Solvency II par l’exemple

L’état d’avancement dans la mise en œuvre en Solvabilité II varie sensiblement entre les institutions. Et entre les marchés.

Alban Duchaine, 05.09.2012
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« Solvency 2, c’est comme pour les voyages en train, il y a ceux qui arrivent longtemps à l’avance, qui s’installent et qui sont confortablement assis en attendant le départ du train et il y a ceux qui arrivent à la dernière minute, courent sur le quai pour attraper le train en marche et soit arrivent à monter de justesse dans le train, soit ratent le train... ». Impliqué dans la mise en œuvre du chantier Solvabilité II, ce chargé de mission d’un groupe d’assurance français s’estime bien loti alors qu’il travaille sur ce dossier depuis plus de 12 mois. Il regrette toutefois d’être dans ce qu’il considère être la 2de classe…

En effet, Solvabilité II est pour les assureurs un gros dossier à traiter : si certains (relativement peu nombreux selon nos entretiens) ont préféré anticiper et prendre de l’avance, beaucoup attendent d’y voir plus clair, il n’est pas sûr que ces derniers soient in fine les plus mal lotis arrivé le moment de l’implémentation effective de Solvabilité II. On constate en effet que plusieurs institutions, et asset managers, de taille importante et disposant des ressources nécessaires pour voyager en 1ère sont en train d’allouer des ressources financières et humaines conséquentes pour basculer leur gestion et leur contrôle des risques au regard des exigences de la nouvelle réglementation. Concrètement, depuis septembre dernier on assiste à une accélération dans la prise de conscience des obligations liées à Solvabilité 2 ; mais à des niveaux inégaux.

Naturellement, les sociétés de gestion se sont essentiellement focalisées sur  le calcul et la transmission des différents SCR de marché de leurs fonds pour répondre aux exigences du Pilier 1. Il y a 1 an, seul les plus gros travaillaient sur cette problématique et depuis le début de l’année, les gérants aux actifs sous gestion plus modestes mais comptant des clients institutionnels s’y sont mis eux aussi. Sachant que les principaux problèmes résident dans le traitement des obligations convertibles, des dérivés, des opérations de « repos » court terme, etc… Les dépositaires aussi s’intéressent à ces calculs et essayent de proposer des solutions, mais ils sont limités dans cette démarche aux seuls fonds ou mandats déposés chez eux.

Besoin de normalisation

Jusqu’à présent, surtout chez les gérants français, il y avait beaucoup de réticence à fournir la transparence de leur portefeuille, un certain nombre d’entre eux ne voyant pas l’intérêt de « disclosures » régulières alors que les pratiques ont sensiblement évolué au niveau international au cours des dernières années. Solvabilité 2 de ce point de vue les contraint à plus de transparence et ils commencent donc à mettre en place des processus pour transmettre les données de portefeuille sur une base régulière ; avec plus ou moins de succès… car il n’existe pas encore d’harmonisation sur les formats de transmission. Si certains groupes de travail existent bien au sein de l’AFG (via Funds XML), du Club Ampère… et chez les consultants, il y a toutefois encore du chemin à faire pour harmoniser les référentiels émetteurs, contreparties, traiter les dérivés… Ce sont donc essentiellement les multi gérants (dont font partie les assureurs) qui sont confrontés à des problématiques de consolidation de leurs portefeuilles.

Si les institutions se sont également concentrées sur les calculs des SCR au sens large du Pilier 1 (SCR Vie, Non-Vie, Santé, Marché, Contrepartie), il nous semble qu’il y a beaucoup de retard sur le Pilier 2 (pourtant le plus important) et le Pilier 3. Sur le Pilier 3 qui traite de la communication, à la décharge des institutions il convient de noter que ces dernières attendent la version finale des modèles des rapports quantitatifs (QRTs) avant d’y consacrer du temps et des moyens. Sur le Pilier 2, ce retard est plus problématique. Rappelons qu’au-delà du « simple » calcul mathématique pour déterminer le ratio de solvabilité d’une institution, Solvabilité 2 a surtout vocation à concrètement se poser les bonnes questions et d’être capable d’y apporter une réponse documentée :

-       A quels risques suis-je exposé ?

-       Quelle est ma tolérance au risque ?

-       Quels sont mes objectifs financiers/stratégiques ?

-       Comment doivent évoluer mon allocation et mes moyens financiers à court et long terme ?

-       Quel est mon mécanisme opérationnel de gestion de tous les risques ?

-       Mon degré de remontée d’informations (reporting) est-il suffisant ?

Le Pilier 2 avec le mécanisme de l’ORSA (Own Risk and Solvency Assessment) est donc un élément clé du dispositif d’évaluation interne des risques et de la solvabilité. L’ORSA est de la responsabilité de la direction générale qui est en charge de son pilotage et de ses résultats vis-à-vis du régulateur.

Implication stratégique

Les assureurs français ont pleinement intégré le fait que la mise en œuvre de Solvabilité 2 dépend de la direction générale. Quelque soit la taille de l’institution, c’est la DG qui supervise ce dossier. Les institutions disposant d’une organisation étoffée avec une direction des Investissements, une direction Informatique et/ou une direction des Risques impliquent toutes leurs équipes auxquelles s’ajoute le trésorier. La mise en œuvre de Solvabilité 2 est un projet majeur qui implique tous les départements de l'entreprise et ses principaux partenaires.

Mais jusqu’à présent, il apparaît que les principales ressources ont été allouées aux systèmes d’information pour pouvoir consolider, traiter et calculer la marge de solvabilité. L’enjeu est l’acquisition des données de l’actif (mais aussi du passif, que les assureurs disposent déjà), la traçabilité des données et leur fiabilité. Et pour cause, de ces données découlent les différents calculs du Pilier 1 et les différentes informations à communiquer pour le Pilier 3. Le Pilier 2 dépend aussi de la fiabilité des données mais s’agissant d’une organisation documentée à mettre en place et d’indicateurs complémentaires à élaborer, le Pilier 2 peut être mené en parallèle.

Globalement, au travers des entretiens que nous avons pu conduire dans différents pays, les assureurs français semblent plus en avance sur la mise en œuvre de Solvabilité 2 que leurs homologues européens. Les gros assureurs français ont partiellement développé des modèles internes qu’ils ont déjà soumis pour certains d’entre eux à l’ACP pour pré-validation. Une grande majorité d’institutions, toutes tailles confondues, ont instauré des groupes de travail (supervisés par la DG) au sein de leur organisation et se sont sérieusement penchées sur les exigences de Solvabilité 2 et les modifications que cela induit. En Europe du Sud, les assureurs Italiens, Portugais, Espagnols viennent tout juste de commencer pour une dizaine d’entre eux seulement à lancer un programme Solvabilité 2.

Différences d’enjeux

Au Royaume-Uni, les institutions butent sur les mêmes problématiques que les Français : disposer de données fiables, harmonisées et en temps voulu de la part de leurs gérants d’actifs ou des fournisseurs de données. Sur le Pilier 2 et la mise en place d’un processus organisationnel documenté d’évaluation des risques, Solvabilité 2 s’inspirant des règles de gouvernance anglo-saxonne, les Anglais ont un temps d’avance. Outre-Rhin, leurs homologues allemands parient quant à eux…sur la non mise en œuvre de Solvabilité 2, ou du moins sur son allègement, ou sur un calendrier repoussé. Par conséquent ils n’ont pas réellement commencé pour la plupart d’entre eux à mettre en place le début de quoi que ce soit. Parions que si Solvabilité 2 est bien appliquée le 1er janvier 2014, les Allemands feront en sorte non seulement de monter dans le train, mais de voyager en 1ère classe…

Quoiqu’il en soit, plus de la moitié des institutions, en tous cas en France, font appel ou vont faire appel à des prestataires externes pour les aider à implémenter Solvabilité 2.

Encadré

Solvabilité 2 impose une obligation de résultat aux gérants

Les études Morningstar démontrent que 40% des actifs des investisseurs institutionnels sont délégués à des sociétés de gestion, internes ou externes. Si l’on en croit les directeurs financiers d’institutions de 1er plan, ce chiffre pourrait bien augmenter à partir du 1er janvier 2014, date de l’entrée en vigueur de la nouvelle réglementation Solvabilité 2. En effet, même si cette date s’accompagnera de nombreuses mesures transitoires pour rendre moins brutal le passage du système actuel au nouveau, les directions financières seront appelées à des tâches bien plus larges, elles vont donc encore plus déléguer la gestion de leurs actifs. Les poches seront peut-être confiées à moins de gérants, mais ceux-ci devront préparer tout le travail permettant de répondre aux contraintes réglementaires. Les gérants doivent pouvoir expliquer comment ils comptent générer des rendements à un horizon le plus prévisible possible, c’est-à-dire entre deux et trois ans. Le contrat entre l’institutionnel et la société de gestion va nécessairement évoluer. Les investisseurs institutionnels suivent au plus près les résultats des gérants et ne peuvent aujourd’hui tolérer qu’une performance se situe au-dessous des objectifs. Nous sommes passés d’une obligation de moyens à une obligation de résultats.

Tout cela demande une grande proximité entre les acteurs. Les gérants doivent connaître leurs clients assureurs et mutualistes et leurs passifs, afin d’adapter la gestion de leurs actifs. Cependant, l’assureur et la mutuelle conserveront la main sur l’allocation d’actifs. La directive confère un temps d’avance aux filiales de compagnies d’assurances et des mutuelles, en raison de la complexité de cette réforme et du lien étroit avec l’institution actionnaire. Cela demande, en effet, des moyens techniques et humains adaptés et surtout de pouvoir travailler conjointement avec plusieurs métiers : finance de marché mais aussi technique assurantielle et actuaire, contrôle des risques, technologies, communication... Ainsi, sans dévoiler de secret, AXA France compte s’appuyer avant tout sur les sociétés de gestion du groupe : AXA IM et Alliance Bernstein. Les assurances du Crédit Agricole, quant à elles, mettent à contribution CACEIS, le dépositaire maison.

Cet article a été initialement publié dans le magazine Morningstar Professional de juin 2012.

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