats pour financer les déficits publics à un moment où certains acheteurs « naturels » de dettes publiques, notamment les banques centrales, se retirent ou sont beaucoup moins actives.

« La demande d’obligations souveraines est influencée par celle, relativement prévisible, des banques centrales et notamment les politiques d’assouplissement quantitatif (« QE ») » explique Adam KURPIEL, responsable de la stratégie taux chez Société Générale CIB. « A partir de fin 2008, l’intervention des banques centrales a créé un énorme choc de demande contribuant à une diminution de la prime de terme. Mais depuis 2022, l’intervention des banques centrales est en train de se renverser. »

Au-delà des banques centrales, la demande de dette souveraine vient également d’investisseurs institutionnels au passif long. Ces dernières années, ils ont été de gros acheteurs de dettes à 30 ans voire davantage, lorsque les rendements obligataires sur d’autres souches étaient proches de zéro voire négatif, car c’était un moyen pour ces investisseurs de trouver du rendement.

« A l’époque, face à ces taux très bas, certains investisseurs ont manifesté un appétit pour ces obligations émises à 30 ans », explique Marie-Anne Allier.

« Ceci leur offrait un financement avec une duration très longue, ce qui leur permettait de couvrir leur besoin de couverture de passif. Ils pouvaient ainsi utiliser le cash non employé pour aller chercher du rendement sur d’autres classes d’actifs, comme les actions ou le crédit et ainsi tenir leur objectif de duration moyenne. Certains Etats ont profité de la demande pour ces durations très longues pour se financer à bas coût, même si les projets avec de telles durations sont assez rares, sauf peut-être certains projets d’infrastructures. »

Aujourd’hui, la demande de ces investisseurs est plus volatile, reflet d’une plus grande aversion au risque.

Hausse des primes de terme et du coût de la dette

A ce facteur s’ajoute le rôle accru de la prime de terme, qui tend à augmenter, entraînant une pentification de la courbe des taux et renchérissant le coût du crédit.

Une pentification de la courbe traduit une variation où l’écart entre les taux d’intérêt à court terme et les taux d’intérêt à long terme augmente.

La prime de terme correspond à la rémunération exigée par les investisseurs pour supporter le risque de sensibilité au taux, appelé « duration ». Une plus grande duration signifie qu’une même variation des taux d’intérêt diminuera plus fortement la valeur d’une obligation. Plus la prime de terme elle est élevée, plus ce risque augmente et renchérit le rendement auquel l’obligation trouvera preneur sur le marché.

 « Tout taux d’intérêt ou rendement d’une obligation comporte deux parties », explique Adam Kurpiel de SGCIB : « une partie liée à l’anticipation des taux courts, donc à la politique monétaire des banques centrales ; l’autre partie est la prime de terme, qui est une prime de risque de la duration de l’obligation. Cette prime de risque va varier en fonction du risque perçu par rapport à la situation macro-économique d’un pays, l’inflation, la croissance économique, la politique fiscale et monétaire, mais également par des éléments de préférence que reflète l’équilibre entre offre et demande pour une émission obligataire. »

« Si l’on regarde la prime de terme sur le 10 ans américain, elle est aujourd’hui de 70-75 points de base, 100 points de base sous sa moyenne avant Lehman. Il y a donc de la marge pour que la prime de terme converge vers cette moyenne », ajoute ce responsable.

Qui dit hausse de la prime de terme, dit hausse du coût de financement des Etats.

« Le marché demande plus de prime de risque tant que les Etats-Unis ne mettent pas en place une stratégie pour résorber des déficits abyssaux », explique Matthieu de Clermont d’Allianz GI. « On est face à un pays qui est en train de plonger rapidement dans le cercle vicieux de la dette, où l’augmentation de la charge d’intérêt accroît les déficits et la dette publique. »

Ceci a déjà eu des conséquences pour les portefeuilles des investisseurs : « on a vu la dette américaine à 30 ans sous-performer la dette allemande avec un écart de taux qui atteint 195 points de base soit 40 à 50 points de base de plus que fin mars 2025, ce qui est très significatif », observe Matthieu de Clermont.

Comment les gérants s’adaptent à la pentification de la courbe

Dans cet environnement incertain, certains gérants indiquent privilégier les durations courtes et éviter la partie de longue de la courbe.

« Nous nous sommes positionnés depuis quelques mois déjà avec une conviction à la pentification structurelle de la courbe des taux. Il peut y avoir quelques mouvements intermédiaires d’aplatissement mais pas encore de signaux forts de retournement de la tendance de fond. Ce positionnement semble assez consensuel dans le marché », indique Matthieu de Clermont d’Allianz GI.

Certains gérants, comme Carmignac Gestion, ont augmenté l’exposition aux actifs en euros par rapport au dollar, et regardent également du côté du crédit européen pour trouver du rendement avec un risque de défaut très faible.

« Nous avons un double regard sur la courbe des taux : sur les parties courtes, nous ne croyons pas à une hausse rapide des taux de la BCE dès 2026 (comme anticipé par le marché) et nous privilégions donc les maturités 4/5 ans. En revanche, nous sommes négatifs sur les parties plus longues (10 ans et plus), car nous croyons à un rebond cyclique de l’Europe et voyons plutôt des tensions haussières sur les taux longs », explique Marie-Anne Allier de Carmignac Gestion. « Nous préférons investir sur le crédit corporate euro plutôt que sur les obligations souveraines, en raison du portage plus élevé et du risque selon nous minime sur les maturités courtes que nous privilégions. »

Vers un rappel à l’ordre des marchés obligataires ?

A plus brève échéance, la situation tendue des finances publiques pourrait se traduire par un regain de volatilité sur les marchés de taux et avoir des répercussions négatives sur l’ensemble des marchés financiers.

« Nous pensons qu’il y aura d’autres épisodes de volatilité sur les marchés de taux, qui pourront être provoqués par des adjudications qui se passent moins bien que d’autres », note Matthieu de Clermont chez AllianzGI. « Tout ceci se voit dans l’évolution des primes de terme, qui sont un reflet de la volatilité des taux. Comme cette volatilité tend à augmenter de manière tendancielle, les investisseurs demandent une rémunération supplémentaire contre le risque de volatilité. »

On pourrait très bien voir d’autres épisodes de tensions épisodiques sur les marchés de taux.

« Ce qui tend à inquiéter les investisseurs, ce sont les mouvements brusques et rapides qui s’accompagnent de changements de corrélation entre actifs financiers », note Anne Beaudu chez Amundi. « Après la forte volatilité du mois d’avril, Trump a entamé une désescalade dans sa guerre commerciale et les marchés se sont stabilisés, mais nous pensons que sur le long terme, la prime de terme va continuer d’augmenter de façon plus progressive. »

Un fait semble certain : en l’absence de plus grande discipline budgétaire de la part des Etats, les marchés obligataires pourraient se rappeler à leur bon souvenir.

« On a le sentiment que la seule force de rappel, ce sont les marchés obligataires. Il est très possible qu’ils jouent un rôle de gendarme accru dans les prochains mois », avertit François Rimeu, stratégiste marché chez Crédit Mutuel Asset Management.


L'auteur ou les auteurs ne possèdent pas de parts dans les titres mentionnés dans cet article. En savoir plus sur les politiques éditoriales de Morningstar.

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A propos de l'auteur

Jocelyn Jovène

Jocelyn Jovène  est analyste financier senior et rédacteur en chef de Morningstar France.