Saint-Gobain : l’art de détruire de la valeur

Faute de stratégie de croissance durable, le groupe alloue son capital comme le ferait un gérant de portefeuille. Les actionnaires n’y trouvent pas leur compte.

Jocelyn Jovène 29.11.2019
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L’histoire de Saint-Gobain ressemble à une succession d’opérations financières sans logique apparente plutôt qu’au déroulé d’une réelle vision stratégique.

Officiellement, « Saint-Gobain conçoit, produit et distribue des matériaux qui améliorent l’habitat et la vie quotidienne. » Par ses savoir-faire, le groupe estime contribuer à la lutte contre le réchauffement climatique et la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre.

Et il a raison : la maîtrise de la consommation d’énergie et l’efficacité énergétique constituent un moteur puissant de lutte contre le réchauffement climatique

Saint-Gobain est un très bon candidat pour parier sur le thème du réchauffement climatique et fait apparemment partie des entreprises capables d’en tirer profiter. Le groupe est d'ailleurs noté A par le CDP, un organisme qui évalue l'impact climatique des entreprises.

La réalité économique et financière de l’entreprise sur longue période donne une impression différente et invite à la prudence.

L’allocation du capital de Saint-Gobain donne plus l’impression d’arbitrages de portefeuilles et d’opérations financières qui, au bout du compte, détruisent de la valeur.

Entre 2006 et 2018, les ventes de Saint-Gobain n’ont pas évolué : 41,6 milliards en 2006, 41,8 milliards en 2018. La marge d’exploitation a en revanche chuté, passant de 10% à 7,4%. Le capital employé par le groupe est passé de 26,28 milliards à 25,04 milliards.

En dépit de ce recul (pas vraiment témoin d’une stratégie de croissance durable), la rentabilité du capital employé a chuté de 10,4% à 6% selon nos calculs.

Si l’on procède à une analyse de Dupont de la rentabilité des fonds propres, on trouve des résultats similaires : de 9,9% en 2006, elle est tombée à 2,4% l’an dernier, à la fois à cause d’une baisse de la marge nette (3,4% à 1%), de la rotation des actifs (1,05x à 0,96x) et de l’effet de levier (2,75x à 2,46x).

L’allocation de capital du groupe n’est pas seulement peu optimale. Elle pénalise sa situation financière. En 2018, Saint-Gobain a, en dépit de ressources insuffisantes générées par l’activité, racheté ses propres actions pour 532 millions et en plus déboursé 1,5 milliard pour des opérations de croissance externe et d’investissements financiers.

Après paiement du dividende (707 millions d’euros en 2018), le groupe a dû recourir à l’endettement (en hausse d’un peu moins de 2 milliards d’euros).

Tout ceci interroge sur la logique des opérations financières conduites par le groupe. Est-il vraiment en mesure de bâtir sur ses savoir-faire pour se positionner comme un champion de l’efficacité énergétique du bâtiment et améliorer sa rentabilité ? L’histoire des quinze dernières années ne tend pas à le montrer.

Outre le fait que le groupe pourrait se montrer plus efficace dans la gestion de son BFR, il pourrait aussi faire preuve de plus de discipline dans l’allocation de son capital.

La dernière opération en date – le rachat de l’américain Continental Building Products pour 1,4 milliard de dollars – ne semble pas déroger à la règle.

Cette opération est chèrement payée (multiple d’EBITDA de 10,9x contre 5,7x pour Saint-Gobain), ce qui peut s’expliquer en partie par la profitabilité élevée de la cible (25% de marge d’EBITDA prévu en 2019 contre 12% pour Saint-Gobain).

L’opération doit renforcer les positions du groupe sur le marché nord-américain de l’habitat et être une source de synergie importantes (50 millions de dollars au bout de 3 ans pour un chiffre d’affaires acquis de 510 millions de dollars et des ventes pro-forma de 4,5 milliards de dollars).

L’argument clef de la stratégie de Saint-Gobain, systématiquement mis en avant dans sa communication finanicère, c’est « une gestion du portefeuille dynamique et créatrice de valeur ».

« Dynamique », c’est un fait et ce sont les banquiers d’affaires qui doivent se frotter les mains de travailler avec un groupe aussi habile à acheter qu’à vendre des entreprises. « Créatrice de valeur », c’est une question que les chiffres publiés par l’entreprise ne confirment pas.

Depuis quelques temps déjà, les investisseurs ne semblent guère convaincus. En dépit d’un rebond cette année, le titre Saint-Gobain sous-performe l’indice CAC 40 depuis début 2018.

Cela ne semble guère alarmer l’équipe de direction.

Il est dommage qu’un groupe disposant d’atouts majeurs, qui lui permettraient de se positionner comme un champion de la lutte contre le réchauffement climatique, n’ait comme mode opératoire principal qu’une logique financière et qui sur le long terme s’est avérée destructrice de valeur.

 

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A propos de l'auteur

Jocelyn Jovène

Jocelyn Jovène  est le rédacteur en chef de Morningstar France.