La responsabilité des dirigeants dans les faillites bancaires en question

Dur dur d'établir la responsabilité des dirigeants de banques en cas de déflagrations majeures. 

Agefi/Dow Jones 21.04.2023
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MADRID (Agefi-Dow Jones)--Dur dur d'établir la responsabilité des dirigeants de banques en cas de déflagrations majeures. Les conditions du sauvetage de Credit Suisse par UBS ont remis au goût du jour un sujet laissé de côté depuis la crise financière.

En théorie, les responsabilités des dirigeants de la banque suisse déchue pourraient être engagées sur plusieurs terrains. Selon des sources juridiques, ces dirigeants pourraient se voir reprocher la nature des événements qui ont conduit à la défaillance de Credit Suisse. "Il sera sans doute difficile de les incriminer pour cette raison", estime une source, ajoutant que "ce n'est pas un crime d'être mauvais".

Plus épineuse, en revanche, la question de la communication aux investisseurs est également posée : ont-ils été informés correctement de la situation de l'établissement suisse ?

Enfin, les conditions de la cession de Credit Suisse pourraient aussi se retourner contre les dirigeants. Le parquet fédéral suisse s'est d'ailleurs saisi de ce dossier début avril en décidant d'ouvrir une enquête sur les circonstances dans lesquelles s'est déroulé le rachat de la banque helvétique.

Dans les faits, la mise en cause de la responsabilité des dirigeants se heurte souvent à d'importants obstacles.

"D'un point de vue strictement théorique, un dirigeant de banque peut voir sa responsabilité engagée principalement sur quatre terrains différents en France ", explique l'avocat Mathieu Françon.

Au programme : la responsabilité pénale, généralement devant le tribunal correctionnel, en cas de malversations personnelles, une responsabilité administrative devant les autorités de régulation lorsque le dirigeant a directement et personnellement pris part aux manquements en cause, une responsabilité civile, pour autant que des victimes agissent et puissent démontrer un préjudice et un lien de causalité avec la faute invoquée, sans oublier une hypothétique responsabilité spéciale dans le cadre d'une procédure collective lorsque la société liquidée se trouve, par la faute du dirigeant, dans l'incapacité de désintéresser ses créanciers.

L'épisode Landsbanki

"Dans les faits, il est très rare que des dirigeants d'établissement de crédit soient mis en cause personnellement", indique Mathieu Françon.

Les raisons sont multiples : "Il faut que le dirigeant ait commis une faute qui puisse être établie", poursuit-il. S'ajoutent aussi, "les règles prudentielles et la surveillance interne et externe des décisions prises au sein d'un tel établissement, qui limitent en principe la probabilité d'un comportement fautif", complète l'avocat.

Enfin se pose, dans le secteur bancaire et financier, la question des "aléas économiques" : le 28 août 2017, la justice française avait ainsi provoqué une relaxe générale en faveur de Landsbanki Luxembourg, filiale d'une banque islandaise, et de ses dirigeants, qui étaient accusés d'avoir escroqué des centaines d'épargnants français. Pour le magistrat en charge, la faillite de Landsbanki Luxembourg et de sa maison mère en 2008 relevait des "aléas de la vie économique".

Serrage de vis en Espagne

Post-crise financière, certains pays se sont néanmoins montrés particulièrement sévères au vu des manquements des dirigeants de banques.

En Espagne, les dérives individuelles, par opposition à des manquements dans le cadre de leurs fonctions, se sont multipliées : l'ex-directeur général du Fonds monétaire international (FMI), Rodrigo Rato, avait ainsi été condamné en 2017 à quatre ans et demi de prison pour avoir utilisé pour son usage personnel une carte de crédit de Bankia, où il travaillait.

"En 2018, l'Espagne s'est positionnée à la deuxième place des pays européens à avoir infligé des peines de prison aux dirigeants de banques post-crise financière, avec un total de 11 affaires, comparé à 25 pour l'Islande", rappelle Josep Gisbert, professeur à l'IE University.

"Certains ont cependant regretté que les peines ne soient pas suffisamment sévères, ou parfois même rejetées par de plus hautes instances juridiques," poursuit-il.

Des fonctions clés validées par les autorités au Royaume-Uni

Au Royaume-Uni, l'introduction du 'Senior Managers and Certification Regime' (SMCR) en 2016 pour les banques, un régime généralisé depuis à l'ensemble des établissements financiers régulés, a fait date.

Le SMCR exige que les personnes clés au sein des banques - telles que les directeurs généraux, les responsables des risques, les responsables de la conformité... - soient approuvées à l'avance par la Prudential Regulation Authority (PRA) et/ou la Financial Conduct Authority (FCA), les autorités financières britanniques, pour entreprendre des fonctions clés désignées.

"Il s'agit là d'une différence essentielle par rapport à l'Union européenne, où l'approbation réglementaire se concentre sur l'entité autorisée et supervisée et où l'approbation individuelle préalable n'est pas requise, à l'exception des approbations de l'aptitude et de la compétence des contrôleurs dans le cadre, par exemple, de la directive/réglementation sur les exigences de fonds propres", explique Michael McKee, associé au sein de DLA Piper.

Nécessaire, ce régime devait permettre d'apaiser la colère des Britanniques, vent debout contre des dirigeants de banques peu inquiétés par la mauvaise gestion des établissements dont ils avaient la responsabilité, à l'image de Fred Goodwin, l'ancien directeur général de RBS, qu'il avait quasiment conduite à la faillite.

Mais plus de six ans après son entrée en vigueur, le SMCR a-t-il apporté la preuve de son efficacité ? En décembre 2022, 67 des 124 enquêtes ouvertes par la FCA devaient encore être résolues.

Un cas a été très médiatisé : Jes Staley, ancien directeur général de Barclays, avait écopé d'une amende de 642.000 livres pour une affaire de "whistleblowing" (lanceur d'alerte) mais avait pu garder son poste.

"Outre-Manche, le SMCR n'est pas un sujet dans le cadre de procédures de recrutement de seniors", explique Stéphane Rambosson, cofondateur du cabinet Vici Advisory. "Je n'ai jamais vu un banquier refuser un poste de dirigeant compte tenu de ce statut."

Le SMCR fait actuellement l'objet d'une double consultation, à l'initiative du Trésor britannique, de la FCA et de la Banque d'Angleterre, en vue de sa révision. Jugé onéreux, le dispositif a aussi été critiqué car il ralentirait le recrutement des talents à l'international. Pour autant, le message de Londres reste clair : le régime restera en place.

-Stéphanie Salti, L'Agefi ed: VLV

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