CGP: J.-P. Rondeau dénonce une lourdeur de plus en termes de régulation

Le Président de la CCGPI s'inquiète de l'impact de la réglementation européenne du métier de CGP sur la qualité de service rendue aux clients.

Jocelyn Jovène 06.06.2014
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Jean-Pierre Rondeau, Président de la Compagnie des CGPI, a répondu par écrit aux questions de Morningstar sur l'impact de l'évolution de la réglementation européenne sur le métier de CGP.

Quel impact sur la profession anticipez-vous de l’adaptation de la directive Mifid 2 en France et de la fin des rétrocessions pour les conseillers indépendants ?

Il est trop tôt pour vous donner une réponse sérieuse. Mais à priori, nous ne perdrons pas le mot "indépendant" Comment le retirer à des entreprises le plus souvent familiales à actionnaire unique ? Ce n’est pas le statut qui est retenu, mais la nature du conseil. Pour conserver les rétrocessions, nous ne devrons pas prétendre que celui-ci est indépendant. Nous ne le citons jamais au moment du conseil. Cela ne nous empêchera pas de dire que « nous avons étudié la quasi-totalité des produits » (ce que les autorités appellent « un nombre suffisant ») et que « nous proposons celui-là parce qu’il nous parait répondre au mieux aux attentes de notre client ». Jusque là, rien de vraiment changé.

Ensuite, quelle sera le niveau de transparence ? Les CGPI français sont les seuls à avoir réellement respecté MIF1 : lettres d’entrée en relations, lettres de missions, questionnaire de connaissance du client, rapport écrit et surtout la transparence. Bien sûr, il s’agit en l’occurrence, de pourcentages et pas de montants. Mais aucun des clients à qui nous offrons depuis 2005 de nous demander après l’opération le montant réellement perçu ne le demande.

Par contre, si nous devons demain le faire, le Consommateur d’épargne moyen et parfois petit perdra la mutualisation dont nous lui avons permis de bénéficier, grâce au fait que les gros paient le même pourcentage que les petits. Les gros négocieront les honoraires auxquels nous serons astreints par nos charges et les clients moyens et petits n’auront pas les revenus suffisants pour nous payer à hauteur du travail que nous ferons pour eux.

En fait, au bout du compte pour un quasi même résultat que la suppression totale. Au prétexte de protéger le Consommateur, mais en fait pour se « laver les mains » (principe de précaution), on en viendra à la situation de nos confrères britanniques. Les petits et moyens clients français retourneront vers les banques qui ne les serviront que par Internet. La perte pour eux de la multigestion et du conseil indépendant dont nous les avions faits bénéficier.

Pour les plus gros, nous nous serons liés à des plates formes qui nous salarierons d’un montant proportionnel au chiffre d’affaires apporté. Quelle belle victoire et quelle protection pour le Consommateur ! Et là encore comme en GB, une destruction de nombre de cabinets et d’emplois, sans oublier les mêmes dégâts chez les purs courtiers et agents d’assurance, car la règlementation assurance (IMD2) suivra.

Dernier point, une lourdeur de plus au millefeuille de la règlementation : prouver le service sur la durée. Je n’alourdirai pas ce texte en vous citant les dizaines d’exemples possibles. N’en retenons qu’une marge : le simple fait de conserver un produit placé sans proposer d’arbitrage est déjà un travail et un service. Croyez-vous que l’on nous pardonnera de n’avoir pas arbitré à temps un produit devenu risqué ou simplement inadapté au client ? Et ne nous reprochera-t-on pas de ne pas étudier quasi quotidiennement ce placement ou de ne pas être couverts par une RCP, de ne pas nous former, etc. ?

Nous sommes restés confiants depuis septembre 2011, date lors de laquelle, avec nos confrères de la CIP, La Compagnie des CGPI a pu expliquer, aux fonctionnaires de la Commission européenne, le marché des indépendants français, comment nous travaillons et ce que nous avions fait pour respecter MIF. Tous les votes qui ont suivi nous confortaient. Et nous bénéficions de la très bonne compréhension de notre autorité de tutelle, mais aussi de l’ACP, Bercy et de nos élus. Grâce aussi au soutien des Sociétés de gestion et des Compagnies d’assurance qui voyaient se profiler DIA2 devenue IMD2. Nous sommes un peu plus inquiets du fait que MIF2 n’est plus une directive mais une règlementation, où chaque pays n’a plus la liberté d’appliquer ou pas, sous une forme ou une autre.

Considérez-vous comme suffisamment constructif le dialogue avec le régulateur ? Prend-il en compte les contraintes du métier de CIF ? Quels points d’amélioration ?

Le dialogue est étroit avec l’AMF et malheureusement plus lâche avec l’ACP et Bercy. Les contacts sont bons avec l’ORIAS. Néanmoins, l’AMF est aussi une administration qui ne fait qu’appliquer la Loi, même si ces agents ont fait l’effort de nous comprendre. Comme l’ont fait  les fonctionnaires de Bruxelles. Mais les députés européens ! Quand on voit l’effort qu’ont fait ces élus grassement payés pour leur temps de présence, indemnisés et aidés en moyens administratifs, pour comprendre qui était notre modeste profession, avant de tenter de la tuer en supprimant, en outre, aux particuliers modestes et moyens les avantages que nous leur offrons (conseil indépendant et multigestion), on comprend pourquoi nombre de professions indépendantes, mais pas qu’elles, et de particuliers sont tentés de voter contre les instances européennes.

Pensez-vous que les épargnants français soient prêts à payer des honoraires à des conseillers financiers ?

Non, les Épargnants français ne sont pas plus prêts à payer des honoraires que les autres européens (voir l’enquête Britannique récente). J’ai d’ailleurs répondu dans le cadre de votre première question. Les honoraires imposés seraient très inférieurs à nos rémunérations déjà très affaiblies par la crise financière, les perspectives du marché de l’immobilier, les réductions de niches fiscales et les craintes sur la plupart des produits atypiques. Les petits ne paieront pas à la hauteur (nous devrons nous en séparer), les gros nous demanderont de réduire nos prétentions en matière d’honoraires. Seules les très grandes fortunes qui peuvent se payer un conseiller financier qui est aussi l’intendant et "l’homme aux clefs d’or", acceptent les honoraires. Et croyez-en ma propre expérience dans de grands établissements prestigieux et ma connaissance du marché, comme président d’organisation, nombre de Family Office perçoivent aussi des rétrocessions.

A terme, quelles pourraient être les évolutions du modèle économique des conseillers financiers (en termes de mix de revenus/chiffre d’affaires) ? Voyez-vous des rapprochements avec d’autres acteurs dans et hors de la profession stricto sensu de CIF (consolidation, rapprochements avec sociétés de gestion) ?

Comme dit dès le début de votre première question, il est trop tôt pour vous répondre. Nous pensons que se sont fourvoyés tous ceux qui, pour d’autres raisons qu’une réelle stratégie économique, mais simplement pour anticiper la suppression des rétrocessions dans des montages tels que les rapprochements avec des sociétés de gestion, les créations de fonds dédiés (le régulateur n’est pas idiot) ou la mise sous tutelle d’un partenaire. Si on comprend la hâte de certains « prédateurs » qui nous verraient bien soumis au modèle britannique et le malaise qu’ont subi nos confrères suite à cette débauche d’informations toujours négatives déversées par certains journalistes, consultants, prétendus connaisseurs du marché,  enseignants, juristes, fournisseurs et même représentants de la profession prétendant agir plus que d’autres, il est urgent d’attendre. Nous aurons quelques années, certes courtes, pour prendre nos dispositions en toutes connaissances de cause.

 

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A propos de l'auteur

Jocelyn Jovène

Jocelyn Jovène  est analyste financier senior et rédacteur en chef de Morningstar France.