Les valeurs qui résistent, et les autres…

Gérant du fonds Delubac Exceptions, Gérard Moulin estime que l’économie du "low cost" est en train de remettre en question les positions acquises de certains acteurs majeurs.

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Vous parlez d’une "génération qui ne veut peu plus payer", mais est-ce que ce phénomène ne touche pas que les industries dématérialisées comme la musique ou la vidéo ?

Ce phénomène est particulièrement sensible sur certains biens de consommation comme les CD ou les DVD du fait du piratage et de la duplication, licite ou non, sur internet. Face à ce phénomène qui a émergé depuis plusieurs années déjà, les industriels réagissent et essaient de mettre en place des parades, sur le plan légal ou en proposant des modes de distribution dématérialisés avec la vidéo à la demande ou le téléchargement musical par exemple.

Mais le phénomène est plus large que les seuls domaines de l’audio et de la vidéo, il touche aussi le monde des biens matériels. Ici le vecteur n’est plus seulement la facilité de piratage que procurent la numérisation des documents et la diffusion des équipements informatiques, mais bien une nouvelle façon de consommer et de fixer ses priorités.

La crise a accentué cette tendance et aujourd’hui se pose pour de nombreux industriels la question de leur capacité à fixer leurs prix et à maintenir leurs marges, c’est le fameux "pricing power" qui fait que vous êtes sur un secteur structurellement plus ou moins érodé par la concurrence mais aussi les modes de consommation. Cela peut être le cas dans pour les eaux minérales, l’automobile, le logiciel, la téléphonie…

Vous pensez à qui ?

Prenez le cas d’une société comme Danone qui intervient sur 3 métiers : le baby food, le diary et les eaux minérales. Il s’agit d’une entreprise solide avec des positions fortes mais sur le segment de l’eau minérale je suis plus inquiet. C’est un marché sur lequel on constate la conjonction de plusieurs évolutions. En période de crise, les consommateurs tendent à réarbitrer leurs dépenses, et les dépenses d’eau minérale peuvent en souffrir. D’autant qu’il s’agit d’un bien encombrant, lourd à transporter, qui génère des déchets plastiques à l’heure où la fibre écologique tend à se développer. Avec la crise, on se souvent que l’eau du robinet est 100 fois moins cher !

C’est dans ce contexte qui faut, me semble-t-il, appréhender la dynamique du marché de l’eau en bouteille, en tenant compte par exemple du développement d’acteurs tels que Brita, dans la filtration, dont les ventes progressent de 20% par an.

Autre secteur qui est à la peine, l’automobile. C’est vrai que l’on voit Audi prendre des parts de marché à BMW et Mercedes dans le moyen de gamme des véhicules de l’ordre de 200 chevaux. Mais cela n’est pas représentatif de la tendance de l’industrie dans son ensemble.

Pour les citadins, en l’absence de pouvoir d’achat, l’automobile est un poste qui est sérieusement remis en question compte tenu du poids de l’achat initial, mais aussi de l’entretien, de l’assurance, de la location du garage, etc. Il s’agit typiquement d’un des postes externalisables au profit de formules de location de plus ou moins courte durée.

Sur ce marché le client d’un constructeur n’est plus un particulier mais un loueur qui a un pouvoir de négociation autrement plus important qu’un particulier. Il faut ce rappeler que lorsque General Motors et Chrysler ont commencé à aller très mal il y a 2 ans ils ont décidé d'arrêter de vendre aux loueurs. Bref, vous l’avez compris je suis très négatif sur l’automobile car il s’agit d’un secteur où il est particulièrement difficile de préserver son "pricing power".

Mais est-il possible pour les entreprises de résister à cette engouement pour le low cost ?

On est en effet entré dans ce que Jacques Attali appelle "l’économie du low cost". Et il est très difficile pour les entreprises d’y résister. Mais je pense que c’est un piège pour ceux qui commencent à brader leurs biens car les clients refusent souvent de remonter le prix qu'ils sont prêts à payer. Quand on baisse les prix et qu’on se lance dans l’hyper concurrence pour attirer les clients, on développe leur infidélité

Ce phénomène du low cost ne se rencontre pas que dans l’aérien, il touche aussi l’hôtellerie de luxe où certains pensent trouver là un moyen d’augmenter leur taux d’occupation moyen et d’attirer une nouvelle clientèle, ou encore dans les champagnes. Ce jeu est dangereux car la marque est un véritable actif, dans certains secteurs l’immatériel représente 60% des actifs, et il faut être attentif à ne pas lui faire perdre de sa valeur.

Même si la tentation est grande certains résistent. Dans son domaine Laurent-Perrier par exemple a eu cette réflexion. Ils ont préféré ne pas baisser leurs prix, en enregistrant une contraction de volumes, mais ils me semblent bien positionnés pour profiter de la reprise. Ou pour reprendre l’exemple de l’automobile, on a vu Audi réussir à prendre des parts de marché en dépit des efforts que faisait BMW en donnant des options.

Nous sommes entrés pour les entreprises dans une période de grandes remises en question des positions, et ceux qui ne sauront pas préserver leur marque dans tourmente sortiront fragilisés de la crise.

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A propos de l'auteur

Frédéric Lorenzini

Frédéric Lorenzini  est Directeur de la Recherche de Morningstar France.