Subprimes à la chinoise

En Chine, le montant du crédit est égal à 190% du PIB et les opérateurs avertissent sur la possibilité d’une nouvelle crise immobilière et financière comme celle de 2007 aux États-Unis.

Valerio Baselli 19.02.2013
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La Chine est désormais la deuxième économie la plus importante dans le monde. Pour cette raison, la viabilité de son modèle économique a acquis une importance croissante. Viabilité sur laquelle, malheureusement, continue à planer le doute. Selon l'étude Feeding the Dragon: Why China’s Credit System Looks Vulnerable, publié par la société américaine de gestion OGM, en fait, le danger d'une bulle du crédit et de l'immobilier en Chine serait réel.

Une montagne de dettes

Selon le rapport, le montant de la dette dans l'économie chinoise continue à croître de façon spectaculaire vers des niveaux record, avec le risque de provoquer des dommages évidents. Les chiffres sont impressionnants: la valeur totale des dettes contractées par les 3.895 sociétés chinoises non financières suivies par l’enquête a maintenant atteint la somme de 1700 milliards de dollars, par rapport à environ 600 milliards d'euros fin 2007. En d’autres termes, l'endettement global des entreprises a essentiellement triplé en l'espace de cinq ans.

Parmi les facteurs qui favorisent la poussée d'une bulle du crédit, il y a les effets des politiques expansionnistes du gouvernement de Pékin. En 2012, en effet, les banques chinoises ont accordé de nouveaux prêts à 1.300 milliards de dollars, soit une augmentation, selon les chiffres de l'Institut central chinois, de 10% par rapport à l'année précédente. Le résultat, comme on peut l'imaginer, a été l'importance croissante du crédit dans le financement des entreprises et des ménages. Selon l'agence de notation Fitch, à la fin de 2008, le montant total du crédit dans l’ensemble de l’économie valait 124% du PIB. Aujourd'hui, cependant, le ratio est passé à une altitude de 190%.

En outre, selon les analystes OGM, l'une des principales raisons de l'inquiétude croissante est la présence importante d'une pluralité de formes de crédit sous peu de contrôle: prêts à des sociétés privées, trusts, micro-crédit, activités hors budget et plus encore. En bref, une masse de crédits qui ne cesse de croître. Il y a dix ans, selon l'étude, les banques étaient à l’origine de 92% des prêts. L'an dernier, leur participation est tombée à 52% alors qu’au cours du dernier trimestre de l'année 2012 le crédit non bancaire a atteint 60% du total des nouveaux prêts.

Vers une crise des subprimes à la chinoise?

Et c’est là que, comme cela arrive souvent, entre en jeu le secteur du logement. Une préoccupation majeure, en effet, vient de la combinaison de la dette et de la fortune du secteur de l'immobilier, dont les actifs servent souvent de garanties pour les prêts. Ce sont principalement ces garanties qui permettent d’approvisionner le marché de l'emprunt par les collectivités locales avec tous les risques encourus. En bref, si le marché du logement dévisse, les gouvernements locaux devront faire face à une crise de liquidité potentielle.

Mais cela ne s'arrête pas là. Comme toujours, les banques jouent un rôle essentiel, à travers la construction et la vente de produits financiers structurés, notamment les obligations émises par le secteur privé, puis emballées dans des produits vendus à une clientèle « retail ». Dans la pratique, comme l'ont souligné les analystes OGM, ceux-ci ne sont rien que la version chinoise des infâmes subprime mortgage-backed securities, les actifs toxiques de l'immobilier américain qui ont conduit à l'effondrement de Lehman Brothers et qui ont déclenché la crise financière en 2007.

"Un grand nombre de preuves empiriques indiquent qu'il est plus probable que la croissance soudaine du crédit conduise à une crise financière si elle se produit en même temps qu’une bulle dans le secteur immobilier", a déclaré Luigi Antonaci, responsable des actions émergentes chez Eurizon Capital SA. "Bien qu'il soit difficile de soutenir l'idée d'une bulle immobilière chinoise à travers l'utilisation d'indicateurs quantitatifs, il ne fait aucun doute que certaines données alimentent les craintes. Les chiffres officiels montrent que la valeur de la propriété des constructions non encore terminées représente 20% du PIB chinois". 

"Cependant", dit le gérant, "l'exposition des banques au secteur immobilier est nettement plus élevée que celle qui ressort des données officielles (selon le gouvernement chinois, ce serait un peu plus de 20% du total des prêts) car le total doit aussi prendre en compte des prêts accordés par les banques aux LGFV (Local Government Funding Vehicles, des structures construites ad hoc par les gouvernements locaux pour financer leurs investissements dans les infrastructures). Depuis les derniers mois de 2011, la fragilité financière du système a fait surface avec la crise de certaines entreprises de construction dans les grandes villes de la Chine, comme l’illustre l'exemple emblématique de la ville fantôme de Ordon, en Mongolie intérieure, où le prix de l'immobilier est s'est effondré, selon certaines statistiques, de 85% à l'automne 2011".

Besoin d'un nouveau modèle

L'économie chinoise connaît une période de transition vers un niveau de «nouvelle normalité» qui sera caractérisée par des taux de croissance plus faibles et des taux d'inflation plus élevés, dit Antonaci. La soutenabilité de ce modèle à moyen-long terme, cependant, doit passer par l'amélioration progressive et constante de la qualité de la croissance. "Il est donc souhaitable que les autorités de Pékin se concentrent sur la mise en œuvre de réformes structurelles qui vont dans ce sens. Le modèle actuel de croissance économique, tirée par l'investissement et les exportations et alimenté par une soudaine croissance du crédit pourrait ne pas être durable".

"Les autorités pourraient adopter une attitude de grande prudence dans la conduite de la politique monétaire afin d'éviter de mauvaises surprises sur le côté de l'inflation. En particulier, il serait souhaitable que la Banque centrale chinoise libéralise les taux d'intérêt. Ceci permettrait d’étendre le crédit aux entreprises les plus efficaces, non seulement aux SOE (State-Owned Enterprises, entreprises publiques), dont l'inefficacité productive est peut-être la première raison de la non-durabilité de la croissance actuelle du crédit".

Optimisme modéré

Selon Antonaci, les dernières données macro-économiques confirment une tendance à la stabilisation qui éloigne, au moins à court terme, le risque de «atterrissage brutal» pour l'économie chinoise. En outre, l'engagement démontré par le gouvernement chinois pourla mise en œuvre des réformes structurelles alimente un optimisme prudent chez les investisseurs. "Si l'économie mondiale confirme un processus de normalisation par rapport à la volatilité économique et financière de ces dernières années, permettant une réduction globale de l'aversion au risque, le marché boursier chinois serait parmi ceux qui, plus que d'autres, pourraient en bénéficier".   

De toute évidence, conclut le gérant, les défis à long terme doivent être constamment surveillés, car tout pas en arrière dans leur mise en œuvre pourrait entraîner des corrections, potentiellement sévères, pour les indices boursiers du pays.

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A propos de l'auteur

Valerio Baselli

Valerio Baselli  est éditorialiste sénior chez Morningstar.