Marchés émergents: faut-il être contrarien ?

Rechercher des fonds ou des titres de qualité, et aller vers des secteurs dont la décote compense le risque de baisse peuvent aider les investisseurs.

Morningstar 03.05.2016
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Cet article, coécrit par Dan Kemp, directeur des investissements de Morningstar Investment Management Europe, et Mark Preskett, gérant de portefeuille, a été initialement publié en anglais dans la revue International Investments.

Le pionnier de l'investissement sur les marchés émergents, Sir John Templeton, défendait le principe de l'investissement contrarien en énonçant l'un des truismes les plus cités dans le milieu : « Si vous voulez réaliser une meilleure performance que les autres, vous devez agir différemment des autres ».

Si l'on suit la logique de Sir John, les actions émergentes semblent constituer une opportunité classique d'investissement contrarien. Autrefois prisées par les adeptes de l'allocation d'actifs cherchant à profiter du développement rapide et de la croissance de ces économies, les actions émergentes ont été récemment boudées par les investisseurs, qui ne voient que les difficultés à court terme affectant ces marchés.

Les fonds investissant sur ces marchés ont donc subi une fuite de capitaux, tels qu'estimés par Morningstar.

Si le fait d'agir différemment des autres est une condition préalable au succès d'un investissement à long terme, l'analyse fondamentale est tout aussi importante, car les investisseurs souhaitant adopter une approche contrarienne doivent se fonder sur un argumentaire solide pour aller à l'encontre du consensus.

Cet argumentaire, pour la plupart des investisseurs contrariens, repose sur l'établissement d'une évaluation précise de la « juste valeur » de l'actif, laquelle se fonde elle-même sur les prévisions des cash-flows futurs de l'actif et sur la fluctuation probable de ces cash-flows. Pour les investisseurs axés sur les marchés émergents, cette dernière étape est particulièrement difficile à franchir en raison de l'étendue des opportunités.

Un univers hétérogène

Bien qu'ils figurent souvent dans les portefeuilles sous forme d'un seul fonds ou d'une seule allocation, les marchés émergents sont très nombreux et divers. En termes de taille, les économies émergentes représentent environ 80 % de la population mondiale et 45 % de la production mondiale, en données ajustées du pouvoir d'achat.

En termes de diversité, l'indice MSCI Emerging Markets compte 838 entreprises issues de 23 pays, pour une capitalisation boursière de 3400 milliards USD. Il serait donc simpliste de considérer ces marchés comme un bloc homogène et d'espérer parvenir à une estimation cohérente de leur juste valeur qui soit suffisamment solide pour étayer une approche contrarienne.

Les preuves de la diversité de ces marchés ne manquent pas et couvrent tous les aspects des marchés eux-mêmes et des économies dans lesquelles ils se trouvent. La ligne de fracture peut-être la plus évidente aujourd'hui sur les marchés émergents est celle qui sépare les producteurs des consommateurs de ressources naturelles.

Si les investisseurs en Russie ont de bonnes raisons d'être alarmés par l'impact négatif de la chute des prix du pétrole tant sur l'économie que sur le marché d'actions russes, l'inverse est vrai en Inde, pays comptant parmi les premiers importateurs mondiaux d'or noir et bénéficiaire net de la baisse des cours du pétrole.

De la même façon, le ralentissement de la croissance économique en Chine pénalise les actions des sociétés sud-américaines productrices de matières premières, tout en réduisant les coûts d'intrants et en soutenant la rentabilité des usines chinoises.

Par conséquent, l'adoption d'une approche contrarienne à l'égard de ces marchés requiert d'abord de prendre acte que les opportunités n'y sont probablement pas homogènes mais plutôt concentrées dans certains secteurs, marchés ou régions délaissés par les investisseurs.

En outre, il faut être conscient que nous n'investissons pas dans des économies, mais plutôt dans des titres d'entreprises ou de gouvernements. Ceux-ci doivent être évalués dans un cadre cohérent si nous souhaitons identifier des opportunités attrayantes au sein de cette myriade d'options d'investissement.

Vu sous cet angle, il est frappant de constater que les opportunités les plus manifestes fondées sur la valeur semblent concentrées dans un petit nombre de marchés et de secteurs. Sur les onze marchés d'actions émergentes pour lesquels nous proposons des modèles de valorisation de type bottom-up, seuls cinq paraissent assez attrayants pour produire des rendements réels positifs, en monnaie locale, sur les sept années à venir.

Parmi ceux-ci, les deux marchés les plus séduisants, Taïwan et la Russie, sont fortement concentrés, la première position dans chaque pays représentant plus de 18 % de l'indice. Cette concentration est également manifeste au niveau sectoriel : le secteur dominant (technologie de l'information à Taïwan, énergie en Russie) représentant plus de 50 % de l'indice dans les deux cas.

Trois enseignements essentiels sont à tirer de cette concentration. D'abord, un portefeuille investi de manière diversifiée sur les marchés émergents n'est pas nécessairement à même de tirer pleinement parti de la valeur actuellement offerte par ces marchés. Les meilleures opportunités de valeur sont souvent issues d'une concentration économique dans les industries clés d'un pays donné. 

Comment bien exploiter les opportunités

Pour exploiter pleinement ces opportunités, il est nécessaire d'adopter une approche non contrainte.

Ensuite, les tendances d'investissement à court terme relèvent par nature davantage de comportements que de facteurs fondamentaux et peuvent donc être très extrêmes. Les investisseurs contrariens souhaitant tirer parti de la valeur offerte par des marchés impopulaires doivent donc adopter une approche de long terme et profiter de courtes périodes de sous-performance pour renforcer leurs positions à moindres frais. 

Enfin, il faut garder à l'esprit que les actifs bon marché ne le sont généralement pas par hasard, et reconnaître l'existence de risques systémiques, géopolitiques et institutionnels dans les pays émergents. La performance attendue des entreprises présentes ou cotées sur ces marchés est donc plus incertaine que celle d'entreprises équivalentes établies dans des pays développés.

Les investisseurs peuvent gérer ce niveau accru d'incertitudes de plusieurs manières. L'une des plus courantes est d'ajuster le taux d'actualisation utilisé pour déterminer la valeur des cash-flows futurs. Cette approche conduit naturellement les investisseurs à privilégier des positions de meilleure qualité, et les stratégies axées sur la qualité rencontrent d'ailleurs un grand succès sur ces marchés. Les fonds proposant ces stratégies font donc l'objet d'une forte demande et voient leur taille augmenter.

Si cette approche fondée sur la qualité devrait encore produire des performances supérieures à mesure que ces économies émergentes et leurs institutions poursuivent leur maturation, il convient de souligner que les actions de qualité et les secteurs défensifs peuvent devenir relativement surévalués dans les périodes de tensions sur les marchés et d'aversion pour le risque.

Les investisseurs axés sur les marchés émergents doivent donc envisager de se tourner vers des secteurs de moindre qualité (énergie, ressources naturelles) lorsque la performance implicite de ces investissements neutralise le risque de baisse probable. Cette disposition à cibler des segments du marché qui rebutent la majorité des investisseurs est la preuve d'une approche véritablement contrarienne.

 

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