Redéfinir le risque de crédit

Le marché des CDS pourrait être une alternative viable aux agences de notation de crédit.

William Mast 26.09.2011
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Depuis plus d’un siècle, les trois grandes agences de notation Moody’s, Standard & Poor’s et Fitch sont les arbitres incontestés de la solvabilité des entreprises. Les références à la notation sont intégrées à des centaines de directives, lois et contrats privés qui concernent un large éventail de questions financières.

Toutefois, la crise financière a mis à nu une faiblesse de ces modèles de notation : ces notations sont dépassées car elles s’appuient sur des données historiques observées à un moment précis. Les agences ne sont donc pas en position favorable pour réagir rapidement à l’évolution de la santé financière d’un émetteur. Ainsi par exemple, des éléments attestant d’une fraude comptable dans les comptes d’une société pourraient leur échapper. De surcroît, les agences ont prouvé qu’elles restaient mal équipées pour évaluer les risques de certains produits structurés et complexes.

L’exploration d’autres moyens pour évaluer le crédit des sociétés cotées en bourse est dans le fonds de l’air, tant pour les opérateurs de marché que chez les législateurs. Des initiatives indépendantes de recherche sur le crédit, dont certaines hébergées par les trois grandes agences de notation, se sont déjà affranchies du modèle où l’émetteur paie les évaluations des agences, et intègrent des facteurs de marché en temps réel dans leurs modèles d’évaluation. En fait, des recherches récentes ont mis en valeur l’intérêt des CDS (Credit Default Swap) comme indicateurs fluides, et liés aux mouvements du marché, pour évaluer la solvabilité d’un émetteur.

Indices boursiers et notations

L’illustration ci-contre montre le décalage entre les agences de notation et la perception du risque par le marché ; elle représente les écarts de rendement (primes de risque) d’obligations individuelles (en utilisant l’indice Morningstar des obligations d’entreprises de début 2010) par rapport à une notation composite de Moody’s, S&P et Fitch. Si nous partons de l’hypothèse que toute notation est une mesure uniforme indépendamment du secteur d’activité ou de l’émetteur, nous pouvons logiquement nous attendre à des écarts de rendement très réduits pour une notation quelle qu’elle soit. Lorsque ce n’est pas le cas, nous pouvons présumer que la perception du risque de crédit par le marché est, dans une certaine mesure, en contradiction avec la notation.

Si nous arrivons à la conclusion que les agences de notation ne sont pas la seule solution viable, nous devons aussi envisager des options autres que l’offre actuelle d’indices du marché obligataire. Les principaux indices obligataires, y compris ceux de Morningstar, ont toujours été définis par les agences de notation. Les méthodologies des nouveaux indices ont toujours évolué avec les marchés. Par exemple, le volume moyen d’émission augmentant au fil du temps, les fournisseurs d’indices ont relevé l’encours requis pour figurer dans les indices. Et lorsque des secteurs plus modestes arrivaient à maturité et s’avéraient disposer de liquidités suffisantes, ils étaient ajoutés aux indices agrégés. Dans la mesure où des solutions autres que les agences de notation se profilent, ces nouvelles options devraient contribuer à la définition de nouveaux indices.

CDS : une mesure du marché pertinente ?

L’une des principales critiques à l’encontre des agences de notation tient à la nature de leurs évaluations, fondées sur des données passées rendant compte d’une situation ponctuelle. Un modèle fondé sur des informations en temps réel serait plus pertinent pour déterminer la solvabilité d’un émetteur.

Le cours d’un titre reflète la performance attendue de l’entité, le potentiel de la performance à se situer au-delà ou en deçà des attentes, les perspectives du secteur, les performances géographiques, le potentiel de surprises et la liquidité du titre. L’activité du marché, tels que les volumes d’échanges, les tendances historiques, les corrélations et la volatilité, complète le tableau.

Un contrat de swap sur risque de défaut (CDS, credit default swap) est conçu pour protéger un acheteur d’une détérioration du crédit, voire d’une défaillance. L’acheteur verse une prime au vendeur et bénéficie en retour d’une protection du crédit. En cas d’incident de crédit, l’acheteur est dédommagé des pertes qu’il a subies. Ces contrats permettent de négocier aisément le risque de crédit, et le prix des CDS est un indicateur relativement fiable du risque de crédit car leur structure dissocie la composante risque de crédit des autres risques intégrés, tels que celui lié au taux d’intérêt et celui lié à la devise. Dominé par une poignée d’organismes financiers de premier plan, le marché des CDS peut enregistrer des écarts de rendement et des retournements techniques ne reflétant pas toujours le sentiment de marché réel.

En dépit de certaines pressions techniques et, à l’occasion, d’un manque de liquidités, ce marché fournit la mesure la plus indépendante des perspectives d’une entité donnée, telles que perçues par le marché.

Cela soulève une question : correctement maîtrisés et interprétés, les signaux envoyés par le marché des CDS peuvent-ils améliorer la capacité des investisseurs à anticiper l’évolution de la solvabilité d’un émetteur ? Diverses études suggèrent que la réponse à cette question est oui.

À la fin des années 1970, deux études attestaient que les changements de cours des obligations et des actions se produisaient bien avant l’annonce des nouvelles notations. En fait, elles montraient que la date de l’annonce n’avait que peu d’impact, voire aucun, sur les cours.

Une étude de 2004 a établi que près d’un quart de certaines catégories d’obligations très bien notées ont une note en décalage avec leur cours. Une forte proportion des obligations dont le cours suggère qu’elles sont mal évaluées voient leur note changer dans les six mois, ce qui confirme l’hypothèse que l’évolution de la notation a un temps de retard sur les cours.

Une autre étude de 2004 a montré que le marché des CDS orientait le marché des obligations en déterminant le prix du risque de crédit. Elle faisait valoir que la formation des cours sur le marché des CDS se produisait parce que des facteurs structurels en faisaient l’espace le plus pratique pour la négociation du risque de crédit.

Selon une troisième étude de 2004, le marché des CDS anticipait les analyses des agences de notation concernant les mises sous surveillance, les dégradations et les perspectives négatives.

En 2008, Fitch Solutions a utilisé la valorisation des CDS pour élaborer des notations dérivées des informations de marché et a conclu qu’il était clairement possible de prévoir les notations futures en examinant les primes des CDS.

Une recherche de 2009 a montré que l’évolution de la prime d’un CDS souverain d’un mois sur l’autre était souvent une augmentation avant une crise sur le marché des actions. En analysant les titres déprimés, les chercheurs ont également constaté que même si les CDS et les instruments du marché au comptant n’étaient pas toujours cohérents avec les fondamentaux sous-jacents, ils donnaient une représentation indépendante des perspectives d’une entreprise. L’étude indiquait que cette perception du marché reflétée dans les cours ne devait pas être ignorée, en particulier quand un instrument se négociait à des niveaux extrêmement faibles.

Elever le standard

Bien sûr, le marché des CDS dans son état actuel ne peut pas apporter toutes les réponses. Des inquiétudes quant au manque de transparence et de réglementation perçu sur ce marché se sont exprimées pendant la crise financière. En particulier, des manipulateurs de marché auraient amplifié les craintes liées au crédit en achetant des contrats de swap sur défaut de crédit et en prenant simultanément une position courte sur les actions concernées en vue de dégager un profit. Toutefois, comme le pointait un article du CFA Institute, cela n’aurait pu se produire que si les primes des CDS étaient un indicateur majeur du cours des actions. L’article concluait que les données révélaient autre chose. Une comparaison du cours de l’action de sociétés financières avec leur prime CDS indiquait que les deux mesures évoluaient ensemble, ce qui rendait toute manipulation du marché plus difficile.

Bien que ces craintes de manipulation se soient révélées infondées, elles montrent qu’il existe une marge d’amélioration des mesures en faveur de l’efficience, de la transparence et de la normalisation du marché des CDS. Ces améliorations feraient aussi de ce marché un meilleur instrument d’évaluation de la solvabilité d’un émetteur. Aucun modèle de notation n’est parfait mais maîtrisés et interprétés de manière appropriée, les signaux fournis par le marché des CDS peuvent améliorer la capacité d’un investisseur à anticiper les mouvements des émetteurs.

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Contrats de swap sur défaut : quelques repères

Imaginé à la fin des années 1990, le contrat de swap sur risque de défaut fut initialement conçu pour réduire le risque que les prêts des banques commerciales faisaient courir aux institutions financières. Il protège un acheteur d’une détérioration ou d’une défaillance du crédit. L’acheteur verse une prime au vendeur et bénéficie en retour d’une protection du crédit.

La croissance du marché des CDS depuis le début des années 2000 a été exponentielle, ne ralentissant qu’après la crise financière. À son niveau maximum de 65 000 milliards de dollars en 2007, le marché des CDS captait 20 000 milliards de dollars de plus que le marché estimé des obligations et des produits structurés.

Les contrats de swap sur défaut ne se négocient pas sur une place boursière. Si, au début, ce manque de transparence préoccupait les autorités de réglementation, c’est la crise du crédit et le risque systématique qui ont amené à corriger la situation. En 2009, l’industrie mondiale a accepté des normes édictées par l’Association internationale des swaps et dérivés (ISDA, International Swaps and Derivatives Association) qui instituait la centralisation des opérations de compensation, réduisant ainsi le risque de contrepartie, ainsi que des normes internationales relatives aux modalités des contrats.

ENCADRE 1

Les trois grandes agences : un bref historique

Aujourd’hui, Moody’s, Standard & Poor’s et Fitch représentent une force colossale sur les marchés des capitaux. Tout commença en 1909 quand John Moody attribua la première note, une lettre, à des obligations de chemin de fer pour permettre aux investisseurs d’évaluer facilement la solvabilité. Poor’s Publishing, le prédécesseur de S&P, commença à noter les obligations en 1916, suivi par Fitch en 1924. Ces trois agences facturaient leurs analyses aux investisseurs. Les autorités de réglementation commencèrent à recourir aux agences de notation dans les années 1930 pour évaluer la santé des bilans des banques, ce qui augmenta la visibilité et la profitabilité des agences.

La stabilité économique marquant les années postérieures à la Seconde guerre mondiale affaiblit le rôle des agences jusqu’aux années 1970. En 1975, la SEC fit de certaines firmes des organismes de notation statistique reconnus au plan national américain (NRSRO, Nationally Recognized Statistical Rating Organization), ce qui impliquait indirectement la nécessité, pour les émetteurs d’obligations, d’obtenir une évaluation. A la même époque, le modèle économique changea et les notations des agences ne furent plus payées par les investisseurs mais par les émetteurs de titres. Depuis, les autorités de réglementation se sont de plus en plus appuyées sur les agences pour contrôler le marché de la dette.

Ce modèle est fragilisé. En 2006, les agences ont eu une petite idée des difficultés qui pouvaient les attendre. Suite à des manœuvres douteuses d’entreprise largement relayées par les médias (les affaires Enron et Worldcom), le Congrès américain a voté le Credit Rating Agency Reform Act qui autorisait la SEC à exiger des agences de notation ayant le statut de NRSRO qu’elles s’enregistrent et s’acquittent de certaines obligations. Ces dernières prévoyaient essentiellement la publication de rapports et la divulgation d’informations à intervalles réguliers mais ne donnaient aucun pouvoir à la SEC pour réglementer le processus d’évaluation du crédit.

L’opinion selon laquelle les agences et leurs modèles défaillants contribuèrent à la crise financière mondiale de 2008 est largement répandue. Les discussions sur un renforcement de la réglementation, dans le sillage de la crise, ont entre autres porté sur l’élimination des conflits d’intérêts associés au modèle où l’émetteur paie les évaluations des agences. L’objectif est d’améliorer la qualité et la régularité des notations ainsi que leur transparence, et de remplacer l’autorégulation par une supervision plus rigoureuse par les autorités.

Cet article a été initialement publié dans le magazine MorningstarProfessional de juin 2011.

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William Mast