FDJ : ticket gagnant pour l’Etat

L’Etat cherche à valoriser l’entreprise à des niveaux que ne justifient pas totalement ses fondamentaux.

Jocelyn Jovène 07.11.2019
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L’Etat vient de lancer la privatisation de la Française des Jeux. Sans surprise, l’actionnaire de contrôle de l’opérateur de jeux d’argent et de hasard a privilégié son intérêt plutôt que celui des épargnants qui souhaiteront souscrire à son introduction en Bourse (ouverte du 7 au 20 novembre 2019), en cherchant à tirer le plus possible vers le haut le produit de cette vente.

Sur la base du milieu de fourchette proposé aux investisseurs (16,50-19,90 euros par action), l’opération valorise FDJ 9,3x l’EBITDA prévu en 2019 (325 millions d’euros), soit une décote de 10% par rapport au multiple moyen d’autres opérateurs cotés tels que le grec OPAP ou l’australien Tabcorp.

Mais cette décote est justifiée car FDJ est moins profitable que ses comparables. Tabcorp affiche une marge brute d’exploitation de 29,5% et une marge opérationnelle de 20,8% (dernier exercice fiscal). Pour OPAP la marge brute d’exploitation atteint 48,1% et la marge opérationnelle 32,1%. FDJ affiche respectivement des ratios de 17,4% et 13,9%.

La question est de savoir si l’entreprise dirigée par Stéphane Pallez sera en mesure d’améliorer sa rentabilité tout en tenant ses objectifs stratégiques, lequels requièrent des investissements significatifs (500 millions d’euros au total entre 2020 et 2025).

L’un de ces objectifs est le gain de parts de marché dans les paris sportifs en ligne, marché ouvert à la concurrence où se cotoient 13 entreprises (FDJ comprise). Or d’après le document de référence de FDJ, cette entreprise a vu sa profitabilité reculer fortement au cours des trois dernières années (de 21,5% de marge contributive en 2016 à 8,1% l’an dernier).

D’après le nouveau cadre fiscal mis en place au 1er janvier 2020, la marge contributive des Paris sportifs serait de 24% selon FDJ et de 32% pour l’activité Loterie (où l’entreprise est en situation de monopole).

Mais il est difficile d’imaginer comment cette profitabilité va pouvoir progresser au regard de l’objectif stratégique précédemment énoncé (il suffit de voir d’autres secteurs d’activités, comme les télécommunications, pour s’en convaincre).

Par ailleurs, FDJ a déboursé 100 millions de livres sterling pour prendre le contrôle de la société britannique Sporting Group (environ 40 millions de livres de chiffre d’affaires).

FDJ n’a pas souhaité préciser quelle était la rentabilité de cette société, qui sera pourtant au cœur d’une offre de services à d’autres opérateurs de jeux de loterie et de paris sportifs et doit représenter une source de diversification de l’activité.

En matière d’allocation du capital, la société, qui n’a pas beaucoup d’expérience, aurait peut-être gagné à se montrer plus transparente. Il faudra quelques années pour juger de la pertinence de cette acquisition.

L’opérateur du Loto dispose certes d’atouts peu contestables (position de monopole, marché en croissance, potentiel d’amélioration de la marge d’exploitation).

Ceci devrait se traduire par une augmentation de la génération de flux de tréosrerie disponible (132 millions en 2018 qui pourraient dépasser les 200 millions d’euros à l’horizon 2021, selon nos hypothèses).

Demeurent toutefois plusieurs inconnues, en particulier sur la situation financière de l’entreprise, aujourd’hui totalement désendettée. Le problème est que cela ne va pas durer.

FDJ devra verser 380 millions d’euros à l’Etat avant le 30 juin 2020 au titre des droits exclusifs qui sont consubstantiels à l’exercice de son activité. Son bilan peut largement le supporter, mais la société n’a pas beaucoup communiqué pour expliquer quel serait son bilan optimal pour pouvoir conduire sa stratégie – un élément d’appréciation important quand on souhaite s’attirer les faveurs des investisseurs.

En outre la société a souscrit un emprunt bancaire d’un peu plus de 200 millions d’euros pour financer l’acquisition de son siège social.

Détenir un actif immobilier peut certes faire sens sur le long terme. Mais la société le présente comme « stratégique » et justifie l’opération par le besoin de « réunir les équipes et les métiers auparavant sur plusieurs lieux, comme l’activité FDJ Gaming Solutions.

Au final, que l’on prenne une valorisation à partir des comparables boursiers ou sur la base des flux de trésorerie disponibles attendus au cours des 5-10 prochaines années, la valeur industrielle de FDJ nous semble plutôt se situer dans le bas de la fourchette proposée.

La décote de 2% et l’attribution de 1 action gratuite pour 10 détenues au cours des 18 prochains mois (mais dans la limite de 5.000 euros comme précisé par la PDG de l’entreprise dans cette interview) constituent certes des arguments en faveur de l’opération.

Reste que l’Etat, qui affiche un piètre historique de performance en matière de privatisations, aurait pu lancer cette opération dans de meilleures conditions s’il n’avait pas cherché à trop tirer la couverture à lui.

 

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A propos de l'auteur

Jocelyn Jovène

Jocelyn Jovène  est le rédacteur en chef de Morningstar France.