Après Casino, la hausse des taux rattrape la dette d'Altice

Sur le marché du crédit, la forte hausse des coûts de financement commence à se faire sentir.

Agefi/Dow Jones 12.07.2023
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Crédit photo: AP

PARIS (Agefi-Dow Jones)--Après Casino, Altice ? Sur le marché du crédit, la forte hausse des coûts de financement, multipliés par trois ou quatre en un an, commence à se faire sentir. Les dossiers les plus à risque ("distressed") ne tiennent pas le choc face à cette nouvelle réalité.

"Le constat est simple", relève Akram Gharbi, responsable de la gestion high yield chez La Française AM : "Pendant des années, beaucoup d'entreprises ont profité de taux proches de zéro pour croître sans retenue, parfois sans rationnel économique. La hausse des taux met et va mettre en difficulté bon nombre de ces sociétés."

Les cas de sociétés mises à mal se sont multipliés ces derniers mois : Atalian dans les services, SBB dans l'immobilier en Suède, Casino, qui était déjà bien identifié par le marché, dans la grande distribution. Toutes ont comme point commun un financement de la croissance par la dette, trop de dette. Et les dégâts ne font que commencer. Dans le marché, un dossier attire particulièrement l'attention des investisseurs, du fait de l'importance de sa dette et de son poids dans les indices obligataires "high yield", ou haut rendement : Altice. Ses obligations ont accentué leur chute ces derniers jours. Le groupe de télécoms détenu par Patrick Drahi a accumulé une dette de 23,7 milliards d'euros.

Effet boule de neige

La chute du prix de certaines de ses obligations subordonnées au cours des deux derniers mois, après la publication de résultats décevants au premier trimestre et la dégradation par S&P de sa notation, a de quoi inquiéter les investisseurs. L'obligation non sécurisée à échéance 2028 a décroché d'une trentaine de points, passant de 85% du pair à 55% en quelques semaines. Le marché commence à faire un parallèle entre la situation de Casino et celle d'Altice.

"Altice est sous pression", relève Benoit Soler, gérant chez Keren Finance. "Or, il s'agit d'un des cinq premiers émetteurs en termes de dette totale disponible sur le marché européen du 'leverage finance', une grande majorité d'investisseurs ont donc une exposition plus ou moins importante, et les répercussions peuvent être plus notables que sur le distributeur stéphanois par exemple", poursuit-il.

Akram Gharbi voit deux points communs, qu'il généralise à l'ensemble des entreprises aujourd'hui en situation tendue : une faible gouvernance et des secteurs très concurrentiels. "Les dirigeants de ces entreprises ont énormément emprunté sur les marchés pour se développer par acquisitions, parce que les conditions financières étaient très favorables, mais le plus souvent sans stratégie claire", indique-t-il. Le gérant ne comprend pas, par exemple, la logique motivant l'acquisition par Altice d'une participation de 24,5% dans British Telecom, financée par les dividendes d'Altice International, la structure regroupant notamment les activités au Portugal. D'autant que le gouvernement britannique pourrait invoquer la loi sur la sécurité nationale et l'investissement de 2021 afin d'empêcher toute prise de contrôle d'une entité jugée stratégique. "Ce n'est pas la priorité, mais le désendettement oui", juge le gérant.

Il en est de même pour les acquisitions d'Atalian au Royaume-Uni ou outre-Atlantique, ainsi que pour les développements de Casino en Asie il y a quelques années. "Ces entreprises évoluent le plus souvent dans des secteurs très concurrentiels, qui demandent d'importants investissements pour maintenir leur compétitivité", ajoute Akram Gharbi, "ce qui était facile quand les taux étaient à zéro. Mais une fois que le coût de financement augmente, la structure de capital n'est rapidement plus tenable."

Problématiques distinctes

Altice a réussi, en début d'année, une extension de maturité sur des "term loan B" jusqu'en 2028. Son échéance de dette la plus proche est 2025, pour 1,6 milliard d'euros. Si le groupe émettait aujourd'hui sur le marché, le coût serait difficilement tenable, à plus de 10% de coupon.

"Je ne suis pas surpris que l'on compare les deux sociétés [Altice et Casino], qui sont d'importants groupes français détenus par des milliardaires français, et qui ont surtout accumulé beaucoup de dette", affirme un analyste crédit à Londres qui préfère garder l'anonymat. "Mais la comparaison s'arrête là, les deux entreprises sont très différentes." D'abord parce que les activités de l'opérateur télécoms sont bien séparées entre Altice France, qui détient l'opérateur SFR, le principal sujet sur la rentabilité du groupe, et Altice International (Portugal, Israël...). Par ailleurs, si SFR a un problème de rentabilité, c'est, d'une part, en raison d'un marché français très concurrentiel, ce qu'ont reflété les résultats du premier trimestre, et d'autre part, en raison des importants investissements engagés dans la fibre qui pèsent sur les cash-flows.

Les autres activités du groupe ne sont pas concernées. Akram Gharbi note également que la structure de capital d'Altice est beaucoup plus lisible que celle de Casino, avec une véritable ségrégation des différentes entités opérationnelles, aux dettes bien séparées. "Le problème de Casino est que la structure est très complexe, avec énormément d'ingénierie financière et une faible génération de cash, avec une activité en France qui brûlait beaucoup de cash", rappelle l'analyste. "Chez Altice, on se trouve surtout face à un problème de refinancement", nuance également Matthieu Bailly, gérant chez Octo AM, qui distingue bien les deux dossiers.

N'évoluant pas dans le même secteur, les deux entreprises ne font pas face aux mêmes problématiques, en dehors du lourd endettement. L'élément déclencheur est la hausse des taux. "Pendant longtemps, le groupe a pu se financer à des conditions très favorables auprès des banques et des marchés parce que Patrick Drahi avait leur confiance", relève Matthieu Bailly. "Désormais, avec des taux de plus de 10% sur le marché, il devient plus difficile de refinancer la dette", souligne le gérant. Et nécessaire de vendre des actifs, dont ses tours télécoms et 50% de son infrastructure dans la fibre.

"Ce qui a changé, ces deux dernières années, est que le coût de financement d'Altice est passé de 2% à 8%-9% [...] et que sa dette traite actuellement à 9%-10% de rendement sur le marché", complète l'analyste. A ces niveaux, il est très difficile de se refinancer, d'autant qu'il lui faut encore consentir d'importants investissements dans la fibre.

"L'entreprise est en train de nous dire qu'elle a deux ans pour refinancer sa dette et augmenter ses cash-flows", poursuit Matthieu Bailly. Il note que la direction d'Altice connaît très bien le marché obligataire et anticipe les demandes des investisseurs, ce qui a semblé un moment les rassurer. Le projet de cession des data centers de SFR, pour lequel Perella Weinberg a été mandaté fin 2022, en est un bon exemple. Le produit de la vente doit permettre de refinancer la prochaine obligation arrivant à échéance en 2025. "On a besoin de nouvelles positives, comme la vente des data centers", affirme l'analyste. "Une fois l'obligation remboursée, cela repoussera le mur de dette à 2026. Dans un deuxième temps, la baisse des capex permettra une hausse des cash-flows. Une grande différence avec Casino, qui ne générait pas de cash-flow."

Gagner du temps

Mais cela ne résoudra toutefois pas le problème central du groupe, qui est sa rentabilité. Comme Jean-Charles Naouri, le PDG de Casino, Patrick Drahi, le fondateur d'Altice, gagne surtout du temps en cédant des actifs. Le marché attend une hausse des prix en France. "Il faut désormais une vraie inflexion opérationnelle avec des gains de clients dans le fixe, une restauration des marges", complète Akram Gharbi. "Cela doit passer par une consolidation du secteur. Le problème est de savoir qui va vouloir de cet empilement de dette. On risque d'avoir le même dénouement qu'avec la tentative de rapprochement entre Casino et Carrefour", estime-t-il.

A court terme, le risque est très asymétrique. La cession des centres de données aura un impact sur les dettes à court terme, qui pâtissent actuellement d'importantes positions vendeuses à découvert. En revanche, un échec de la cession, ou un prix inférieur à la fourchette de 750 millions à un milliard d'euros espérée, aurait un impact sur l'ensemble de la dette du groupe. Rendez-vous fin juillet.

-Xavier Diaz, L'Agefi ed: VLV

Agefi-Dow Jones The financial newswire

(END) Dow Jones Newswires

 

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Altice USA Inc Class A2,15 USD4,63Rating
Casino Guichard-Perrachon SA0,03 EUR1,40

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Agefi/Dow Jones  est une agence de presse financière basée à Paris.