H2O AM face à des milliers d'investisseurs lésés devant la justice

Les plaignants espèrent récupérer jusqu’à 1 milliard d’euros de fonds bloqués, qui auraient été investis dans des actifs non liquides au-delà des seuils autorisés.                                

Jocelyn Jovène 27.05.2024
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TC Paris

Crédit photo: TC Paris

Cet article, initialement publié le 27 mai, a été actualisé le 28 mai avec une citation de Mara Dobrescu, responsable de la recherche sur les fonds obligataires de Morningstar.

Nouvel épisode dans la saga H2O Asset Management, la société de gestion fondée par Bruno Crastes sanctionnés en janvier 2023 par l’AMF : mardi 28 mai, le tribunal de commerce de Paris doit examiner les poursuites engagées par plusieurs milliers de plaignants, investisseurs particuliers et conseillers en gestion de patrimoine.

Des paris obligataires risqués qui ont coûté cher

Selon le journal Le Monde, ils seraient au total 9000 à demander le remboursement de près de 1 milliard d’euros perdus suite aux choix d’investissement de la société de gestion, réputée pour afficher des performances spectaculaires dans l’univers des obligations, au prix d’une grande prise de risque et d’une très forte volatilité des performances.

C’est cette gestion très risquée qui aurait notamment conduit H2O à s’exposer à des actifs illiquides, liés à un financier allemand au parcours sulfureux. Ces positions, révélées par le Financial Times en juin 2019, ont explosé à la figure de la société, provoquant une chute des encours, amenant Morningstar à suspendre dans la foulée le rating du seul fonds noté de H20.

 

En avril 2020, Morningstar décidait d’abaisser la note du fonds à « Negative », la plus mauvaise de son échelle de notation, estimant que H2O Asset Management, mais également la banque Natixis, son actionnaire de référence, avaient vraisemblablement fait preuve de manquements en matière de gestion et de contrôle des risques.

« Nous pensons que le rapport de force chez H2O est trop fortement incliné en faveur des gestionnaires de portefeuille. Par exemple, la gestion des risques ne peut pas forcer les gestionnaires de portefeuille à ajuster immédiatement les expositions, si une limite de risque a été dépassée en raison des mouvements du marché plutôt que de changements actifs », écrivaient alors les analystes de Morningstar.

Lourde sanction contre la société et son fondateur

A l’été 2020, l’AMF demandait à la société de gestion de suspendre les souscriptions et rachats de plusieurs fonds. De nouvelles parts furent créées, contenant les actifs liquides, ainsi que des parts spéciales (« Side Pocket » ou SP), visant à cantonner les actifs illiquides, par définition difficiles à valoriser. L’objectif était de rembourser les porteurs de parts au fur et à mesure que ces actifs parviendraient à être cédés.

Toutefois, la valeur de ces parts spéciales n’a cessé de reculer. Une part très limitée des fonds a depuis été rendue aux investisseurs.

En novembre de la même année, Natixis annonçait son intention de se désengager de H2O Asset Management (la banque de financement et d’investissement sera finalement absorbée et retirée de la cote par sa maison-mère, le groupe bancaire BPCE en juillet 2021).

En janvier 2023, l’AMF annonçait l’une des plus lourdes sanctions à l’égard d’une société de gestion, ainsi que ses dirigeants, assortie d’une interdiction de gérer des fonds en France pendant 5 ans. Une décision contestée devant le Conseil d’Etat par la société.

Malgré ces déboires, certains des fonds crées en 2020 ont affiché des performances favorables, mais toujours volatiles.

H2O Asset Management, dont les actifs sous gestion avaient atteint un pic de plus de 20 milliards d’euros avant les révélations du FT, ne gérait plus que 3,7 milliards d’euros à travers des fonds ouverts à fin avril 2024.

Quelles compensations et à quel rythme ?

Si la justice devait donner raison aux plaignants, demeure une incertitude : H2O Asset Management et Natixis seront-elles en mesure de les rembourser ?

« Depuis 2023, la société a versé à deux reprises des remboursements partiels aux investisseurs lésés, mais seulement pour une petite du préjudice causé. Même si le Tribunal de Commerce de Paris donne raison au collectif d’épargnants, il n’est pas clair à quel rythme et à quelle échéance H2O sera en mesure de rembourser ces montants colossaux » estime Mara Dobrescu, responsable mondiale de la recherche obligataire chez Morningstar.

« D’autre part, cette immense pression financière complique le processus de désengagement de Natixis, dans la mesure où la maison mère espérait faire racheter la totalité de ses parts par les fondateurs et employés de H2O, et le calendrier de ce désengagement a déjà été rallongé à plusieurs reprises », ajoute-t-elle.

 

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A propos de l'auteur

Jocelyn Jovène

Jocelyn Jovène  est analyste financier senior et rédacteur en chef de Morningstar France.