Credit Suisse et la hiérarchie des risques

Les autorités suisses ont créé un précédent inédit dans le traitement d’une crise bancaire en ne respectant pas la hiérarchie des risques entre actionnaires et obligataires. L’Europe et le Royaume-Uni ont dû intervenir pour rassurer.

Jocelyn Jovène 21.03.2023
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Crédit photo: AP

L’affaire était mal engagée.

L’annonce dans la soirée du dimanche 19 mars du « sauvetage d’urgence » de Credit Suisse par UBS, selon les propos de son président Colm Kelleher, était lourdement sanctionnée lundi matin à l’ouverture des marchés.

Sans surprise, compte tenu de la parité d’échange qui impliquait une décote de 59%, l’action Credit Suisse plongeait de 62,4% à l’ouverture de la Bourse, mais, chose plus surprenante en apparence, UBS chutait également de 8,6%.

Pour les observateurs des fusions-acquisitions, lorsque le cours des protagonistes d’un rapprochement chute de concert, cela veut dire que le marché doute fortement du succès de l’opération.

A la fin de la journée pourtant, Credit Suisse terminait la séance sur un repli 55,9%, mais UBS affichait un gain de 1,3%.

Qu’est-ce qui explique ce changement de fortune ?

Le plongeon du cours des deux banques suisse reflètait la vive inquiétude des investisseurs au regard du traitement des obligataires bien pire que celui des actionnaires de Credit Suisse.

Les autorités suisses ont de facto imposé l’anéantissement des obligations appelées « CoCos » (encore appelés « AT1 »), des instruments financiers qui ont vocation à renforcer les fonds propres des banques tout en offrant un rendement relativement attractif.

Mais il s’agit bien d’obligations qui ont en théorie un rang senior par rapport aux actions en cas de faillite.

Autrement dit, lorsqu’une banque fait faillite, ce sont les actionnaires qui perdent leur chemise en premier, puis les obligataires, mais ces derniers disposent en principe de mécanismes qui leur permettent de récupérer une partie de leur mise (à travers une compensation en cash ou une conversion en titres par exemple).

Dans le cadre du sauvetage d’UBS, l’ordre normal des choses a été volontairement chamboulé, puisque les détenteurs d’obligations se sont retrouvés nus comme des vers, tandis que les actionnaires se sont vus offrir une porte de sortie inespérée.

L’onde de choc sur les marchés n’a pas été minime, provoquant d’intenses débats, et faisant plonger de nombreuses banques en Europe, où l’utilisation des CoCos est répandue (le marché est évalué à 200 milliards d’euros environ).

Cette décision a d’ailleurs obligé la Banque centrale européenne et la Banque d’Angleterre à apporter une clarification.

« Le cadre de résolution bancaire du Royaume-Uni dispose d'un ordre statutaire clair dans lequel les actionnaires et les créanciers supporteraient les pertes dans un scénario de résolution ou d'insolvabilité… Les instruments AT1 sont prioritaires sur le CET1 et secondaires par rapport aux T2 dans la hiérarchie », précise la Banque d’Angleterre dans un communiqué de presse.

Ces annonces ont visiblement en partie rassuré les investisseurs, expliquant le rebond des marchés en Europe (et d’UBS) durant la séance de lundi.

Le mal est néanmoins fait.

Pour les analystes de JPMorgan, « les décisions au cours du week-end d’effacer les AT1 tout en valorisation les fonds propres 3 milliards de francs suisses pourrait conduire à un effet de contagion sur les coûts de financement. (…) Dans l’ensemble, nous anticipons un coût des fonds propres plus élevé pour le secteur [des banques]. »

Rappelons que l’objectif d’un sauvetage consiste à limiter les dégâts, pas à les amplifier.

Même si le traitement anormal des actionnaires et obligataires semble circonscrit à la Suisse, qui ne fait pas partie de la zone euro, l’onde de choc est déjà partie.

Les conséquences de cette décision malheureuse sont encore difficiles à évaluer, mais elles ne vont certainement pas réduire l’incertitude qui alimente actuellement la volatilité des marchés financiers.

 

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A propos de l'auteur

Jocelyn Jovène

Jocelyn Jovène  est analyste financier senior et rédacteur en chef de Morningstar France.