Certains fonds portent mal leur nom

Les investisseurs devraient bien penser de soulever le capot des fonds qui leur sont proposés.

Jocelyn Jovène 26.11.2018
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Supposez que vous êtes client d’une grande banque privée. Vous avez assez d’argent pour disposer d’un mandat de gestion, qui théoriquement s’appuie sur un questionnaire qui a permis d’évaluer votre tolérance au risque. Votre banquier privé va bien évidemment proposer une allocation d’actifs cohérente avec votre profil d’investisseur, et choisir les investissements appropriés, qu’il s’agisse de fonds ou de titres vifs.

Si cette banque privée est réellement indépendante, elle devrait théoriquement fonctionner en architecture ouverte et vous offrir l’accès aux meilleurs gérants actifs et/ou passifs pour les classes d’actifs considérées.

Mais une fois les fonds sélectionnés, il peut être utile d’ouvrir le capot et de regarder ce que ces fonds détiennent effectivement.

Car vous pouvez avoir des surprises. Un fonds géré activement chargera des frais autour de 1,5%. Mais de tels frais doivent se justifier par un vrai travail du gérant, la qualité de son process d’investissement, les ressources dont il dispose, etc…

Il arrive cependant que certains fonds, dont le mandat est clairement un mandat de surperformance d’un indice de référence à partir d’une analyse fondamentale, soient en fait des fonds indiciels déguisés.

C’est le cas du fonds SG Actions US. D’après son DICI, son mandat est le suivant : « L’objectif est de surperformer son indice de référence, le S&P 500, représentatif des 500 actions les plus importantes du marché américain (en euros, sur la base de scours de clôture, dividendes réinvestis), sur la durée de placement recommandée, après prise en compte des frais courants. Pour y parvenir, l’équipe de gestion procède à une analyse fondamentale macro-économique sectorielle et des entreprises, afin de détecter des opportunités d’investissement. »

Pour remplir cet objectif, ce fonds facture des frais courants de 1,89% chaque année. Notons que son indice de référence est le S&P 500, l’un des indices les plus difficiles à battre sur longue période. Si l’intention du gérant est de battre l’indice, on peut supposer au regard des frais pratiqués qu’il déploie de gros moyens en termes de recherche et de sélection de titres, et fait appel à des gérants expérimentés, lesquels s’appuient sur un process rigoureux, orienté vers la création de valeur sur le long terme.

La réalité est bien plus décevante. Ouvrons le capot : La quasi-totalité de l’encours (1,2 milliard d’euros) est investi dans des ETF, le plus grand nombre répliquant la performance du S&P 500. Le premier ETF, Amundi IS MSCI USA UCITS ETF-C EUR, charge 28 points de base. Le deuxième, Amundi S&P 500 ETF C EUR, charge 15 points de base (et est noté Gold par les analystes de Morningstar).

Quelle différence y a-t-il entre les indices boursiers répliqués par ces deux ETF ? Très peu. Le MSCI USA (ici la version en dollars US) réplique 85% de la capitalisation boursière américaine, et détient 624 titres. La plus petite capitalisation de l’indice fait 2,77 milliards de dollars, la plus grosse 1.076 milliards.

Le S&P 500 (détails de l’indice ici) capture environ 80% de la capitalisation boursière américaine à travers 505 valeurs. Lancé en 1957, c’est le premier indice basé sur la capitalisation boursière (le Dow Jones Industrial Average plus ancien est calculé à partir des prix de ses composants). La plus petite capitalisation au sein de l’indice est de 2,66 milliards de dollars, la plus important 1.056 milliards.

SG Actions US Ptf 20180930

Source : Morningstar

En résumé, vous payez 1,89% pour avoir accès à des produits qui théoriquement devraient vous charger quelques points de base. Bien évidemment, le fonds sous-performe son indice de référence de manière chronique (il peut difficilement faire mieux à moins que les gérants ne soient des experts en gestion des risques et aient été en mesure de le prouver par le passé, ce qui n’est malheureusement pas le cas ici).

N’en déplaise aux promoteurs de ce fonds (Société Générale Gestion, filiale d’Amundi), faire payer des frais dignes d’une gestion active et présentée comme telle, pour au final proposer un fonds composé exclusivement d’instruments passifs, constitue un abus de confiance. 

Contacté après la publication de cet article, SG Gestion (SGG) a apporté plusieurs commentaires. La société de gestion a souhaité proposer un fonds PEAble, donc accessible aux investisseurs dans le cadre de l'enveloppe fiscalement avantageuse du PEA.

Le fonds est géré activement et a fait l'objet de 10 arbitrages au cours des 12 derniers mois, validés par un comité de gestion.

SGG estime que la performance absolue du fonds se compare favorablement à un panel de fonds comparables vendus dans des réseaux bancaires concurrents.

Enfin, les frais sont également raisonnables, car dans l'univers des fonds actions américaines gérés activement, selon SGG, les frais de gestion se situent plutôt autour de 2% à 2,5%.

Combien de fonds vendus dans des réseaux bancaires ont de telles pratiques ? Cela est bien difficile à déterminer avec précision. Mais l’information est disponible. Malheureusement, c’est aux investisseurs de se montrer particulièrement vigilants.

Certains banquiers n’ont pas l’air d’avoir beaucoup de scrupule à pousser des fonds qui ne rendent pas service aux investisseurs, ne serait-ce que parce qu'ils facturent des frais inappropriés avec leur réel mandat de gestion.

Mais l’obligation de devoir fiduciaire, la responsabilité première des gérants de fonds de défendre les intérêts de leurs clients avant tout (car c’est aussi un moyen de bâtir la confiance dans le système financier auquel nous participons tous) est ici battue en brèche. L’intérêt du client est parti aux oubliettes pour privilégier celui du promoteur et de son réseau de distribution. Et le régulateur ne semble guère s’en émouvoir.

 

Cette analyse a été réalisée avec la plate-forme professionnelle Morningstar Direct. Cliquez ici pour en savoir plus.

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A propos de l'auteur

Jocelyn Jovène

Jocelyn Jovène  est le rédacteur en chef de Morningstar France.