La BCE franchit un cap dans la lutte contre la déflation

L'institution va acheter 60 milliards d'euros d'actifs tous les mois, au moment où le crédit bancaire tarde à décoller et la déflation s'installe.

Jocelyn Jovène 22.01.2015
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Le « QE » élargi est lancé ! La Banque centrale européenne annonce ce jeudi un programme de rachats d’actifs de 60 milliards d’euros par mois, tout en précisant qu'il serait conduit jusqu'à ce que "nous voyons un ajustement durable du chemin d'inflation".

Les achats d'actifs (obligations gouvernementales, d'agences) se feront sur la base de la part des banques centrales nationales au capital de la BCE. Ils débuteront en mars 2015.

Ces mesures, dites "non-conventionnelles" et très attendues par le marché, visent à lutter contre la déflation qui s’est installée en zone euro au mois de décembre dernier.

Cette annonce s’inscrit dans un ensemble de mesures déjà officialisées, en juin puis en septembre 2014, qui visait à relancer le crédit à l’économie. Si la dernière enquête sur le crédit conduite par la BCE montre que la distribution de crédit semble repartie dans l’ensemble, le crédit aux PME est toujours en panne.

La banque centrale doit donc passer à la vitesse supérieure, mais l’annonce d’un « QE » élargi fait débat au sein de l’institution. En effet, en achetant des obligations souveraines, la BCE fait mécaniquement baisser le niveau des taux auxquels les Etats empruntent (ce mouvement s’est déjà en grande partie réalisé depuis l’an dernier).

Certains membres du conseil des gouverneurs au sein de la BCE craignent de signer un chèque en blanc aux gouvernements peu vertueux de la zone euro (France, Italie notamment) en ne les incitant pas à réduire plus rapidement leurs déficits publics ou en retardant la mise en œuvre de réformes structurelles.

Ainsi, depuis la crise de 2010, la France a été incapable de réduire son déficit public. Le pays, du fait d’une cure d’austérité qui a plombé la croissance, a demandé et obtenu un report de l’atteinte d’un objectif de déficit à 3% du PIB, tandis que son endettement public est désormais proche de 100% du PIB.

La BCE indique par ailleurs que ses taux directeurs sont inchangés. Le taux de refinancement principal reste à 0,05%, le taux de prêt marginal est maintenu à 0,30% et le taux de dépôt à -0,20%.

L'annonce provoque des réactions mitigées sur les marchés: l'indice Stoxx Europe 600 monte de 0,4%. L'euro baisse de 0,3% face au dollar. Le rendement du 10 ans allemand est remonté à 0,52%.

Plus tard dans la journée, léger changement de ton: le Stoxx 600 prenait 0,9% à 16h24, le rendement 10 ans du Bund rechutait à 0,40%, et leur cédait 1,2% face au dollar.

 

Premières réactions et commentaires:

Véronique Riches-Flores (RF Research):

"Le gonflement du programme d'achat permet d'avaler la pilule du partage des risques. Pour autant, l'insistance sur la nécessité de poursuivre les réformes illustre une volonté de faire pression sur les Etats, un point à l'évidence délicat dans le contexte actuel. L'idée d'un possible relâchement de la rigueur budgétaire est donc mise à mal (...).

M. Draghi (...) s'expose à une montée des pressions en provenance des marchés si le tendances déflationnistes persistent, ce qu'il semble d'ailleurs déjà intégrer. 

La réaction des marchés actions est légitime, comme celle des taux longs en fort repli généralisé. La baisse de l'euro répond vraisemblablement à la surprise sur les montants. Ce mouvement sur la devise pose question. Dans un contexte de menaces déflationnistes généralisées à l'échelle mondiale, elle amplifie sans aucun doute le risque de turbulences croissantes sur les marchés internationaux."

Johannes Müller (Deutsche AWM):

"La décision prise aujourd’hui par la BCE va au-delà des attentes du marché. Néanmoins, une fois l’excitation initiale passée, il sera nécessaire de garder la tête froide et d’éviter la spéculation de ces derniers jours. (...)

Le programme de rachat de la BCE ne sera ni une panacée, ni un poison. Son effet positif durable devrait venir de la dévaluation de l’euro, même si dans son ensemble, son impact restera limité.

Quant à l’euro (...) nous attendons une dépréciation continue face au dollar. Ceci soutiendra les profits des entreprises de la zone euro et aura un impact positif sur les marchés action. Quant au marché obligataire, puisque nous n’anticipons pas d’inflexion dans la tendance de l’inflation, les rendements devraient se maintenir sur le court-terme."

 

Pour aller plus loin

Le discours de Mario Draghi

L'extension du programme d'achat d'actifs

Les mesures concernant le TLTRO

 

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A propos de l'auteur

Jocelyn Jovène

Jocelyn Jovène  est analyste financier senior et rédacteur en chef de Morningstar France.