Retour sur les Emergents ?

Stratégiste Marchés émergents chez IGN, Maarten-Jan Bakkum privilégie Chine, Inde et Russie.

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Le meilleur graphique que nous puissions montrer ce mois-ci est sans doute l’indice des surprises économiques aux États-Unis (voir ci-dessous). Depuis sa création en 2003, cet indice n’a été plus bas qu’à une seule reprise, à la fin de 2008, après un repli de quatre mois consécutifs.  Le fait que le déclin et le niveau de l’indice soient aujourd’hui similaires à ce qui a été observé au plus fort de la crise du crédit peut s’expliquer par l’excitation excessive à propos des perspectives de la croissance américaine au cours des six mois précédant mars.

Alors que les indices relatifs aux surprises ont déjà enregistré un repli substantiel, les indicateurs avancés ne se sont jusqu’à présent détériorés que marginalement. Ceci suggère un optimisme excessif depuis l’été de l’année passée, mais signifie également qu’il subsiste un important risque baissier pour la croissance américaine au cours des prochains trimestres. Dans ce contexte, nous estimons que la prudence est toujours de mise pour les marchés particulièrement sensibles à une faiblesse de la croissance américaine et mondiale, comme le Mexique ou la Corée. Par conséquent, nous recherchons de plus en plus au sein de l’univers émergent une exposition aux marchés tirés par la demande domestique d’origine endogène. Ce thème a été payant au second semestre de 2008 et au premier semestre de 2009, lorsque les craintes relatives à la croissance des marchés développés étaient à leur apogée.

Les marchés ayant alors le mieux performé sont la Chine, l’Inde et l’Indonésie. Aujourd’hui, la Chine et l’Inde font à nouveau partie de nos marchés favoris. Ces deux pays offrent de solides perspectives de croissance domestique grâce essentiellement à des facteurs endogènes tels qu’une forte croissance du revenu disponible et d’ambitieux programmes de construction résidentielle et d’investissements en infrastructure (voir graphique ci-dessous).

Tant en Chine qu’en Inde, la politique monétaire a été davantage resserrée que dans le reste du monde émergent au cours de l’année écoulée (voir graphique suivant). Par conséquent, nous pensons que dans ces deux pays, le risque inflationniste est plus faible qu’il ne l’était il y a quelques trimestres et qu’il ne l’est encore dans plusieurs autres économies émergentes dont la banque centrale a été moins ferme. L’Indonésie est l’un de ces pays où les pressions inflationnistes pourraient, selon nous, facilement déraper. La banque centrale n’a relevé son taux de base qu’à une seule reprise (25 points de base en février). Ceci est la principale raison nous incitant à ne pas privilégier ce marché à l’heure actuelle en dépit de son important potentiel de croissance endogène.

La détérioration des perspectives de croissance aux États-Unis et la fragilité persistante de la périphérie de la zone euro - laquelle est susceptible d’affecter l’ensemble de la zone euro - renforcent l’attrait d’un investissement dans la robuste croissance de la demande domestique des marchés émergents. Nous avons expliqué notre préférence pour la Chine et l’Inde dans cette perspective. Durant la période précédant mars de cette année, lorsque l’excitation relative à la croissance américaine était grande, ces deux marchés ont clairement été malmenés. Les risques inflationnistes augmentaient et les flux de capitaux vers la Chine et l’Inde se sont taris en raison de la perception d’une amélioration des perspectives pour les actions américaines. Le thème de la demande domestique des marchés émergents a tout simplement été relégué à l’arrière-plan. Ceci a désormais changé.

Aujourd’hui, les perspectives en matière d’inflation constituent un autre facteur distinctif important pour les marchés d’actions du monde émergent. Nous avons mentionné la différence entre la Chine et l’Inde, d’une part, et l’Indonésie, d’autre part. En dehors de l’Indonésie, nous sommes d’avis que le Brésil et la Turquie sont deux marchés importants où les risques inflationnistes demeurent élevés. Une croissance économique supérieure au potentiel, un marché du travail serré et des banques centrales n’ayant pas suffisamment tenté de ramener le taux de croissance à un niveau tenable sont les raisons expliquant pourquoi le Brésil et la Turquie ne correspondent pas notre idée de solides marchés tirés par une croissance de la demande domestique d’origine endogène. Du moins pas pour l’instant.

La Russie ne fait pas non plus partie de cette catégorie, simplement parce que l’économie y est fondamentalement faible, peu diversifiée et essentiellement tirée par les prix énergétiques. Toutefois, sa sensibilité très élevée aux fluctuations des prix énergétiques est précisément la principale raison justifiant notre attrait actuel pour les actions russes et notre conviction que les perspectives immédiates pour la croissance de la demande domestique russe sont meilleures que dans la plupart des autres marchés émergents.

La Russie est l’un de nos marchés favoris dans l’optique de notre évaluation du contexte mondial. En dépit de la détérioration des perspectives de croissance des marchés développés, nous nous attendons à ce que les prix pétroliers restent élevés en raison de la solide croissance de la demande énergétique des marchés émergents (voir graphique ci-dessous) et de la situation au Moyen-Orient. Le régime d’Assad en Syrie pourrait en effet bientôt tomber, ce qui accroîtrait les pressions sur d’autres régimes totalitaires de la région. L’Iran, le second exportateur de pétrole de la région, semble particulièrement vulnérable. En outre, les changements de régime dans la région mettent le fragile statu quo entre Israël et ses voisins arabes sous pression. Israël est de plus en plus isolé, ce qui pourrait entraîner de nouvelles tensions, avec des implications géopolitiques potentiellement importantes. Tous ces éléments justifient l’incorporation d’une prime de risque élevée dans les prix pétroliers.  

Au sein de notre univers émergent, la Russie est le bénéficiaire évident des prix énergétiques élevés. Parallèlement, d’autres marchés largement tributaires des importations de pétrole devraient, selon nous, être traités avec prudence. Le Chili et la Corée sont sous-pondérés en partie pour cette raison.

Notre scénario central d’une détérioration des perspectives de la croissance mondiale allant de pair avec des prix pétroliers élevés n’est pas compatible avec un appétit du risque élevé. Ceci ainsi que notre prévision d’une volatilité importante des marchés au cours des prochains mois et trimestres (voire pendant des années) en raison de la crise de la dette des pays périphériques de la zone euro justifient un positionnement globalement défensif.

En période de hausse de l’aversion au risque, nous estimons que les marchés dont la devise est surévaluée en raison d’importants flux de capitaux spéculatifs sont les plus vulnérables. Le Brésil et l’Afrique du Sud sont, selon nous, les deux marchés affichant le plus grand risque baissier lorsque les devises des marchés émergents commenceront à se déprécier. Or, le taux de change effectif réel du real brésilien n’a jamais été aussi fort qu’il ne l’est aujourd’hui (voir graphique ci-dessus).

Conclusion

À la suite de la nette détérioration des perspectives de croissance des États-Unis et de la crise de la dette grecque, le thème de la croissance de la demande domestique des marchés émergents est revenu à l’avant-plan. Jusqu’à présent, les craintes d’une inflation persistante dans certaines économies émergentes affichant une croissance parmi les plus fortes a incité les investisseurs à la prudence. Toutefois, eu égard au déclin de l’inflation dans plusieurs marchés émergents majeurs, nous pensons que le thème de la croissance de la demande domestique devrait à nouveau gagner en importance au cours des prochains mois. La Chine et l’Inde semblent principalement attrayantes dans ce contexte. Nous apprécions également la Russie, mais essentiellement en raison de la hausse des prix énergétiques. Pour nous protéger contre de nouveaux accès de faiblesse des États-Unis et d’un appétit du risque chancelant, nous continuons à sous-pondérer le Mexique, le Brésil, l’Afrique du Sud et la Corée.

Les avis exprimés dans la rubrique Perspectives n'engagent que leurs auteurs. Pour apporter une contribution à cette rubrique, contactez Frédéric Lorenzini, Directeur de la recherche.

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A propos de l'auteur

Morningstar Europe Editor  .