C’est une pratique courante que de regarder les résultats passés d’un fonds avant d’investir. Mais outre le fait que les performances passées ont un faible pouvoir prédictif, cela ne donne pas une image complète de la performance réellement obtenue par les investisseurs. Nos analyses montrent que les gains des investisseurs sont parfois bien loin des performances affichées par les fonds. Ce phénomène est particulièrement fréquent pour les fonds qui collectent beaucoup d’encours après une période de performance spectaculaire.
Le calcul de performance classique fournit une donnée objective qui rend compte de l’évolution de la valorisation d’un placement entre deux dates, mais qui rend imparfaitement compte de l’expérience effective de l’investisseur. Pour avoir une idée des résultats réellement obtenus avec un fonds donné, Morningstar a créé une mesure de performance, le « Morningstar Investor Return » (Performance Investisseur) qui pondère la performance d’un placement en fonction des flux de souscriptions. La performance investisseur prend ainsi en compte le fait que tous les investisseurs n’investissent pas exactement à la date de début de calcul de la performance et ne gardent pas nécessairement leurs parts jusqu’au bout.
Concrètement, prenons le cas d’un fonds sur un an. En début de période, la valeur liquidative du fonds est de 10 euros, 6 mois plus tard il cote 20 euros pour terminer en fin de période à 10 euros. Abstraction faite des frais et des versements de dividendes, la performance du fonds ressort à 0% sur la période. L’investisseur a obtenu exactement cette performance s’il a effectué son placement en début de période et s’il n’a fait aucune souscription ou rachat pendant toute la période.
Prenons maintenant le cas d’un investisseur qui place 100 euros sur ce fonds au début de l’année en achetant 10 parts à 10 euros. Six mois après, la valeur du fonds monte à 20 euros et l’investisseur optimiste rachète 5 parts pour 100 euros. A la fin de l’année, la valeur liquidative est retombée à 10 euros, et l’investisseur, découragé, vend ses 15 parts. La performance du fonds, hors dividendes et frais, est toujours de 0% sur la période. L’investisseur lui, a investi à hauteur de 200 euros et se retrouve avec 150 euros à la fin de la période, enregistrant un rendement de -32,39%. C’est ce chiffre qui reflète le mieux l’expérience vécue par l’investisseur.
Calcul de la Performance Investisseur d’un fonds
Le calcul de la Performance investisseur mesure le taux de rentabilité interne d’un euro investi en prenant en compte les souscriptions et rachats au niveau du fonds. La Performance Investisseur est le taux de rendement qui permet de lier la valeur d’actif en début de période, en prenant en compte tous les flux intermédiaires pour arriver à la valeur d’actif en fin de période. Ce taux est calculé par itération pour aboutir à un rendement mensuel qui est ensuite annualisé.
L’exemple ci-dessus, Tableau 1, concerne un fonds qui affiche une performance de 8% par an sur cinq ans à fin septembre 2011. Mais les investisseurs de ce fonds ont en moyenne perdu de l’argent sur la période. La Performance Investisseur ressort en effet à -9% par an. Comme le montre le tableau ci-dessous, attirés par les gains passés du fonds, les investisseurs sont rentrés en masse en 2007, juste avant le pic de mi-2008 et la chute brutale qui a suivi. Et ils sont massivement sortis en 2008 et début 2009, soit juste avant le fort rebond du fonds.
Performance Investisseur par classe d’actif
L’analyse des flux de souscription aux Etats-Unis sur l’ensemble des fonds, et sur une large palette de classe d’actifs, tend à montrer que beaucoup d’investisseurs achètent et vendent au mauvais moment. Ce mauvais « timing » est exacerbé par la volatilité des supports dans lesquels ils investissent. Cette corrélation est cohérente : les fonds volatils peuvent en effet apparaître très attractifs lorsque le vent leur est favorable et attirent alors des actifs importants. Inversement, les investisseurs ont tendance à vendre leurs parts après des périodes de chutes, reculs qui finissent toujours par arriver compte tenu du caractère fondamentalement risqué de ces classes d’actifs.
Sur le marché européen, les écarts peuvent aussi être sensibles. Les tableaux ci-dessous montrent la différence pour quelques catégories européennes entre la performance totale et la Performance Investisseur sur des périodes de trois et cinq ans. Il s’agit de moyennes pondérées des actifs des fonds, afin de rendre compte de l’expérience de l’investisseur moyen. En ce qui concerne les fonds investis en actions européennes, la catégorie petites capitalisations, plus risquée en termes de volatilité, affiche un écart plus grand entre performance totale et performance investisseur. Concrètement, sur cinq ans, la catégorie a perdu 1,76% par an mais l’investisseur moyen a, dans le même temps, a perdu 2,64%.
Le constat est similaire sur les catégories obligataires mais la différence est encore plus flagrante entre la catégorie la plus risquée de l’univers obligataire, la catégorie Obligations Haut Rendement, et les catégories Obligations d’Etat et Privées (Investment Grade), voir Tableau 4. La différence s’est même accentuée sur trois ans, à cause de la volatilité accrue du marché.
Pour les fonds spécialisés, sur les pays émergents ou sur des thématiques sectoriels, les résultats sont très dépendants des périodes d’observation et des conditions de marché, ce qui n’est pas très étonnant compte tenu de la nature cyclique de la performance de ce type de fonds. Ce facteur explique que les résultats soient différents sur trois ans et sur cinq ans, pour la même catégorie. En revanche, les résultats récents conduisent tous à la même conclusion : les investisseurs n’ont pas bien utilisé ces fonds dans des conditions de marché très chahutées. Sur les trois dernières années, la différence entre performance totale et Performance Investisseur est négative pour toutes les catégories considérées.
Ces résultats appellent plusieurs commentaires. Ils tendent tout d’abord à confirmer notre analyse faite aux Etats-Unis sur longue période et sur plusieurs classes d’actifs*, à savoir que la volatilité est un facteur déterminant de l’écart entre la Performance Investisseur et la performance totale d’un fonds. Cela ne veut pas dire qu’il faut rester complètement à l’écart des fonds volatils mais qu’il faut être conscient de l’écart important sur ce type de fonds entre Performance Investisseur et performance totale. Et qu’il convient, lorsque l’on souhaite investir sur ce genre de fonds, de le faire le plus rationnellement possible, sans céder aux mouvements d’enthousiasme faisant suite aux périodes de forte hausse.
Enfin, au-delà du comportement des investisseurs qui sont parfois pro-cycliques, l’attitude des sociétés de gestion joue un rôle important. Certaines d’entre elles encouragent des stratégies de court terme et font la promotion de gains rapides, en lançant par exemple des fonds pour surfer sur des thèmes à la mode ou des fonds très spécialisés et volatils, pour attirer les actifs quand la performance est bonne. Les sociétés de gestion qui au contraire développent leurs produits dans une logique de long terme et font attention aux risques qu’elles font courir à leurs clients s’inscrivent dans un cercle vertueux : les investisseurs prennent moins de décisions qui leur sont dommageables et ont donc beaucoup plus de chance de leur rester fidèles dans la durée.
*Christine Sanders, Julie Austin, Michelle Swartzentruber, « Morningstar Investor Return: Capturing the Collective Investor Experience », Janvier 2007
Cet article a été initialement publié dans le Morningstar Professional de décembre 2011.