L’engagement du long terme

Peu contraint sur le court terme, Philippe Desfossés, directeur de l’ERAFP, veut mettre en place une gestion financière « soutenable ».

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Gérer un régime de retraite de création récente présente des avantages qu’un certain nombre de vos confrères doivent vous envier ?
L’ERAFP (Établissement de Retraite Additionnelle de la Fonction Publique), mis en place en 2005, subit les contraintes inhérentes à toute jeune structure qui poursuit sa mise en place et doit affiner ses procédures. Le Régime devant atteindre son rythme de croisière à l’horizon 2045-2050, il est vrai que notre gestion actif-passif s’inscrit sur le long terme.

Concernant la gestion actif-passif, nous disposons certes d’une certaine tranquillité d’esprit, mais il convient toutefois de rester vigilant et d’éviter toute situation qui risquerait, à terme, de pénaliser le régime dans 20 ou 30 ans. À titre d’exemple, à mon arrivée en 2008, j’ai constaté que la valorisation du point de service progressait plus vite que celle du point d’acquisition. Ainsi le rendement technique était passé de 4% à 4,075% entre 2005 et 2008.

Depuis lors, le conseil d’administration a fait le choix de le maintenir à ce niveau. Derrière ce rendement technique et son évolution se cache l’enjeu de la solidarité intergénérationnelle, qui elle-même repose sur une question d’équité et oblige l’ERAFP à une grande rigueur. Cette rigueur se traduit par l’utilisation d’un taux d’actualisation relativement bas et de fait très prudent.
La situation d’un régime en phase de montée en charge, par définition favorable, ne saurait autoriser le versement de prestations payé par le sacrifice des jeunes cotisants.

Même 4% de rendement technique, n’est-ce pas un peu optimiste ?
L’effort de provisionnement d’un régime en capitalisation est d’autant moins important qu’il calcule la valeur actuelle de ses engagements en utilisant un taux d’actualisation plus élevé. Il faut toutefois être prudent car le rendement de l’actif du régime doit être au moins égal au taux de rendement du passif. Dans le contexte actuel, dont certains estiment qu’ils annoncent « a new normal », 4% en termes nominaux apparaît un chiffre acceptable. Pour autant, le maintien des taux des titres souverains à des niveaux historiquement bas (le 10 ans US est au plus bas depuis 60 ans…) conduirait nécessairement à reconsidérer cette analyse.

Par souci de prudence, le conseil d'administration de l'ERAFP a toujours retenu un taux d'actualisation très prudent (1,7% pour le dernier). Depuis la création du Régime, le rendement des placements a permis à la fois de provisionner de manière très solide les engagements de l'ERAFP et de revaloriser sensiblement des prestations versées (pour l'essentiel sous forme de capital car le Régime est trop jeune pour que les cotisants qui demandent la liquidation de leur prestation aient eu le temps d'accumuler le nombre des points minimum à partir duquel une rente est versée).

Comment mettez-vous à profit cette plus grande liberté de mouvement ?
L’ERAFP se trouve dans la situation idéale d’un investisseur avec un horizon à 30 ans. Pour autant nous devons respecter de nombreuses règles prudentielles, avec l’obligation de couvrir en permanence l’intégralité de nos engagements. En termes d’allocation, notre exposition aux actions, en titres vifs ou via des fonds, est plafonnée à 25% de nos actifs et notre exposition obligataire est de 65% au minimum.


En 2009, le conseil d’administration a proposé une évolution réglementaire visant à élargir le champ d’investissement du régime pour l’ouvrir à des classes d’actifs telles que immobilier, forêts, non coté… Cette réforme est finalement entrée en vigueur fin décembre dernier. Nous nous sommes, par ailleurs, résolument engagés dans une démarche d’Investisseur Socialement Responsable (ISR). L’ERAFP a ainsi engagé un important travail dans le domaine de l’ISR en instaurant une Charte reposant sur 5 valeurs (État de droit et droits de l’Homme, progrès social, démocratie sociale, environnement, bonne gouvernance et transparence) constitutives de l’intérêt général.


N’obéissez-vous pas un peu à un phénomène de mode autour de l’ISR ?

Non, c’est même le contraire en ce qui nous concerne.

C’est un choix opéré par le conseil d’administration au moment même de la création du Régime. Derrière ce choix originel, apparaît une volonté de sortir du primat de la maximisation du profit immédiat, dont nous ne pouvons que constater aujourd’hui encore les conséquences et les dégâts, pour promouvoir l’investissement soutenable. La question du passif environnemental qui rompt l’équité entre générations est posée. Elle l'est d'autant que les générations adultes actuelles, pour reprendre les propos de Saint-Exupéry, n'ont toujours pas compris qu’elles ne font qu’emprunter la terre à leurs enfants.

Mais au-delà de la question écologique, se pose la question de la soutenabilité des engagements pris par le Régime à l’égard des cotisants. Pour un régime de retraite, retenir un taux d’actualisation des engagements trop optimiste, conduit à rechercher des taux de rendement élevés en investissant dans des actifs exposant à des risques proportionnels aux rendements. Lorsque Calpers actualise ses engagements à un taux de 7,75%, sur quelle allocation d’actifs se base cette promesse ? Il convient de cesser les promesses sous tarifées, ces dernières conduisant inévitablement à des prises de risques inconsidérées !


Arrivez-vous à vous abstraire de la « dictature de l’indice » ?

Les indices de marchés dont la pondération est fonction de la capitalisation boursière ont gagné en popularité avec la théorie des marchés efficients. Mais la réalité montre que les marchés sont loin d’être toujours efficients. L’ERAFP a travaillé avec l’EDHEC et un fournisseur d’indices à la création d’un indice conforme à nos options ISR et à notre volonté de ne plus recourir aux seuls indices pondérés par les capitalisations boursières. Les indices pondérés par la capitalisation boursière sont très concentrés sur les plus grandes entreprises .

Cette approche, parce qu'elle réduit la procyclicité, rend ce type de gestion attractif même pour un investisseur de long terme comme l’ERAFP. Nos règles de comptabilité nous imposent de provisionner ligne à ligne et, sur l’exercice où elles sont observées, les moins-values latentes sur  les actions (plus généralement les actifs à revenu variable) et l’impératif de solvabilité (couvrir les engagements du Régime par des actifs d’un montant au moins équivalent) s’applique à tout instant. Cette réduction de la volatilité signifie une moindre participation aux bulles des marchés, ce qui peut se traduire concrètement par une "sous-performance" sensible lors des phases de hausse prolongées et "d’exubérance irrationnelle des marchés".

Au-delà de la problématique de l’indice, même si nous n’avons pas de contraintes de liquidité avant plusieurs dizaines d’années, la tutelle (le ministère du Budget, des Comptes publics et de la Réforme de l'Etat ; le ministère de l'Economie, des Finances et de l'Industrie ; le ministère de la Fonction publique, le ministère du Travail, de l'Emploi et de la Santé ; le ministère des Solidarités et de la Cohésion sociale) reste attachée à un investissement essentiellement obligataire. On peut espérer qu’au vu des interrogations qui entourent les dettes souveraines, nous pourrons maintenant avancer pour que le Régime puisse enfin investir dans des actifs réels (infrastructures, terres agricoles, l'eau,...) pour lesquels la demande est avérée et dont la valorisation assure une bonne protection contre l’inflation.

ENCADRE

 


Le RAFP est un régime de retraite complémentaire des 3 fonctions publiques (d’Etat, territoriale, hospitalière) dont l’assiette de cotisation est constituée par les éléments de rémunération qui n’entrent pas dans le calcul du salaire de base (le montant des primes et indemnités pris en compte pour calculer les cotisations et les droits sont plafonnés à 20% du traitement indiciaire annuel). Ces montants sont soumis à une cotisation de 10% (5% à la charge de l’employeur, 5% à la charge du fonctionnaire).

Chiffres clés

4,7 millions de bénéficiaires
45012 employeurs au 31 juillet 2011
1, 7 milliards d’euros de cotisations en 2010
130.000 bénéficiaires de prestation en 2010
Actifs au 31/12/2010 : 9,85 Mds d’euros
Actifs au 31/07/2011 : 10,8 Mds d’euros
Provision non technique : 1,3 Mds d’euros au 31/12/2010
Taux de couverture réglementaire à fin 2010 : 116 %

Portefeuille de l’ERAFP au 31/07/2011

Obligations : 77%
-        Etat : 70% géré en direct
-        Privé : 7%, géré via 2 mandats auprès d’Amundi et Groupama AM
Actions : 20%, géré via des mandats auprès d’Amundi, Axa IM, BNP PAM, EDRAM, Rothschild et Cie Gestion
-        France : 6,4%

Philippe Desfossés
A la sortie de l’ENA, il rejoint le Trésor en 1985 où il occupe différents postes à l’international (Mexique, Afrique, Etats-Unis). En 1995 il rejoint comme conseiller le cabinet de Jacques Barrot alors Ministre du travail et des affaires sociales. Au terme de ce parcours dans la fonction publique, il passe dans le privé en 1997 chez Axa où il assume différentes fonctions avant de rejoindre l’ERAFP en 2008.


Ses 3 chantiers
-Mettre en place une gestion ISR car la gestion d’un régime de retraite se conçoit sur le long terme en prenant des engagements tenables à longue échéance.
-Sortir des classes d’actifs conventionnelles et appliquer une gestion « long terme » sur le non coté, la terre agricole, l’immobilier, etc.
-Préserver l’exceptionnelle solvabilité du régime (taux de couverture de 116% des engagements par les actifs du Régime).

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A propos de l'auteur

Frédéric Lorenzini

Frédéric Lorenzini  est Directeur de la Recherche de Morningstar France.