Fait assez rare pour être souligné : la lettre du gouverneur de la banque de France au Président de la République sur l’état de l’économie française, initialement publiée le 9 avril, a fait l’objet d’une « mise à jour technique » le lendemain, « compte tenu des changements annoncés par M. Trump ».
Après une année 2024 tumultueuse, la deuxième économie de la zone euro est déjà confrontée à la difficile résorption de son déficit public, menacée par une dette publique qui coûte de plus en plus cher et pourrait voir la note de crédit du pays dégradée. Si la situation politique est stabilisée depuis la nomination du gouvernement Bayrou, elle demeure très fragile. Aussi, une récession de l’économie américaine, premier partenaire commercial de l’Europe, n’arrangerait pas la situation du pays. Le marché français des actions tout comme les taux pourraient s’en ressentir.
« Si les États-Unis entrent en récession, le reste du monde occidental risque de suivre, avec un recul des dépenses publiques et de la consommation ainsi qu’une baisse des investissements des entreprises américaines susceptible de provoquer une réaction en chaîne. La France ne devrait pas échapper à cette tendance », prédit Michael Field, stratégiste actions européennes chez Morningstar.
L’économie française peut-elle entrer en récession en 2025 ?
Les derniers chiffres de croissance de l’économie française confirment déjà un ralentissement économique, avec une progression de 0,1% du PIB au 1er trimestre 2025, reflet d’une demande intérieure stable, d’un effet stocks de 0,5% et d’un effet du commerce extérieur négatif de 0,4%. L’acquis de croissance pour 2025 est de 0,4%. L’objectif du gouvernement cette année est de 0,7%, un objectif réaliste selon plusieurs économistes. Celui pour 2026, de 1,2%, l’est beaucoup moins.
« Les chiffres montrent que l’activité économique française au premier trimestre a été proche de la stagnation, une situation qui risque de se prolonger dans les trimestres à venir », indique Charlotte de Montpellier, Senior Economist chez ING. « Les droits de douane supplémentaires aux États-Unis et leurs impacts directs et indirects retarderont le rebond de l’économie française », ajoute-t-elle.
L’impact sur la France d’une récession aux Etats-Unis sera indirect », estime pour sa part Véronique Riches-Flores, économiste indépendante à la tête du cabinet RF Research. « Si Trump maintient les annonces faites le 2 avril, cela créera les conditions d’une récession mondiale avec une contraction du PIB de l’ordre de 0,5% en 2025 en zone euro et de 0,3% en France, selon nos estimations », précise-t-elle.
« Nous pensons toutefois qu’il y a matière à espérer une stabilisation de l’économie française et européenne à partir du second semestre, si les plans ambitieux de l’Allemagne sur les infrastructures et de l’Europe dans la défense progressent rapidement. Ces politiques plus volontaristes seraient de nature à contrebalancer les effets de la politique tarifaire de Trump », pense toutefois l’économiste.
Comment la Bourse de Paris réagirait-elle ?
Depuis le début de l’année, les actions françaises progressent de 5,9%, après avoir connu un parcours volatil, l’indice Morningstar France subissant une correction de 15,4% entre son plus haut du 6 mars et le plus bas du 9 avril 2025, avant de rebondir de 10,4% depuis.
« Depuis le 2 avril, ce qui a affecté le marché actions français n’est pas la situation de l’économie française mais l’impact perçu des tarifs et du risque de récession US sur certains secteurs qui sont les plus représentés dans l’indice phare parisien, comme l’énergie, la santé et le luxe », note Enguerrand Artaz, stratégiste chez La Financière de l’Echiquier (LFDE).
Dans cette phase de volatilité, une rotation sectorielle s’est opérée, les investisseurs sortant de secteurs plutôt cycliques pour privilégier les valeurs défensives, en particulier les services publics et les télécommunications. Des titres comme AXA CS, L’Oréal OR, ou Danone BN ont largement effacé leur baisse durant la phase de correction boursière, avec des rebonds de respectivement 17,5%, 10,4% et 3,6% (après des baisses pendant la correction de respectivement -7,7%, -7,9% et -1,4%). Un titre comme Engie ENGI, qui a gagné 3,6% pendant la correction boursière, a progressé de 7,8% depuis le 9 avril au 14 mai 2025.
A l’inverse, une valeur comme LVMH MC, qui a plongé de près de 25% pendant la correction de la Bourse de Paris, a rebondi de seulement 2,6% depuis.
« On observe un changement de ‘leadership’ sur le marché français, les investisseurs ayant arbitré au sein de certains secteurs en privilégiant les valeurs plus défensives », explique Enguerrand Artaz. « C’est le cas par exemple des financières où les banques ont souffert au profit des assureurs. »
En cas de récession américaine, les investisseurs devraient amplifier ces tendances et éviter les secteurs les plus sensibles au cycle économique.
« Dans un contexte de récession, les secteurs tels que les biens de consommation courante et les actions comme Carrefour CA et L’Oréal devraient s’en sortir le mieux », indique Michael Field de Morningstar. « Le secteur bancaire serait durement touché, comme c’est toujours le cas dans ce type de contexte, affectant des actions telles que Société Générale GLE ou Crédit Agricole ACA. Les actions exposées à l’industrie, comme ArcelorMittal MT ou Saint Gobain SGO, seraient également fortement impactées. »
L’incertitude macro conduit déjà les entreprises françaises et les analystes qui les suivent à une certaine prudence. Depuis le début de l’année, les estimations de BPA pour l’indice CAC 40 ont été revues en baisse de 3,6% selon les données de Factset.
« Le marché est en train de réviser à la baisse les estimations de bénéfices pour l’année en cours, du fait d’une part de la dépréciation du dollar américain qui a été marquée au premier trimestre et qui devrait pénaliser les groupes exportateurs et d’autre part de la hausse de la probabilité de l’occurrence d’une récession économique qui commencerait aux Etats-Unis », souligne Gilles Guibout, responsable des actions européennes chez AXA IM dans une note.
Récession : un impact plus mesuré pour les obligations d’Etat ?
Sur le front obligataire, la situation budgétaire de la France demeure reléguée au second plan. Les dernières adjudications d’obligations assimilables du Trésor ont été sursouscrites.
« Les marchés scrutent avant tout la situation aux Etats-Unis et restent dans l’expectative des annonces de Trump », note Marie-Anne Allier, gérante au sein de l’équipe taux chez Carmignac Gestion. « Les investisseurs s’interrogent également sur la fin de l’exceptionnalisme américain et le rôle du dollar comme monnaie de réserve. »
« La situation de l’économie française, l’endettement et le déficit publics, ne sont pas vraiment sur le radar des investisseurs », estime la gérante.
Depuis le début de l’année, l’écart de taux (« spread ») entre le rendement à 10 ans des obligations émises par les Etats français et allemand a reculé de 13 points de base, passant de 0,82% à 0,69% actuellement.
« Le spread est toujours élevé si l’on prend comme référence le niveau d’avant la dissolution de l’été 2024 », note Enguerrand Artaz. Toutefois, en cas de récession, l’intervention des banques centrales pourrait conduire à une poursuite de la baisse des rendements obligataires, y compris pour la dette française, ce qui conduirait à une hausse des prix des obligations françaises.
« Aux Etats-Unis, la Fed possède d’importantes marges de manœuvre pour intervenir en cas de récession, ce qui pourrait aider à faire baisser les taux américains et par extension européens », note Marie-Anne Allier. « En Europe, il y a une prise de conscience des atouts et de la nécessité de mettre en œuvre des politiques plus ambitieuses. »
La gérante estime préférable de privilégier un positionnement prudent. « Dans cette situation de grande incertitude, il est difficile d’avoir des convictions très marquées quand on est à la merci d’un ‘tweet’ », souligne-t-elle.
« Dans notre fonds, nous privilégions une part importante de titres monétaires à court terme et nous continuons de préférer le crédit de qualité en euro, sur des maturités courtes, en attendant d’y voir plus clair », ajoute Marie-Anne Allier.
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