Un autre argument en faveur d’une mesure de marché

Comment Morningstar utilise les prix de marché pour sa notation de crédit.

Haywood Kelly 04.10.2011
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Lorsque nous avons mis au point en 2009 la notation de crédit Morningstar pour les émissions des entreprises privées, nous avions deux objectifs en tête : avoir une vision prospective et être réactif. Personne n’avait alors besoin d’un rétroviseur supplémentaire pour juger de la santé financière des émetteurs. Afin de donner une dimension prospective à nos notations, nous avons utilisé des mesures comme la notation de Barrières à l’entrée (Economic Moat, qui présente, sous une forme synthétique, la probabilité pour une entreprise de conserver un rendement du capital investi supérieur à la moyenne) et les prévisions de nos analystes en matière de flux de trésorerie pour les cinq années à venir. Pour garantir le caractère réactif de cette notation, nous avons intégré dans son calcul une mesure de la santé financière fondée sur le marché : la distance du défaut.

Comme l’explique William Mast dans son article Redéfinir le risque de crédit au sujet des CDS, les marchés sont bien souvent un indicateur majeur des difficultés financières des entreprises. Dans de nombreux cas, les prix de marché reflètent une dégradation de la solvabilité d’une entreprise bien avant que celle-ci n’apparaisse dans ses états financiers, dans les prévisions des analystes ou dans les notes de crédit traditionnellement attribuées par nos homologues, tels que S&P ou Moody's. Prenant appui sur nos propres contrôles a posteriori et sur des travaux académiques menés en interne, la distance du défaut s’est avérée être un précieux indicateur, à même de révéler en amont une situation de difficulté financière, car elle intègre des signaux du marché décelés en temps réel.

Haywood

Prenons l’exemple d’Ambac, seule société notée par Morningstar qui a fait faillite en 2010, (nous avions commencé la couverture de cette entreprise avec un C). Le diagramme ci-contre montre la dégradation de la distance au défaut d’Ambac lors de son évolution vers la faillite. En février 2008, la probabilité de faillite de cet assureur a bondi, pour passer de 17 % à plus de 55 %, signe de graves difficultés financières. En revanche, il a fallu attendre jusqu’en juin 2009 pour que S&P revoie à la baisse sa note sur Ambac, qui a alors été ramenée en dessous du niveau « investment grade ». Moody's a été un peu plus prompt à réagir, en abaissant sa note sur Ambac en dessous du niveau « investment grade » à partir de novembre 2008.

Distance et probabilité de défaut du groupe Ambac

Les données du marché qui viennent alimenter notre modèle de calcul de distance au défaut ne sont pas les prix des CDS mais les prix des actions. Pour les détenteurs de titres de dette, les fonds propres d’une société constituent dans la structure de son capital le coussin sur lequel ils peuvent s’appuyer pour amortir les chocs de marché. Tant que les fonds propres ont une valeur, leurs obligations en ont également une. Le niveau absolu du prix des actions et la volatilité historique des cours boursiers sont intégrés dans l’algorithme de calcul de la distance au défaut. Lorsque le cours boursier d’une entreprise chute, sa note de distance du défaut se détériore ; de même, plus le titre d’une société est volatil, plus sa note est mauvaise. De manière intuitive, c’est logique : en effet, à mesure que le coussin d’une société s’amenuise, ou lorsque les incertitudes sur la valeur de ce matelas sont grandes, les obligations deviennent plus risquées.

L’utilisation des cours de bourse comme indicateur de marché présente un avantage pratique qui réside dans la liquidité supérieure des marchés boursiers par rapport à celle du marché des CDS. En effet, sauf demande constante pour les CDS d’un émetteur donné, il n’existe que rarement un prix disponible pour ce type de titres. Dans l’univers du haut rendement, la disponibilité des CDS est particulièrement erratique. Sachant qu’un quart de notre univers est noté BB ou moins, le recours aux CDS ne constitue tout simplement pas une option envisageable. Aussi, même si les prix des CDS sont des indicateurs extrêmement utiles lorsqu’il existe des prix liquides et disponibles, ils n’offrent pas (pas encore, du moins) une couverture suffisamment étendue pour être utilisés par Morningstar dans le calcul des notes de crédit des entreprises.

Mais alors, pourquoi ne pas recourir aux prix des obligations ? Nos analystes gardent un œil sur les fluctuations de prix des obligations des sociétés qu’ils suivent. Mais une fois encore, ils sont confrontés à des problèmes de liquidité. Une part importante des obligations privées sommeillent au bilan des sociétés d’assurance, des fonds de pension et d’autres détenteurs obligataires institutionnels qui disposent d’un horizon de long terme. Certaines de ces obligations peuvent ne pas se négocier pendant des mois, privant ainsi de tout contenu informatif le prix qui leur est attribué. D’un point de vue pratique, les cours boursiers apparaissent comme le meilleur indicateur, à toutes fins utiles, du sentiment du marché.

 

Cet article a été initialement publié dans le magazine MorningstarProfessional de juin 2011.

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A propos de l'auteur

Haywood Kelly  Guest Author