Economie mondiale en contrastes

Le ralentissement européen oblige la Chine à revoir ses stratégies.

Francisco Torralba 02.10.2012
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En janvier, nous anticipions une croissance mondiale inférieure à 2% (en termes réels et en rythme annualisé) pour 2012 et deux trimestres au moins de croissance mondiale négative. Nous avons révisé à la hausse nos anticipations à 2,5% et anticipons désormais avec 50% de probabilité au moins un trimestre de croissance mondiale négative. Capital Economics estime que la croissance au quatrième trimestre était de 2,5% en rythme annuel, son plus bas taux trimestriel depuis 2009. Le ralentissement a touché aussi bien les pays émergents que les pays développés.

Pour le trimestre à venir, nous pensons que le risque majeur porte sur le pétrole. Si le baril de Brent devait atteindre 140 ou 150 dollars et rester à ce niveau, un ralentissement global plus sérieux deviendrait à peu près certain. Et cela serait encore pire si la croissance chinoise s'interrompait brutalement, ou si l'Espagne devait faire appel à un plan d'aide extérieur (même si nous estimons la probabilité de ce dernier scénario extrêmement négatif comme étant relativement basse).

Coté positif, ce que l'on peut espérer de mieux seraient des signes de reprise en Europe en juin, un report de la restructuration de la dette portugaise jusqu'à au moins fin 2012, une croissance d'environ 2,25% aux États-Unis et un retour de la Chine vers une croissance de 8%. Dans un scénario encore plus haussier, (mais aussi hautement improbable), le prix du pétrole pourrait repasser sous les 100 dollars le baril, et les baisses d'impôts consenties par l'administration pourraient être prolongées au-delà de 2012 ; enfin, l'Allemagne n'aurait à faire face qu'à une récession courte et modérée.

Pour résumer, le sentiment s'est amélioré par rapport au pessimisme de novembre dernier, mais la croissance mondiale n'a pas tant progressé que cela. A court terme, l'effet de la croissance modérée en Amérique du Nord sera probablement compensé par un scénario pire qu’attendu pour la zone euro et la Chine.

États-Unis

La croissance du PIB de 3% au quatrième trimestre en rythme annuel a été une bonne surprise. La croissance de l’agrégat moins connu, le Revenu national brut (RNB), de 4,4% laisse espérer une révision à la hausse du chiffre final du PIB. Malgré ce regain d'activité en fin d'année, entre le quatrième trimestre 2010 et le quatrième trimestre 2011, la moyenne du PIB et du RNB n'a cru que de 2%, un taux de croissance inférieur de 0,5 point au taux de croissance tendanciel à long terme anticipé. Si l'on considère que l'économie devrait être en train de rebondir après une récession, la performance reste décevante et en-dessous de son potentiel.

Les États-Unis font office de contre-poids inattendu face à la faiblesse de la croissance dans la plupart des pays européens. L'activité économique cet hiver, loin de faiblir, s'est reprise après le ralentissement entamé en juillet 2011, le troisième depuis la récession de 2009. Et nous sommes d'accord avec le consensus selon lequel le risque de récession dans les trois prochains mois est proche de zéro. Mais ce consensus nous apparaît trop positif, trop tôt. Plutôt qu'une amélioration régulière, nous tablons sur quelques déceptions à court terme.

Au premier semestre 2012, la croissance annualisée y ressortira probablement entre 1,5% et 2%. L'activité a semblé repartir en janvier et février, avant de décélérer en mars. Les investissements du secteur privé ont plongé en janvier et février, probablement à cause de la fin d'avantages fiscaux liés aux dépréciations. La croissance de la consommation des ménages américains devrait atteindre entre 1,7 et 2,1%, se situant probablement en dessous des 2,1% du quatrième trimestre 2011, sur la base des chiffres déjà publiés pour janvier et février. La confiance des consommateurs a rebondi après les niveaux déprimés de l'automne, mais nous n'attendons pas une poursuite du mouvement à cause d'un gallon d'essence approchant les 4 dollars.

Le processus de désendettement, plus avancé aux Etats-Unis qu'en Grande-Bretagne ou en Espagne, va encore absorber tout revenus discrétionnaires dont pourront bénéficier les ménages. Les entreprises continuent de conserver leur cash, plutôt que de l'investir. Le taux d'investissement est resté identique au taux de dépréciation moyen depuis le début 2009. Au quatrième trimestre, le montant des investissements a bondi à 1,12 fois la consommation de capital, mais 2012 nous dira s'il s'agissait d'un simple sursaut de court-terme lié à un avantage fiscal.

L'hiver exceptionnellement doux et sec implique qu'une grande partie de l'activité d'ordinaire repoussée au printemps a pu déjà démarrer. Ces conditions climatiques anormales bouleversent aussi les ajustement saisonniers habituels. Lorsque la météo reviendra à la normale, les surprises passeront probablement du coté négatif. Les créations d’emploi en mars, en baisse à 120.000, contre une moyenne de 246.000 par mois sur la période décembre-février, illustrent déjà en partie ce phénomène. En tout état de cause, l'amélioration des statistiques entre novembre et février a soutenu les anticipations futures, dès lors les surprises positives ont moins de chances de se réaliser (voir graphique 1).

Graphique 1

Indice des surprises économiques aux États-Unis

 

Au-delà du 2eme trimestre 2012, les prix de l'essence risquent de devenir la menace la plus importante pesant sur cette fragile reprise. Au 2 avril, le gallon d'essence atteignait 3,93 dollars, et la saison estivale durant laquelle les américains utilisent davantage leurs voitures devrait le porter au delà de 4,10 dollars, le record précédent datant de juillet 2008 (voir graphique 2). Une étude de James Hamilton, économiste de l'Université de San Diego en Californie, souligne que si les prix de l’essence devaient demeurer au dessus de ce niveau pendant plusieurs mois, les risques de rechute sérieuse de l’économie augmenteraient sensiblement.

Une hausse de l'offre de pétrole allégerait la pression sur les cours. On pourrait certes observer une normalisation de la production au Yémen, au Soudan et en Syrie, ce qui pourrait représenter 500.000 barils/jour supplémentaires. Et une poursuite de l'augmentation de la production libyenne d'environ 400.000 barils/jour. Mais ces éventuelles augmentations de l'offre sont à mettre en regard de la baisse de l'offre iranienne. L’Iran produisait 4 millions de barils/jour et jusqu'à présent le boycott de ce pays a débouché sur une réduction de sa production de 300.000 barils/jour. L'Arabie Saoudite, le plus gros producteur mondial et détenteur de près de la totalité des excédents de capacité de production mondiale, affirme qu'il peut ouvrir les vannes à tout moment. L'Arabie disait la même chose en 2005, mais n'a pas tenu ses promesses.

Graphique 2

Prix de l'essence aux États-Unis

 

 

Enfin, le marché immobilier est en voie de rétablissement. Les prix sont proches d'un plus bas, ou l'ont déjà atteint, suivant l'indice de référence considéré. Celui que nous préférons, et qui a aussi les préférences de la Fed, est l'indice immobilier CoreLogic, qui a progressé en janvier et février. Les prix sont encore 2% en dessous de février de l'an dernier, mais en glissement mensuel les chiffres sont moins négatifs. La partie visible des stocks de maisons à vendre a reculé aux environs de 6 mois et demi de ventes (voir graphique 3). Mais l'absorption de ces stocks devrait se ralentir. Les stocks les plus difficiles à estimer - notamment les logements repris par le prêteurs mais pas encore sur le marché, faisant l'objet de procédures de saisies – augmentent les stocks de maisons à vendre répertoriées d'environ une maison pour deux comptabilisées, selon les données de CoreLogic. Et si les prix commencent à remonter, les créanciers pourraient remettre plus rapidement les biens sur le marché. 

Graphique 3

Stocks de maisons à vendre aux États-Unis

 

Zone euro

Après neuf trimestres de croissance molle, mais positive, la zone euro a affiché une croissance négative de 0,3% au quatrième trimestre 2011 (base non annualisée). La croissance en Allemagne, en Italie et en Espagne a reculé, alors que la France a affiché une croissance d'environ 0,2%. En Grèce et au Portugal, même si nous n'entrevoyons pas la fin de la récession, les indicateurs avancés anticipent une contraction de la croissance moins forte sur les mois à venir.

La détérioration de l'indice PMI a marqué une pause par rapport aux points bas de décembre en février, mais en mars il est revenu à ses niveaux d'octobre. Les ventes de détail, la confiance du consommateur et le chômage ne se sont pas redressés. Et dans certains cas, ils sont même en repli par rapport à décembre dernier. Peu d'analystes doutent que la production se sera à nouveau contractée au premier trimestre 2012. Mais cette récession en zone euro pénalise probablement davantage la croissance chinoise que la croissance américaine.

Mario Draghi, le président de la Banque centrale européenne (BCE), a déclaré que le pire de la crise de la dette européenne est désormais derrière nous. A court terme, les opérations de refinancement à long terme de la BCE ont sauvé le système bancaire d'une crise de liquidité. Mais pour que cela bénéficie aux emprunts souverains, il faudrait que les banques soient forcées d'acheter de la dette. Or ce que nous observons, c’est que les investisseurs continuent à avoir le choix. Les rendements de la dette espagnole par exemple ont rebondi, tandis que ceux du Portugal ne sont jamais retombés. Le Portugal est parvenu à respecter son objectif de déficit de 5,9% en 2011, simplement en s'appropriant des actifs bancaires dédiés aux retraites sans pour autant inscrire les passifs. En 2010, ce pays avait utilisé le même artifice en utilisant les actifs des compagnies de télécommunications.

Après le défaut partiel de la Grèce en mars, sa dette publique se situe probablement aux environs de 120% du PIB. Même à ce niveau, les anticipations plausibles de croissance, d’inflation et de niveaux des taux d'intérêt, ne permettent pas à ce ratio de se stabiliser. Nous anticipons au moins une nouvelle « restructuration » de la dette grecque, mais pas nécessairement en 2012.

Le réel test de la volonté de la zone euro de rester unie se présentera si l'Espagne a besoin d'une aide extérieure. Sur les derniers mois, l'Espagne a annoncé que son déficit en 2011 a été de 8,5%, soit 2,5 point au dessus de son objectif. Le ramener à 3% en 2013, comme la Commission européenne le demande, est au-delà du possible : il s'agirait d'un suicide macro-économique. L’Espagne est en effet en mauvaise posture pour respecter ses engagements en matière de dépenses publiques, poursuivre la restructuration de son système bancaire et respecter ses objectifs budgétaires. Il faudra trouver une solution. Il est possible en théorie de continuer à réduire les dépenses, mais en pratique cela se heurtera à l'opposition des collectivités locales, qui ont à leur charge la majeure partie des dépenses de santé et d'éducation. Cela menace aussi la stabilité sociale du pays.

Du coup, les doutes vont persister à moins que la BCE ne s'engage à racheter directement de la dette, ou que l’Union Européenne accepte une forme de mutualisation de la dette. Les marchés resteront très agités, en fonction de la perception du risque, mais nous ne pensons pas que les spreads vont se réduire substantiellement.

Nous pensons que la BCE maintiendra sa politique économique à court terme. Mais la Banque centrale continue, au moins officiellement, de tabler sur une récession de courte durée et limitée. Si d’ici septembre, on ne voit pas la sortie du tunnel pour la zone euro, et que l'inflation sous-jacente n'a pas beaucoup progressé au-dessus de 2 %, nous pensons qu'une baisse des taux deviendra de plus en plus probable.

Graphique 4

Spreads souverains (par rapport au taux à 10 ans allemand)

 

 

Chine

La croissance en Chine a ralenti en 2011. Les quelques indicateurs disponibles en février et mars (indices PMI, ventes au détail, balance commerciale, production industrielle) laissent penser que la croissance a continué de faiblir au premier trimestre. La confiance des consommateurs et les anticipations se sont néanmoins redressées, y compris ajustées des variations saisonnières. Le premier trimestre chinois est toujours difficile à évaluer. Avec le Nouvel An, il y a de fortes chances que les 9,2 % de croissance de l'an dernier ne soient pas reconduits. C'est ce que semble penser le gouvernement qui a abaissé son objectif officiel de croissance de 8 % à 7,5 %.

Une partie du ralentissement trouve son origine dans les exportations. En particulier, à cause d'une demande moins soutenue en provenance de la zone euro. Mais on a aussi observé un vif ralentissement de l'activité dans la construction. La production de ciment n'a par exemple cru que de 4,8 % sur les trois premiers mois de l'année en glissement annuel, contre 9,1 % un an auparavant. La production d'acier a progressé de 2,2 %, contre 12,6 % un an auparavant.

L'inflation recule, ainsi que les prix de l'immobilier, ce qui a inquiété le gouvernement au début 2011. La croissance des prêts, du moins celle qui est comptabilisée, s'est stabilisée ces derniers mois, après avoir reculé durant la majeure partie de 2011. Les responsables politiques devraient pouvoir continuer à lâcher du lest dans les mois à venir. Nous n'anticipons donc pas d’atterrissage brutal de l'économie.

Pour les deux premiers trimestres, nous anticipons une poursuite du ralentissement de la croissance, probablement en dessous de 8 %. Si l'environnement global reste stable, la croissance pourrait repartir de l'avant sur le reste de 2012, soutenue par des politiques monétaires et fiscales plus accommodantes. A moyen et long terme, nous pensons que les années de croissance à deux chiffres appartiennent au passé, et que la croissance tendancielle de l'économie chinoise pour la décennie à venir se situera entre 6,5 % et 7 %. La Banque populaire de Chine baissera probablement son objectif de taux et allégera les réserves obligatoires des banques. Nous pensons également que le Renminbi ne va plus s'apprécier, ou en tout cas moins rapidement qu'en 2011.

Comme nous l'avons déjà indiqué dans des commentaires antérieurs, la Chine est en voie de réduire son excédent de la balance courante (voir graphique 5). Cela n’entraînera pas nécessairement une hausse brutale des taux d’intérêt dans le monde. D'une part, car les ajustements sont progressifs, grâce à la gestion de la parité avec le dollar par la Banque centrale. Par ailleurs, il est très probable que même si l'excédent courant chinois en pourcentage du PIB recule modérément, son montant exprimé en dollar continue de progresser. Tout simplement car la Chine va continuer de croître plus rapidement que le reste du monde pour un certain temps et que le Renmimbi s'appréciera, ces deux éléments augmentant les montants de l’excédent exprimé en dollars.

Graphique 5

 

Chine : Excédent de la balance courante

Un tel gradualisme constitue pourtant un danger pour la Chine, qui doit compenser une baisse des exportations nettes en soutenant les investissements en capital fixe à de hauts niveaux au détriment de la consommation. Plus le pays sur-investit, plus le risque d'une crise bancaire ou des finances publiques augmente. Comment les autorités vont elles se sortir de cet exercice d’équilibriste ? L'avenir tranchera.

Cet article a été initialement publié dans le magazine Morningstar Professional de juin 2012.

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A propos de l'auteur

Francisco Torralba

Francisco Torralba  est économiste senior au sein de Morningstar Investment Management.