Pictet: le retour à la moyenne, une question de timing

Le nouveau record historique du S&P500 aux Etats-Unis ravive le débat sur la (sur)évaluation des marchés actions.

Yves Bonzon 12.06.2014
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Cet article fait partie de la série "Perspective", qui regroupe des contributions externes. Le texte suivant a été rédigé par Yves Bonzon, directeur des investissements de Pictet. 

Le nouveau record historique (nominal) de l’indice S&P500 aux Etats-Unis ravive le débat sur la (sur)évaluation des marchés actions, perçus comme totalement déconnectés de l’économie réelle, en raison des conséquences intentionnelles des politiques monétaires non conventionnelles, à savoir l’inflation du prix des actifs, à défaut de celle du prix des biens et services.

Nos propres estimations de rendements totaux nominaux annuels pour les actions américaines et européennes, que vous avez reçues dans le cahier spécial «Horizon» du mois passé, font état de perspectives à 10 ans aux alentours de 4,5%.

Ce chiffre se compare à une moyenne historique de très long terme légèrement inférieure à 10% dans le cas américain.

La plupart des discussions relatives à la (sur)évaluation du marché font implicitement – rarement explicitement – l’hypothèse que les indices doivent retourner à plus ou moins brève échéance vers leur niveau moyen d’équilibre historique. Pour ce faire, ils doivent rejoindre le niveau à partir duquel le rendement nominal ou réel historique pourra à nouveau être projeté pour les prochains sept à dix ans.

Appliquant ce raisonnement – à travers le ratio cours/bénéfices d’équilibre – à des bénéfices retournant à la moyenne historique de profitabilité implique une rentabilité annuelle moyenne sur 10 ans des actions d’environ 6,5% en termes réels ou 10% en termes nominaux, dividendes compris. Pour le marché américain, le ratio cours/bénéfices d’équilibre est d’environ 16 à 17 fois les profits ajustés pour le cycle. Ce concept, appelé CAPE (cyclically adjusted price/earnings) a été rendu célèbre par le professeur Robert Shiller dans une version, selon le graphique ci-contre, prenant en ligne de compte la moyenne des profits sur les dix dernières années.

Sur cette base, le niveau de valeur d’équilibre de l’indice S&P500 s’établirait aux environs de 1250 points, soit une surévaluation de plus de 50% actuellement.

Dès lors, faut-il immédiatement vendre ses actions? Pas nécessairement.

Tout d’abord, il faut bien garder à l’esprit que, plus l’horizon prévisionnel est court, moins la prévision devient fiable. Tout dépend évidemment de la sur ou sous-évaluation du marché au point de prévision en 2024, mais sauf cas extrême, dans un sens ou dans l’autre, notre estimation devrait s’avérer proche de la réalité.

A plus courte échéance, tout dépend du retour à la moyenne de deux variables: les marges bénéficiaires d’une part et le multiple que les investisseurs paient pour les profits, le ratio cours/bénéfices (p/e), d’autre part.

Dans le premier cas, nous avons à maintes reprises évoqué les raisons structurelles liées à la mondialisation pour lesquelles les marges de bénéfices resteraient vraisemblablement élevées plus longtemps qu’escompté.

Dans le cas du ratio cours/bénéfices, tout dépend de la vitesse à laquelle les taux d’intérêt se normaliseront aux Etats-Unis ces prochaines années. Dans un monde toujours soumis à de forts courants désinflationnistes, voire déflationnistes, nous restons de l’opinion que ce processus de normalisation prendra plus de temps qu’escompté par le marché.

En résumé, les actions apparaissent incontestablement chères en perspective historique, mais la plupart des classes d’actifs le sont, à des degrés divers, dans le nouveau paradigme monétaire où les banques centrales ciblent aussi l’inflation des actifs et plus seulement celle des biens et services. En conséquence, le retour à la moyenne pourrait se manifester plus tardivement ou dans une moindre ampleur que celle prévue par les prévisionnistes les plus pessimistes.

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A propos de l'auteur

Yves Bonzon

Yves Bonzon  est directeur des investissements de la banque privée suisse Pictet.