La hausse des taux de défauts a commencé

Après des années de taux de défauts historiquement bas, les défaillances d'entreprises devraient s'accentuer avec la normalisation des taux.

Agefi/Dow Jones 16.10.2023
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Crédit photo: AP

PARIS (Agefi-Dow Jones)--Après des années de taux de défauts historiquement bas, grâce aux politiques monétaires accommodantes et aux soutiens des Etats, les défaillances d'entreprises sont reparties à la hausse et devraient s'accentuer à mesure que la normalisation des taux se diffuse dans l'économie.

"Les entreprises continueront à faire défaut en nombre croissant en Europe, du moins jusqu'à tard en 2024 et début 2025", affirme Sebastian Zank, analyste chez Scope Ratings.

L'inflation, un coût élevé de l'énergie et une croissance faible mettent sous pression les entreprises dont les métriques de crédit sont les moins bonnes (endettement élevé, financement à court terme, niveau de couverture des intérêts par l'excédent brut d'exploitation, ou Ebitda, bas...).

Mais l'effet de la hausse des coûts de financements est le plus dur pour les entreprises les plus fragiles.

"L'augmentation des défauts reflète en partie le rattrapage des faibles niveaux d'insolvabilité en 2020-2022, car les gouvernements ont soutenu les entreprises pendant la pandémie", poursuit l'analyste.

"Mais elle reflète surtout des risques bien plus importants liés aux taux durablement plus élevés qui exacerbent les pressions sur les bilans des entreprises dans de nombreux secteurs", indique-t-il. Un constat valable des deux côtés de l'Atlantique.

Des coûts de financement plus que doublés en deux ans

Les coûts de financement ont plus que doublé en l'espace de deux ans.

En Europe par exemple, des sociétés de bonne qualité qui se finançaient à des rendements proches de zéro doivent désormais offrir des rémunérations de 3% à 4%. Les émetteurs "high yield" (HY), ou haut rendement, doivent proposer des coupons de 6% à 7%, voire jusqu'à 12% ou plus pour les entreprises les plus risquées.

De quoi remettre en cause l'équation financière et la viabilité de certaines entreprises.

Scope Ratings a estimé, sur la base des obligations arrivant à échéance sur le marché européen pour les émetteurs notés "investment grade" (IG) et HY, d'un coupon moyen de 4,95% et d'un financement aux trois quarts via des prêts bancaires, le coût supplémentaire pour les entreprises de cette hausse des taux à 80 milliards d'euros sur deux ans, dont 8 milliards d'euros pour les seuls émetteurs sur le marché obligataire euro en 2023.

"La capacité des émetteurs à payer les intérêts avec leur cash-flow devient centrale", indique Vincent Marioni, responsable de la gestion crédit chez Allianz GI.

"Les entreprises vont souffrir. Il va y avoir une dégradation. Mais cela va prendre un certain temps, car les échéances de refinancements sont étalées dans le temps, pour une grande majorité d'émetteurs. Ce qui leur permet de s'adapter", explique-t-il.

Ces entreprises peuvent alors augmenter leurs fonds propres, chercher des sources de financement alternatives ou vendre des actifs pour sortir d'une situation financière tendue. Un ratio de couverture des intérêts par l'Ebitda inférieur à 2 devient rapidement intenable, mais cela varie beaucoup d'un secteur à l'autre.

"La hausse des coûts d'intérêt mettra particulièrement sous pression les entreprises qui avaient une couverture des intérêts de trois fois ou moins lorsque les taux d'intérêt étaient extrêmement bas et celles qui ont un accès limité au (re)financement", complète Scope Ratings. Le montant des refinancements, ou le mur de dette, va commencer à augmenter progressivement à partir de 2024, avec deux importantes années en 2025 et 2026.

"Les données mensuelles et trimestrielles pour les principales économies européennes fournissent déjà des preuves solides du fait que le cycle des défaillances s'est inversé", observe Sebastian Zank.

Les défauts de paiement des entreprises non financières ont augmenté régulièrement au cours de chacun des six derniers trimestres dans l'ensemble de l'Europe, et atteignent des plus hauts.

Ces défaillances touchent principalement les entreprises de petites tailles, mais le phénomène commence aussi à affecter les entreprises plus importantes qui ont accès aux marchés obligataires. Le taux de défaut sur le marché européen a déjà augmenté de 2% l'an dernier à 3% au cours des 12 derniers mois, selon Moody's.

Secteurs cycliques

Dans cette période, les secteurs les plus cycliques, comme ceux de la distribution, des produits de consommation, de l'immobilier et de la construction, ainsi que des équipementiers automobiles, ont été les plus touchés.

Dans la distribution, il y a eu Casino et Camaïeu en France ou Takko en Allemagne parmi près d'une vingtaine de sociétés.

Dans la consommation, le cas de Horst Brandsttater Gruppe, la maison mère de Playmobil, a été remarqué. Adler Real Estate est la défaillance la plus emblématique dans l'immobilier. Orpea, Flybe, Celsa ou CineWorld Group ont constitué d'autres gros défauts depuis un an. L'Allemagne concentre une grande partie de ces défaillances.

Scope Ratings, dont la part des mouvements négatifs sur ces notations corporate a doublé au cours des neuf derniers mois à 25% de l'ensemble des mouvements effectués, note une dynamique moins à l'avantage de ces secteurs, suggérant que la pression sur leurs bilans s'intensifie.

Taux de défauts limités

Pour autant, la plupart des spécialistes de ce marché restent sereins quant à l'évolution des taux de défauts et ne s'attendent pas à une explosion comme lors des crises passées (crise du Covid en 2020, crise pétrolière aux Etats-Unis en 2018 ou grande crise financière de 2008).

Fitch Ratings a récemment revu en baisse sa prévision de taux de défaut pour cette année à 3%-3,5% pour le marché HY américain (ainsi que pour le marché des leveraged loans -LL-, qui est très important outre-Atlantique) contre 4,5%-5% (et 4%-4,5% pour les LL) précédemment.

"Les principaux facteurs qui ont conduit à la réduction de nos prévisions de défauts comprennent une croissance économique américaine meilleure que prévu en 2023, ainsi qu'une amélioration au cours de l'année des émetteurs à risque figurant sur nos listes sous surveillance", affirment les analystes de l'agence de notation.

Le Fonds monétaire international (FMI) a relevé la semaine dernière sa prévision de croissance pour les Etats-Unis à 2,1% en 2023 (+0,3 point de pourcentage) et 1,5% pour 2024 (+0,5 point).

Les économistes de Fitch ont repoussé de 2023 au premier semestre 2024 leur anticipation d'une récession outre-Atlantique.

"La consommation continue de montrer de la vigueur, le chômage reste à de faibles niveaux et il existe un marché du travail fort, bien que modéré, malgré l'inflation des salaires", affirment les analystes de Fitch qui notent par ailleurs que depuis mai 2023, un certain nombre d'émetteurs ont amélioré leur activité opérationnelle, refinancé avec succès des échéances à court terme (parfois sur le marché de la dette privée), réalisé des opérations de fusions et renforcé la liquidité ou gagné du temps pour résoudre des problèmes potentiels.

C'est le cas notamment d'AMC Entertainment via une augmentation de capital.

Cette résistance est également vraie en Europe, avec des entreprises dont les bilans restent sains (pas de hausse des ratios d'endettement et couverture des intérêts toujours élevée, en moyenne).

"Les défauts restent modérés du fait de la prudence des entreprises et d'une certaine résilience de l'économie, surtout en Europe", relève Matthieu Bailly, gérant crédit chez Octo AM.

Vincent Marioni, d'Allianz GI, estime que les défauts vont remonter progressivement à 3% en Europe, ce qui resterait inférieur à la moyenne historique de 3,6%. Moody's anticipe des défauts de 3,9% à 12 mois pour l'Europe, de 4,6% pour les Etats-Unis et de 4,2% au niveau mondial, des taux en hausse mais qui restent faibles dans une perspective historique.

"Il n'y aura de récession ni aux Etats-Unis, ni en Europe", affirme Alexis Renault, responsable gestion crédit high yield chez Oddo BHF AM.

"La croissance va bien sûr demeurer molle, mais c'est le genre d'environnement idéal pour les entreprises HY", poursuit-il. D'autant qu'en moyenne la qualité de crédit est stable, car ces entreprises sont restées prudentes ces dernières années dans un contexte de crises à répétition, et ont évité de se lancer dans des stratégies de forte croissance coûteuses.

Cela ne signifie pas qu'il n'y aura pas de défauts, mais ceux-ci seront concentrés dans un certain nombre de secteurs bien identifiés : immobilier, construction, emballage ou chimie. Une grande partie de la hausse du taux de défaut viendra du secteur immobilier, qui est l'équivalent des télécoms de 2001, relève le gérant d'Oddo BHF AM.

"Ces sociétés, dont une partie sont encore notées IG, ont des ratios de levier énormes de 15 à 25 fois la dette rapportée à l'excédent brut d'exploitation, avec des financements court terme et des 'cash flow' libre négatifs dans un contexte de baisse des prix de l'immobilier du fait de la hausse des taux", détaille-t-il. Le cocktail idéal pour les défauts.

 -Xavier Diaz, L'Agefi ed: VLV

Agefi-Dow Jones The financial newswire

(END) Dow Jones Newswires

 

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A propos de l'auteur

Agefi/Dow Jones  est une agence de presse financière basée à Paris.