Cet article a été revu et corrigé le 30 novembre 2023, après une publication initiale le 29 novembre 2023.
Charlie Munger, vice-Président de Berkshire Hathaway, partenaire indissociable du formidable succès de Warren Buffett pendant soixante ans, s’est éteint le 28 novembre à l’âge de 99 ans dans un hôpital de Pasadena, Californie.
« Berkshire Hathaway n’aurait pas atteint son statut actuel sans l’inspiration, la sagesse et la participation de Charlie Munger », a déclaré peu après sa disparition Warren Buffett, dans un communiqué de presse.
« Aujourd’hui, le monde a perdu un géant et notre entreprise a perdu l’un de ses fondateurs, un homme dont nous portons fièrement le nom. Même si la vision, la philanthropie et la capacité de Charlie à raconter les choses telles qu’elles sont connues de tous, il était pour nous un ami cher et généreux », affirme Ron Olson, associé du cabinet d’avocats que Munger co-fonda en 1962.
Cela ne peut être plus vrai.
Le ton direct, franc et plein d’humour de ce grand admirateur de Benjamin Franklin, qui tranchait avec la rondeur des déclarations de Buffett, laissait rarement indifférente l’assistance nombreuse venue l’écouter lors de l’assemblée générale de Berkshire ou de celle, en janvier du Daily Journal, dont il fut président jusqu’en mars 2022.
La personnalité de Munger va bien au-delà du monde de l’investissement.
Une constante dans sa vie a été l’utilisation de modèles mentaux, puisés dans de multiples disciplines scientifiques (physique, mathématiques, biologie, psychologie et bien d’autres encore), qui lui permettaient d’analyser un problème, de chercher une solution et de prendre des décisions.
« J’ai passé ma vie à pratiquer constamment ce modèle d’une approche multidisciplinaire. Je ne peux vous dire ce que cela a fait pour moi. Cela a rendu la vie plus joyeuse, cela m’a rendu plus constructif, a fait de moins un soutien pour les autres, cela m’a rendu énormément riche… cette attitude aide vraiment », affirmera Munger devant des étudiants.
« La compétence centrale de Buffett, acquise au cours de ses études auprès de Benjamin Graham lui-même, résidait dans l’investissement « value » classique : trouver des entreprises que le marché sous-évaluait et ne pas trop se soucier de savoir si elles étaient d’excellents moteurs de croissance. Munger l'a incité à appliquer la philosophie de Graham plus largement, pour inclure de bonnes entreprises largement reconnues », notait John Authers, commentateur de l’agence Bloomberg.
Jason Zweig, journaliste au Wall Street Journal et auteur de nombreux articles et ouvrages sur le « value investing » ainsi qu’une édition de L’Investisseur Intelligent de Benjamin Graham, rappelle que Buffett lui-même reconnaîtra que ce changement d’approche, qui débuta avec le rachat en 1971 de See’s Candies, « a mis un terme à la recherche d’investissements ‘mégots’ – des entreprises médiocres à des prix cassés – et m’a amené à recherche des entreprises merveilleuses à des prix raisonnables. »
« Charlie suivait déjà cette ligne depuis des années. J’apprends lentement » ajoutera Buffett.
Munger naquit le 24 janvier 1924, à Omaha, Nebraska. Son père Alfred était avocat. Sa mère, Florence, femme au foyer, était une grande lectrice.
Charlie étudia les mathématiques à l’Université de Michigan mais la quitta avant d’être diplômé pour rejoindre l’armée américaine pendant la Seconde Guerre Mondiale. Il étudia la thermodynamique et la météorologie, puis fut basé en Alaska en tant que météorologiste.
Après la guerre, il fut admis à la Harvard Law School grâce aux relations de son père, et fut diplômé avec les honneurs. Plutôt que de s’installer à Omaha, il décida de démarrer son activité de conseil en Californie du Sud. Son cabinet, Munger, Tolles & Olson, est toujours en activité et emploie 200 personnes aujourd’hui.
Les débuts de sa vie personnelle furent difficiles. Son premier mariage, avec Nancy Huggins, se termina par un divorce et il perdit un enfant, Teddy, emporté par une leucémie à l’âge de neuf ans.
Munger se remariera en 1956 avec Nancy Barry Borthwick. C’est en 1959 qu’il rencontre Warren Buffett à Omaha, où il était revenu pour organiser les affaires de son père récemment disparu.
Cette rencontre sera le début d’une profonde amitié et complicité entre les deux hommes.
Munger, qui débuta sa carrière dans le droit, fut aussi un investisseur très avisé qui eut très vite « la passion de devenir riche », comme il le dira lui-même à Roger Lowenstein, un auteur de référence sur les investissements de Warren Buffett.
Il commença à gérer des participations dès 1962, affichant des résultats aussi impressionnants que ceux de Buffett.
Dans les années 1960, Munger et Buffett commencent à investir ensemble dans des entreprises, comme Wesco Financial ou See’s Candies, avant que Munger ne rejoigne Berkshire Hathaway en 1975. « J’avais gardé un pied dans mon cabinet d’avocats dans l’éventualité où ma carrière d’investisseur s’écroulerait », dira-t-il.
En 14 ans, son portefeuille aura enregistré un gain annuel moyen de 19,8% (contre 5,2% pour l’indice S&P 500).
Étant devenu très riche, et fort des succès de Berkshire Hathaway (et malgré les nombreuses erreurs commises), Munger consacrera une partie de sa fortune à l’architecture, notamment la construction de bâtiments pour des campus universitaires, comme le Kavli Institute of Theoretical Physics.
Munger a été un soutien du Good Samaritan Hospital de Los Angeles, a fondé le centre des sciences de la Harvard-Westlake School et un centre de recherche de la Huntington Library.
Certains dons n’ont pas été sans controverses, comme un projet de logement pour étudiants sur le site de l’Université de Santa Barbara.
Munger aura été le bras droit infaillible de Buffett, son « acolyte » (« sidekick »), même s’il a lui-même reconnu que c’était sans doute un peu contre sa nature : « Cela ne me dérangeait pas du tout de jouer le second violon derrière Warren », a-t-il déclaré dans une interview avec le New York Times.
« D’habitude, partout où je vais, je suis très dominant, mais quand quelqu’un d’autre est meilleur, je suis prêt à jouer le second rôle. C’est juste que j’étais rarement dans cette position, sauf avec Warren. Mais cela ne me dérangeait pas du tout. »
Quelques discours de Charlie Munger
Intervention devant les étudiants de la Harvard Business School (1986)
Discours devant les étudiants de l’Université de Southern California (1994)
Discours devant les étudiants de droit de l’Université de Southern California (2007)
« The Psychology of Human Misjudgment »
Interview at the University of Michigan (2017)
Lectures utiles
Poor Charlie's Almanack: The Wit and Wisdom of Charles T. Munger, Peter D. Kaufman
Damn Right!: Behind the Scenes with Berkshire Hathaway Billionaire Charlie Munger, Janet Lowe
Seeking Wisdom: From Darwin to Munger, Peter Bevelin