Solvabilité II, entre craintes et enjeux

Contrainte de la réglementation : elle donne aux assureurs une grande liberté de mise en œuvre à assumer.

Tanguy de Lauzon, 23.08.2012
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A mesure que l’on se rapproche du 1er janvier 2014, date à laquelle entrera en vigueur Solvabilité II, la réforme réglementaire européenne du monde de l'assurance, la tension monte chez les opérateurs. Alors que depuis la publication de la proposition de directive Solvabilité II par la Commission Européenne en juillet 2007, et son vote par le Parlement Européen en avril 2009, le dossier avançait à un train de sénateurs, on est clairement passé à la vitesse supérieure chez les assureurs européens.

Pour les professionnels, au-delà du coût en capital supplémentaire induit par Solvabilité II, l’enjeu et la difficulté se trouvent d’abord dans sa mise en œuvre. Dans leur principe, les choses sont simples : la solvabilité est la capacité pour un assureur à respecter les engagements de long terme qu’il prend auprès de ses clients. Ces engagements sont les garanties et protections offertes aux assurés. En contrepartie de ces engagements, l'assureur investit dans différents actifs (actions, obligations, immobilier) dans lesquels il investit les fonds confiés par les assurés. En cas de diminution de la valeur des actifs, la solvabilité est fragilisée.  C’est pour garantir la solidité des assureurs que l’Union Européenne a commencé à mettre en place un régime de solvabilité dans les années 1970 qui a donné lieu à la directive Solvabilité I appliquée depuis 2004.

Afin de garantir leur solvabilité, les sociétés d’assurances doivent disposer de fonds propres en quantité suffisante pour faire face à des événements imprévus (aussi bien sur la valeur des actifs que sur les engagements, par exemple en cas de hausse de la sinistralité) tout en respectant leurs engagements : ce sont les capitaux propres réglementaires. C’est la réglementation, notamment européenne, qui détermine le niveau de ces capitaux. En effet, l’Union européenne promeut un marché unique des biens, des services, des capitaux et des personnes. L’objectif est d’éliminer les distorsions de concurrence qui peuvent être induites par des réglementations nationales différentes.

Les principaux objectifs

Les objectifs de la nouvelle directive sont variés. Il s’agit d’élargir et de développer le cadre réglementaire actuel pour le rendre plus robuste et plus cohérent en évitant les dispositions « pro-cycliques » (vendre par exemple les actions quand elles sont inscrites dans un mouvement baissier, ce qui va accentuer la tendance) pour mieux garantir l’équilibre financier des sociétés d’assurance. Et de mieux tenir compte de la complexification des produits d’investissement (entre autres au niveau des produits dérivés) qui rendent la réglementation existante obsolète.

Les assureurs sont donc invités à mieux comprendre et mesurer les risques que portent leurs portefeuilles, et avoir les fonds propres nécessaires. Cela passe notamment par la prise en compte de divers types d’interdépendance  (en particulier la corrélation entre les engagements de l’assureur et ses actifs, au lieu de les considérer de façon indépendante).

La directive permettra également d’harmoniser les différentes pratiques comptables européennes du monde de l’assurance avec les normes internationales.

Trois piliers

Solvabilité II comporte trois « domaines » principaux (« piliers »). Le pilier 1 concerne les exigences quantitatives de la directive, notamment sur l’évaluation des provisions techniques et le calcul de la marge de solvabilité. Ce dernier est fondé sur l'exposition à l’ensemble des risques liés à l'activité de la compagnie. On peut citer par exemple le risque de souscription, le risque de contrepartie, le risque opérationnel, le risque de liquidité ou le risque de marché. Une compagnie qui ne serait pas en mesure de démontrer que son niveau de fonds propres est suffisant pour couvrir ces risques devra soumettre à son autorité de contrôle pour approbation un plan précisant comment et quand elle pourra à nouveau respecter ces critères.

Le pilier 2 met l’accent sur les exigences qualitatives, en soulignant l’importance de la bonne gouvernance pour la gestion du risque de l’assureur et pour l’efficacité de la supervision. Enfin, les entreprises devront publier un rapport annuel plus complet que ce qu’elles font actuellement sur leur solvabilité et leur situation financière (pilier 3).

Par rapport à Solvabilité 1, la nouvelle réglementation introduit des modifications profondes quant aux règles prudentielles en matière d’assurance en mettant la gestion des risques au cœur du système. Cette réforme vise à responsabiliser les assureurs en leur donnant une liberté de choix accrue.

Dans la lignée de Bâle II qui concerne le monde bancaire, l’objectif est de mieux adapter les fonds propres exigés des compagnies d'assurances et de réassurance avec les risques que celles-ci encourent dans leur activité. Sous Solvabilité 1, la marge de solvabilité est calculée en proportion des volumes de prime, des sinistres, des provisions mathématiques et des taux de cession en réassurance. La vision en valeur historique est la règle. Solvabilité 2 instaure, pour les besoins du calcul de la marge de solvabilité, un nouveau mode d’évaluation des différents éléments du bilan : les actifs et les passifs doivent être estimés en “fair value”, en particulier en valeur de marché si celle-ci existe, par opposition à la valeur d’acquisition ou en « mark to model ».

Même s’ils peuvent paraître techniques ou anecdotiques, ces changements constituent une petite révolution pour la plupart des assureurs en les obligeant à bouleverser intégralement l’approche de leur métier. En effet la réglementation précédente était très codifiée et administrative, listant tout ce qui était autorisée pour les assureurs. La nouvelle directive part d’un principe inverse : l’assureur peut faire ce qu’il veut, à condition de :

-              comprendre les risques qu’il prend

-              savoir les mesurer

-              avoir les fonds propres nécessaires pour faire face à ces risques

-              pouvoir prouver au régulateur ces différents points.

Une révolution culturelle ?

En fait, avec Solvabilité II, et c’est l’une de ses difficultés, on passe d’une vision normée et de contrôle de ratios à une vision de principes, d’esprit, et de responsabilisation des acteurs. Avec une importance cruciale donnée à une gestion intégrée des risques.

Le pilier 2 oblige par exemple chaque assureur à s’auto-évaluer et à repenser entièrement son organisation pour s’adapter à cette nouvelle donne. Une des difficultés est que la directive donne essentiellement des principes. Le régulateur souhaite en effet laisser à chaque organisation le soin de définir son propre schéma organisationnel et n’a défini à ce titre que les fonctions clés et des attentes très générales.

La directive insiste sur l’importance de la fonction de gestion des risques qui doit être efficace et intégrée à l’organisation. Elle fixe également un périmètre minimal en termes de risques couverts (les risques entrant dans le calcul du SCR) mais en laissant à l’assureur la responsabilité de vérifier que la mesure des risques est bien représentative de la réalité. Ainsi l’ORSA (Own Risk and Solvency Assessment) est un élément clé du dispositif d’évaluation interne des risques et de la solvabilité qui doit être mise en place par chaque assureur. L’ORSA est de la responsabilité de la Direction Générale qui est en charge de son pilotage et de ses résultats vis-à-vis du régulateur. Il s’agit de répondre à 3 points majeurs. D’une part mettre en place des processus d’évaluation des besoins en solvabilité et de gestion des risques parfaitement adaptés à l’assureur, d’autre part s'intégrer au processus décisionnel de la stratégie de l’assureur et de sa stratégie commerciale (alors que jusqu’à présent les directions financières pouvaient parfois avoir tendance à fonctionner « en vase clos ». Et ainsi pouvoir être réévalué suite à toute modification significative du profil de risque de l’organisation. On voit ici que la gestion des risques doit être pleinement intégrée au métier de l’assureur.

Quels impacts ?

La directive est loin de faire l’unanimité. Notons que la crise financière a rendu les débats plus houleux sur la nouvelle directive. Elle a renforcé la conviction du régulateur de légiférer pour se prémunir des risques dits systémiques. Le modèle standard de calcul de la marge de Solvabilité a été fortement durci lors du dernier test qui a été mis en place en 2011, pénalisant notamment les actions (le choc appliqué aux actions est ainsi passé de 32% à 39% par rapport au test précédent). Certains acteurs ont également critiqué la faiblesse relative des capitaux requis en face des investissements en emprunt d’Etat, accusant les gouvernements de chercher à favoriser leur financement.  Mais après la restructuration de la dette grecque, le traitement de faveur des emprunts d’Etat de la zone euro semble devoir être revu à la baisse.

L’impact de la directive sur les stratégies d’investissement des entreprises d’assurances est difficile à quantifier mais il est potentiellement énorme. D’après les chiffres de la FFSA (Fédération Française des Sociétés d’Assurance), les sociétés d’assurance française détiennent en portefeuille 1.600 milliards d’euros, dont plus de 850 milliards d’euros investis dans les entreprises (actions, obligations), dont 23 milliards d’euros dans les PME.

Notons que la plupart des assureurs ont diminué au cours des dernières années au sein de leurs portefeuilles le poids des actions, ce qui a certainement pesé sur les marchés…

Encadré

Pilier 1 : exigences quantitatives

Le niveau des capitaux propres doit être proportionné au risque des passifs et actifs détenus par les assurances : ainsi plus un actif est risqué, plus les capitaux propres correspondants doivent être élevés, afin de donner à la société d’assurance la possibilité de faire face à ses engagements en cas de baisse de valeur exceptionnelle. Les investissements en produits monétaires ou les obligations d’État de la zone Euro seront très peu impactées car ils sont considérés comme les actifs les moins risqués. En revanche, les actions des pays de l’OCDE entraîneront un besoin en capital de 39% des montants investis. Ce taux augmente même à 49% pour les actions des pays émergents ou les actions non cotées.

Les corrélations entre éléments du passif et de l’actif seront également dorénavant prises en compte. Le calcul se fonde sur une valorisation économique des éléments de bilan pour les besoins prudentiels, et notamment le calcul des provisions techniques.  La directive inclut enfin l’application d’un « niveau explicite de prudence » dans le calcul des provisions techniques (rapprochement entre les hypothèses utilisées dans le calcul et différents benchmarks)

La marge de solvabilité est appréciée sur deux niveaux. Le SCR (Solvency Capital Requirement) représente le « capital cible » nécessaire pour absorber le choc provoqué par un risque majeur (par exemple : un sinistre exceptionnel, un choc sur les actifs...). Il est calculé pour une faible probabilité de faillite (99.5%, soit couvert pour tous les risques sauf 1 année sur 200). L’estimation peut se faire par l’utilisation d’un modèle standard ou de modèles de risques internes (en cohérence avec les caractéristiques propres à l’activité exercée de l’assureur et avec l’organisation mise en place). Quant au MCR (Minimum Capital Requirement), il représente le niveau minimum de fonds propres en dessous duquel l'intervention de l'autorité de contrôle sera automatique.

Cet article a été initialement publié dans le magazine Morningstar Professional de juin 2012.

 

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