Auditeur, moi ?

Après les banques introductrices et les analystes financiers, c’est maintenant au tour des cabinets d’audit d’être montrés du doigt. Parfois à raison, parfois gratuitement…

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"Ne dites pas à ma mère que je suis dans la publicité, elle me croit pianiste dans un bordel". Il ne fait pas bon ces derniers temps d’avouer dans les dîners en ville que l’on est auditeur, mieux vaut comme le publiciste Jacques Séguéla en son temps revendiquer une activité plus honorable : animateur de bastringue ou éleveur de morpions par exemple.

C’est que depuis le scandale Enron dans lequel le cabinet d’audit Andersen est impliqué souffle un vent de suspicion sur les auditeurs. On leur prête tous les vices et compromissions, et ils seraient à l’origine de toutes les faillites ou contre-performances.

Ainsi l’assureur britannique Equitable, qui s’est déclaré en cessation de paiement, en veut au cabinet d’audit Ernst & Young. Le conseil d’administration reproche à ce dernier de ne pas avoir attiré son attention sur une situation qui se dégradait. Scénario identique avec la société de gestion allemande Deutsche Asset Management qui poursuit en justice PriceWaterhouseCoopers, auditeur du groupe énergétique russe Gazprom. PwC n’aurait pas pointé du doigt les transferts d’actifs, sans doute délictueux, intervenus au sein du groupe Gazprom.

Mise en question généralisée

Quant au cabinet KPMG, il a tout simplement avalisé des comptes de l’Allemand Comroad où une bonne partie du chiffre d’affaires venait d’une société fictive : sur 86 millions d’euros d’encaissement réalisés en 2001, 3% seulement seraient réels…

Comment cela est-il possible ? Et comment des auditeurs dont la mission est précisément d’auditer et de contrôler peuvent-ils laisser passer de telles choses ? Une explication vient immédiatement à l’esprit : ils sont de mèche et aident leurs clients à cacher la vérité au lieu au contraire de lever des lièvres quand il y en a.

L’hypothèse n’est pas saugrenue et il est permis de penser que certains cabinets connaissent des conflits d’intérêts : les grands cabinets proposent souvent 2 types de prestations, d’un côté de l’audit comptable assez faiblement rémunérateur et d’autre part du conseil, une prestation "à forte valeur ajoutée" où il y a plus de gras.

Ces 2 fonctions d’audit et de conseil sont assurées par des équipes différentes, mais il doit être bien tentant pour la direction d’un cabinet d’inciter la première équipe à lever le pied lorsque la deuxième équipe fait des affaires fructueuses avec un client.

Muraille de Chine

C’est ce même conflit d’intérêts qui vaut aujourd’hui à plusieurs grandes banques américaines d’être poursuivies en justices par des actionnaires qui estiment avoir été floués.

Une banque d’affaire qui participe à l’introduction d’une société en bourse voit une partie de sa rémunération liée au succès de l’opération. Mais lorsque cette banque fait partie d’un groupe qui comporte des activités de courtage avec des analystes qui recommandent à l’achat la société qui vient d’être introduite en bourse, que faut-il en penser ?

Certes une "Muraille de Chine" est sensée exister entre les 2 activités et éviter tout conflit d’intérêts. Mais comme il doit être tentant pour un "deal maker" d’essayer de faire partager son point de vue à l’analyste. Et puis il y a les cas où l’analyste détient lui-même en portefeuille des titres de sociétés sur lesquelles il émet des recommandations…

Définir les règles applicables

Tout cela arrive, certainement. Mais sans doute pas de façon systématique. Il ne fait nul doute que le cabinet Andersen a enfreint la loi et a trahi sa vocation en détruisant des documents compromettants du groupe Enron. Mais tous les cas où les cabinets d’audit sont mis en question ne sont peut-être pas aussi tranchés.

Et quand les auditeurs font correctement leur travail, sans rien trouver à redire, et qu’apparaît par la suite un problème, à qui la faute ? A la direction de l’entreprise qui n’aurait pas dû le cacher, à l’auditeur qui aurait dû le découvrir, à l’investisseur qui n’aurait pas dû prendre pour argent comptant les déclarations de l’une et de l’autre ?

Que penser du dernier rapport annuel d’une grande société du CAC 40 comptant 142 pages, où le rapport des commissaires aux comptes tient sur à peine plus d’une demi-page et représente moins de 300 mots (signatures non comprises) ? Si les investisseurs s’en satisfont et si cela répond aux exigences de la réglementation…

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A propos de l'auteur

Frédéric Lorenzini

Frédéric Lorenzini  est Directeur de la Recherche de Morningstar France.