L'appel d'air des marges d'entreprises tire l'inflation européenne

Les résultats trimestriels des grandes entreprises européennes surprennent par leur résistance.

Agefi/Dow Jones 02.05.2023
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PARIS (Agefi-Dow Jones)--Sanofi, Air Liquide, Carrefour... Les résultats trimestriels des grandes entreprises européennes surprennent par leur résistance et donnent du grain à moudre à la Banque centrale européenne (BCE).

De fait, après un choc inflationniste lié aux tensions sur les chaînes d'approvisionnement, puis à la crise énergétique, l'institution évoque désormais les risques inflationnistes associés aux marges trop élevées des entreprises.

Début avril, Fabio Panetta, membre du conseil des gouverneurs, expliquait ainsi que "beaucoup de choses ont été dites sur les salaires, mais l'attention ne s'est pas assez portée sur l'autre composante des revenus - les profits des entreprises".

Celles-ci auraient profité des hausses de coûts des intrants pour les répercuter sur leurs prix finaux - en gonflant leurs marges au passage. La BCE calcule, dans une étude publiée fin mars, que plus de la moitié de l'inflation sous-jacente en zone euro s'explique par des comportements de marge des entreprises.

De fait, les marges ont progressé : elles atteignaient 8,5% en moyenne dans la zone euro en mars, selon Refinitiv, contre 7,2% en moyenne en 2019. Le mouvement, qui s'est concentré en 2021 sur la restauration et l'hôtellerie, s'est étendu en 2022 à l'ensemble des secteurs. Même des entreprises aux faibles pouvoirs de fixation des prix ont participé du mouvement, remarque Paul Donovan, chef économiste d'UBS, dans une analyse.

Une partie de l'explication tient à la reconstitution de marges, après trois ans de chocs ayant pesé sur les profits des entreprises. Les entreprises peuvent aussi anticiper les hausses de coûts futurs et agir préventivement. De manière anecdotique, UBS souligne aussi que les réseaux sociaux, en diffusant les "histoires de retards et de blocages", ont aidé les entreprises à justifier leurs hausses de prix en limitant l'élasticité aux prix des consommateurs.

Toutefois, "parler de 'greedflation', une inflation tirée par la cupidité des entreprises, est exagéré : au sortir de la pandémie, une offre contrainte a fait face à une demande accumulée importante. A ce titre, les commentaires de la BCE pourraient relever de l'affichage politique, pour balancer les déclarations équivalentes sur les salaires faites un peu plus tôt dans l'année", estime Xavier Chapard, stratégiste chez LBPAM.

"La BCE s'est enfermée dans un mauvais débat", abonde Gilles Moëc, chef économiste d'Axa IM. La banque centrale ne peut pas lutter contre les hausses de marge des entreprises autrement qu'en pesant sur la demande et n'a donc pas d'intérêt à évoquer le sujet.

Sans compter que la BCE donne des arguments en faveur de hausses de salaires, ce qui pourra compliquer sa lutte contre l'inflation, poursuit l'économiste. Or, si les prix fixés par les entreprises réagissent rapidement aux évolutions de coûts et à la demande, à la hausse comme à la baisse, les évolutions de salaires sont plus durables, même si elles prennent du temps à se concrétiser.

Compression possible en 2023

Cette année, les marges des entreprises pourraient ainsi rétrécir sous le double effet d'une baisse de la demande agrégée et d'un rattrapage des salaires.

"Le risque est désormais que cette évolution des marges ne devienne structurelle et ne participe à l'établissement d'une boucle prix-salaires", relève Xavier Chapard. Si leurs marges sont sous pression et que la demande tient, les entreprises pourraient être tentées de remonter à nouveau leurs prix.

Or, "la demande européenne demeure résistante : tant qu'elle ne flanchera pas, les marges devraient rester à des niveaux importants", insiste le stratégiste. La dynamique de rattrapage des salaires pourrait d'ailleurs décaler dans le temps l'atterrissage de l'économie européenne, en limitant le rythme auquel la demande s'affaiblit.

Les évolutions de prix peuvent par ailleurs participer audésancrage des anticipations d'inflation. "L'un des risques liés à des ajustements de prix trop fréquents et généralisés est l'érosion de la capacité de discernement des consommateurs, qui accepteraient des hausses de prix au-delà de ce qu'ils auraient pu accepter précédemment", remarque Gilles Moëc.

Les attentes d'inflation des entreprises et des ménages demeurent toutefois bien ancrées, pour le moment, à 3% et 2,5% respectivement à horizon trois ans.

Quoi qu'il en soit, la situation ne perdurera pas. La politique monétaire finira par peser sur la demande et forcera les entreprises à adapter leurs prix. Surtout, en période d'inflation, les profits attirent l'attention du politique, ce qui pourra déboucher sur une intervention plus directe de l'Etat - qu'il s'agisse des mécanismes de fixation des prix ou de taxes additionnelles. Les marges des entreprises sont vouées à se comprimer.

-Corentin Chappron, L'Agefi ed: VLV

Agefi-Dow Jones The financial newswire

(END) Dow Jones Newswires

 

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Valeurs citées dans l'article

NomValeurVariation (%)Notation Morningstar
Air Liquide SA187,92 EUR-1,39Rating
Carrefour16,29 EUR0,93Rating
Sanofi SA89,27 EUR0,47Rating

A propos de l'auteur

Agefi/Dow Jones  est une agence de presse financière basée à Paris.