FDJ : les questions à se poser avant d’investir

Dans ce dossier de privatisation, l’information la plus importante – le prix de vente des actions – n’est pas connue.

Jocelyn Jovène 25.10.2019
Facebook Twitter LinkedIn

C’est le dossier emblématique du retour des privatisations en France : la cession par l’Etat de 50% (sur 72%) au capital de l’opérateur de jeux de hasard, de loterie et de paris sportifs La Française des Jeux.

Présidé depuis 2014 par Stéphane Pallez, ancienne haut fonctionnaire du Trésor passée entre autres par la CCR, ou Orange, la société affiche des ratios financiers attrayants en première approche.

Cette opération, qui devrait rapporter au moins 1 milliard d’euros à l’Etat, fait l’objet d’un battage médiatique de tous les diables.

Comment les actionnaires individuels devraient-ils aborder cette opération ?

Avant toute chose, s'assurer que les actions sont une classe d’actifs qui fait sens dans la gestion de son patrimoine.

Comme le signalent les annonces publicaitaires (à la radio), investir dans des actions comporte un risque de perte en capital. Etre capable de supporter la volatilité de cette classe d’actifs risquée est donc un préalable avant même de regarder le dossier FDJ.

Les investisseurs sont ensuite invités à faire ce que tout investisseur devrait faire quand il regarde un dossier : lire. Le document d’enregistrement en l’occurrence, déposé auprès de l’AMF et également disponible sur le site dédié du groupe FDJ (section Documents).

Ce document, très long, est néanmoins incontournable pour comprendre l’activité de l’entreprise, sa stratégie, son positionnement concurrentiel, la dynamique de son marché, et comment tout ceci se traduit en termes de performance financière.

Quels sont ses principaux centres de profits ? L’entreprise est-elle aussi efficace que d’autres opérateurs de loteries (comme le grec OPAP ou l’australien Tabcorp, cités dans le document d’enregistrement), ce qui lui permettrait de justifier des multiples de valorisation équivalents ?

Sa stratégie de diversification vers les solutions de service est-elle la bonne (sur ce point, on n’a aucun recul puisque FDJ vient juste d’acheter une société britannique, Sporting Group, en la payant un peu cher il faut dire).

La loi Pacte prévoit un changement de cadre fiscal à partir du 1er janvier 2020 : quel sera son impact sur les ventes et la rentabilité de FDJ ? (en première approche, il semble que cet impact sera positif, mais sera-ce toujours le cas dans le futur ?)

L’acquisition du siège social (211 millions d’euros financé par crédit bancaire) est-elle réellement un investissement stratégique, comme l'affirme le groupe dans sa documentation?

Sauter cette étape et ces questions, c’est prendre le risque de passer à côté d’informations importantes, dont on n’a pas beaucoup entendu parler pendant la réunion de présentation de la société à la presse, le 18 octobre dernier.

Par exemple, le fait que FDJ devra payer 380 millions d’euros à l’Etat au titre des droits exclusifs d’exploitation des jeux de loterie en France pendant 25 ans ou qu’elle a dû restituer au même Etat près de 220 millions d’euros et devrait encore reverser 104 millions (inscrits à son bilan au 30 juin 2019) au titres des fonds de réserve qui couvrent son risque de contrepartie dans le cadre de ses activités (en cas de gains plus importants que prévu de certains jeux).

Mais la question la plus importante sera bien celle du prix auquel les actions FDJ seront proposées.

Sur ce point, il faut être très attentif. Pour que l’opération soit un succès, il a beaucoup été fait mention de la nécessité de proposer un « prix attractif ». En gros, combien chaque actionnaire devra payer en cash pour détenir une action.

Mais focaliser l’attention du public sur le prix d’une action n’a aucun sens.

En revanche, avoir une idée de combien vaut l’action à partir de sa génération de flux de trésorerie est bien plus utile pour prendre la décision d’acheter ou non les actions FDJ.

Combien l’Etat, unique cédant d’actions FDJ, va-t-il demander ? L’information n’est pas connue. Certains rapports de presse ont évoqué une valorisation de 3 milliards d’euros, soit 15,7 euros par action (le capital de FDJ, actuellement de 200.000 actions va être porté à 191 millions par le biais d’une division du nominal par 955).

On aura une idée plus claire de la valeur retenue par l’Etat et ses conseils lors de la publication de la note d’information, document ô combien important pour déterminer la « fourchette de prix » qui sera proposée aux investisseurs.

Lorsque cette fourchette de prix sera connue, ces derniers devront faire tout le travail d’analyse financière et d’évaluation évoqué précédemment pour déterminer si le prix auquel l’Etat va vendre ses actions est intéressant.

En toute logique, puisque l’Etat est le cédant, il va chercher à fixer un prix le plus élevé possible. Les investisseurs et potentiels actionnaires doivent se demander si ce prix est cohérent avec la valeur de l’entreprise.

Lui est-il très supérieur, auquel cas, il vaudra mieux passer son chemin ? En effet, tout risque de déception sur les perspectives de l’entreprise pourraient conduire à une baisse du cours de Bourse lorsque celle-ci sera effectivement cotée.

Ou pour en faire un succès, l’Etat aura-t-il le courage de proposer un prix attractif, autrement dit une décote par rapport à la valeur intrinsèque de l’entreprise, afin que ses futurs actionnaires profitent d’un potentiel d’appréciation ?

Il est possible que compte tenu d’un taux de distribution du dividende élevé (80% des profits futurs seront versés aux actionnaires), l’Etat ne fasse comme par le passé (souvenez-vous de Pages Jaunes, devenu Solocal, ou d’EDF) : qu’il cherche à tirer la couverture à lui.

 

© Morningstar, 2019 - L'information contenue dans ce document est à vocation pédagogique et fournie à titre d'information UNIQUEMENT. Il n'a pas vocation et ne devrait pas être considéré comme une invitation ou un encouragement à acheter ou vendre les titres cités. Tout commentaire relève de l'opinion de son auteur et ne devrait pas être considéré comme une recommandation personnalisée. L'information de ce document ne devrait pas être l'unique source conduisant à prendre une décision d'investissement. Veillez à contacter un conseiller financier ou un professionnel de la finance avant de prendre toute décision d'investissement.

Facebook Twitter LinkedIn

A propos de l'auteur

Jocelyn Jovène

Jocelyn Jovène  est le rédacteur en chef de Morningstar France.