Investisseurs irrationnels: je suis trop fort !

Troisième distorsion cognitive: l’overconfidence. Les investisseurs sont trop sûrs d’eux-mêmes, ce qui a des effets négatifs.

Valerio Baselli 25.04.2012
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Benjamin Graham, l'économiste considéré comme le père du value investing, a déclaré en 1949: "Le plus gros problème, ainsi que le pire ennemi de chaque investisseur est lui-même." Meir Statman, professeur de finance à l'Université Santa Clara, dit que "en théorie, les gens sont rationnels, dans la pratique, ils sont normaux." Ces deux citations suffisent pour comprendre l'importance de connaître nos mécanismes mentaux.

Nous avons atteint le quatrième épisode dédié à la finance comportementale. Ces dernières semaines, nous avons introduit le concept en lui-même (pour en savoir plus cliquez ici), parlé de la "peur de perdre" (pour lire cliquez ici) et de l'endowment effect (cliquez ici). Nous terminerons avec la distorsion cognitive peut-être la plus commune: la overconfidence, c'est-à-dire l'excès de confiance.

Personne n’est aussi bon que moi

La façon la plus commune dans laquelle l'excès de confiance a été étudiée, consiste à demander aux gens quel degré de confiance ils accordent à leurs croyances ou aux réponses qu'ils fournissent. Les données montrent que la confiance est toujours supérieure à la précision, ce qui signifie que les gens sont plus sûrs que ce qu'ils devraient. En théorie, si la confiance avait une exactitude parfaite, les décisions avec un niveau de confiance de 100% seraient correctes 100% du temps, avec un niveau de confiance de 90% elles seraient correctes 90% du temps, et ainsi de suite.

Comment est-il possible que 80% des automobilistes, au moment du sondage, répondent qu’ils sont des conducteurs supérieurs à la moyenne? C'est mathématiquement impossible. Pourtant, c'est ce qui arrive aussi dans la finance. Dans une étude réalisée en 2006 intitulée « Behaving Badly », le chercheur James Montier a montré que 74% des 300 gestionnaires professionnels interrogés estimaient avoir fourni des performances supérieur à la moyenne . Parmi les autres 26% répondants, la majorité se considéraient autour de la moyenne. Dans la pratique, près de 100% du groupe d'étude croit avoir obtenu des résultats supérieurs ou égaux à la moyenne. De toute évidence, seulement 50% de l'échantillon peut être supérieur à la moyenne, ce qui démontre le niveau irrationnellement élevé de confiance des gestionnaires.

Au fil des ans, de nombreuses études ont confirmé l'existence de "l'excès de confiance" et plusieurs de ses propriétés ont été clarifiées. En particulier, voilà quelques points: moins vous en savez, plus vous êtes sûr (l'inverse est également vrai: plus vous savez, moins vous êtes sûr), avec des questions difficiles, vous avez tendance à être plus confiants, et l’overconfidence n'est pas lié à l'âge, au sexe, à la race ou au niveau d’intelligence. Pour résumer, on y est tous soumis, en particulier lorsque le problème en question est difficile et la connaissance personnelle limitée. Il est intéressant de noter que l'activité d'investissement a ces deux caractéristiques.

D'un point de vue psychologique, l'excès de confiance vient de l'asymétrie des poids que les investisseurs donnent aux informations disponibles. En pratique, lorsque nous avons une idée d'investissement, des informations qui pourraient soutenir notre thèse sont mentalement considérées comme plus fiables que les informations qui vont dans la direction opposée. En plus, si au fil du temps notre thèse ne se réalise pas, même dans ce cas, la confiance dans notre choix tend à rester stable. Cette distorsion est connue sous le nom de confirmation bias, c'est à dire la tendance à ignorer des données et informations qui pourraient nous convaincre qu'on avait tort.

Fanatiques du trading, attention !

Dans la periode 1991-1996, Terrance Odean et Brad Barber, deux chercheurs universitaires américains, ont fait une étude sur plus de 66.000 individus, des investisseurs qui pratiquaient des activités de trading, afin de trouver un modèle d’overconfidence dans l'achat d'actions ordinaires. Leur hypothèse était que les investisseurs trop sûrs d'eux-mêmes ont tendance à changer leurs portefeuilles plus fréquemment que les moins confiants. En effet, ceux qui vendent des actions A pour acheter des actions B, le font habituellement car ils sont convaincus que l'action B sera plus performante dans l'avenir. Les chercheurs ont ensuite cherché à déterminer si une rotation du portefeuille élevée (et donc une forte confiance dans la capacité à prévoir) conduirait à des différences entre les rendements réalisés. L'idée était que les écarts de performance des portefeuilles pourrait être considérée comme une fonction de confiance des investisseurs.

Selon la théorie traditionnelle, exprimée en 1980 par Grossman et Stieglitz, une personne rationnelle n’échangerait un titre pour un autre, que si le revenu marginal des titres achetés est supérieur au coût marginal associé à l'opération de négociation. En d'autres termes, si je vends A et j'achète B c'est parce qu'il ya un résultat net positif pour moi. Donc, les portefeuilles avec une activité de trading élevée devraient, en théorie, donner des rendements plus élevés que ceux à faible rotation.

Toutefois, l'expérience de Barber et Odean démontre tout le contraire. Les portefeuilles qui font partie du quartile le plus haut en terme de rotation ont en moyenne sous-performé ceux qui se situaient dans le quartile le plus faible au niveau du turnover, de 5,5% par an (46 points de base sur une base mensuelle). En outre, les portefeuilles du quartile le plus haut en moyenne ont sous-performé l'indice de référence de plus de 6 points (11,2% vs 17,9%, la moyenne de l'ensemble de l'échantillon dans la période s'élève à 16,4%). En substance, les données suggèrent que ceux qui ont une activité de trading intense (c'est à dire un excès de confiance dans leur jugement), en moyenne, ont tendance à recueillir moins de performances, indepéndamment du style d’investissement ou des conditions de marché.

L'instrument financier ne compte pas

"Ces dernières années, les investisseurs ont commencé à se rendre compte que l'activité de négociation, lorsqu'elle est excessive, peut être nocive, surtout en raison des coûts élevés impliqués", a déclaré Lee Davidson, analyste chez Morningstar . "Alors que le débat a pris racine, s'est également développé l'utilisation des Exchange traded products (ETP), grâce à leur coûts contenus." Toutefois, la possibilité d'échanger les ETP en bourse comme des actions, les soumet à l'overconfidence des investisseurs. "Même un portefeuille composé uniquement d’ETP est soumis aux conséquences d’un turnover trop élevé comme tous les autres outils", explique l'analyste.

Nous avons terminé notre voyage au cœur de la finance comportementale. Peut-être que garder à l'esprit les distorsions cognitives discutées pourrait nous aider à battre notre propre pire ennemi en matière d'investissement: nous-mêmes.

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A propos de l'auteur

Valerio Baselli

Valerio Baselli  est éditorialiste sénior chez Morningstar.