Où sont les investisseurs « rationnels » ?

Le « smart money » renvoie à ces investisseurs capables d’exploiter les inefficiences de marché, contredisant la théorie financière qui stipule qu’il est impossible de battre le marché.

Jocelyn Jovène 26.05.2014
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Ceux qui s’intéressent à la Bourse ont peut-être déjà entendu l’expression anglo-saxonne « smart money », cette idée que certains opérateurs de marché (gérants, traders, savent détecter les anomalies boursières et profiter des inefficiences passagères de la Bourse pour réaliser de bonnes affaires.

Selon la théorie financière moderne, tous les participants des marchés financiers sont « rationnels » car ils sont capables de prendre en compte instantanément toute information nouvelle. A tout moment, le prix d’un actif financier reflète correctement sa valeur et toute l’information publique disponible. Dans ces conditions, les marchés sont dits « efficients » et il serait impossible de les battre.

On peut accepter ce principe sur longue période, puisque la Bourse tend en effet à anticiper l’évolution des profits des entreprises. Malgré des fluctuations boursières parfois assez fortes, les cours de Bourse auraient tendance à fluctuer autour de la valeur intrinsèque des sociétés cotées, laquelle évolue en permanence au gré des résultats publiés.

Pourtant, cette théorie rencontre un certain nombre de limites et est souvent décriée. Certains chercheurs ont montré que la rationalité des intervenants était limitée et que de nombreux facteurs psychologiques influençaient leur décision d’investir. L’horizon des investisseurs serait en fait très court, permettant la formation de bulles et de krachs boursiers.

Le suivi des cotations boursières au quotidien donne de surcroît l’impression d’un bruit permanent qui peut avoir un impact sur la décision d’un investisseur.

Dans cet environnement, il existe toutefois des investisseurs « rationnels », capables de battre le marché de manière consistante sur longue période, quel que soit l’état des marchés. Ces investisseurs sont une minorité.

Dans une étude publiée en 2004, Louis Lowenstein, professeur de droit à l’Université Columbia, s’était attardé sur le cas d’une dizaine d’entre eux – tous gérants value – pour évaluer leur performance boursière pendant la période 1999-2003, marquée comme on le sait par la bulle Internet. Comment ces gérants avaient-ils géré cette bulle ? Avaient-ils bondi, comme la majorité des investisseurs, sur des titres comme Enron ou Oracle ? Avaient-ils résisté à la tentation de courir après le « momentum » en cherchant à acheter ce qui faisait le « buzz » du moment ?

Lowenstein nous explique que ces investisseurs avaient plusieurs caractéristiques communes :

  • ils se sont distingués du reste du marché en gérant des portefeuilles relativement concentrés ;
  • ils ont eu tendance à privilégiaer le cash lorsqu’ils manquaient d’idées ou qu’ils jugeaient la Bourse irrationnelle et surévaluée ;
  • ils avaient tendance à peu faire tourner leurs portefeuilles ;
  • enfin, ils avaient une grande partie voire la totalité de leur patrimoine investie dans leurs fonds.
  • tous plaçaient l’analyse fondamentale et l’estimation de la valeur intrinsèque d’un titre au cœur de leur process – l’approche vise à n’acheter un titre que lorsque son prix d’un présente une forte décote ou « marge de sûreté » par rapport à sa valeur intrinsèque ;
  • l’objectif premier de tous ces investisseurs est avant tout de préserver le capital investi, en droite ligne de la première règle de Warren Buffett (« ne pas perdre d’argent »).

 

Le cas Seth Klarman

En novembre 2011, Seth Klarman, l’un des plus brillants investisseurs actuels, donnait une interview pour parler de son expérience d’investisseur. Ayant débuté en 1983 avec 27 millions de dollars, Klarman gère aujourd’hui plus de 25 milliards de dollars et a récemment décidé de rendre 4 milliards à ses clients.

Pour Klarman, beaucoup d’investisseurs sont capables d’apprécier une « bonne affaire ». Mais nombreux sont ceux qui prennent peur lorsque les marchés baissent (or c’est le plus souvent dans les marchés baissiers qu’apparaissent les meilleures opportunités). Le plus difficile n’est pas tant de déterminer la valeur intrinsèque d’un titre, mais plutôt de décider quand acheter, quitte à se tromper dans un premier temps.

Les qualités requises pour détecter les meilleures affaires en Bourse sont la patience, la discipline, ne pas être cupide, savoir rester humble et ne pas utiliser l’effet de levier.

« Investir, c’est trouver un équilibre entre l’arrogance et l’humilité. Acheter un titre constitue un acte arrogant [il sous-entend que vous en savez plus que le marché]. Mais il faut aussi avoir l’humilité d’admettre que l’on peut se tromper », explique Klarman. La première qualité d’un gérant devrait être, selon lui, de défendre les intérêts de ses clients et de résister à la pression du court terme.

Il y a les investisseurs qui investissent et il y a ceux qui réfléchissent à ce qu’ils font. Si vous êtes dans cette deuxième catégorie, vous êtes peut-être un investisseur rationnel, dans le bon sens du terme.

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A propos de l'auteur

Jocelyn Jovène

Jocelyn Jovène  est analyste financier senior et rédacteur en chef de Morningstar France.