Comment les conseillers financiers devraient aborder l'ESG

Les conseillers financiers doivent prendre l’habitude d’aborder les enjeux ESG avec leurs clients s’ils veulent les aider à atteindre leurs objectifs.        

Andy Pettit 27.07.2020
Facebook Twitter LinkedIn

Les fonds qui accordent la priorité à l’investissement durable ont enregistré des flux de capitaux importants en 2019.

En Europe, l’intérêt des investisseurs pour les fonds durables s’est traduit par 35 milliards d’euros d’afflux de nouveaux actifs  par an depuis 2016, au point d’atteindre 120 milliards en 2019 (un nouveau record pour les fonds domiciliés en Europe), si l’on se réfère aux données de Morningstar.

Si l’on en croit ces chiffres, force est de constater que l’intérêt pour les placements durables ne relève pas d’une mode passagère.

C’est au contraire rentré dans les mœurs, car les investisseurs, toutes tranches d’âge confondues, déclarent prendre en compte les enjeux du développement durable dans leurs choix de placement.

Les experts en recherche comportementale de Morningstar ont constaté que les personnes qui déclarent un intérêt, même faible, pour les placements durables englobaient toutes les générations et tous les sexes.

À noter toutefois que les femmes et les personnes appartenant à la Génération Y manifestaient un intérêt plus important.

Tous les investissements ont des impacts sur l’environnement et la société, et les investisseurs sont de plus en plus nombreux à exprimer le souhait d’en savoir plus sur ces impacts et leurs implications pour leur portefeuille.

Les investisseurs souhaitent d’abord savoir dans quelle mesure ces impacts sont en phase avec leurs valeurs.  Ils prennent également en considération les risques environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) à long terme tels que le changement climatique lorsqu’il s’agit de choisir un placement à long terme.

On ne peut tracer une ligne de démarcation claire entre ceux qui privilégient les valeurs et ceux qui accordent plus d’importance au risque. Un grand nombre d’entre eux tiennent compte de ces deux aspects à des degrés divers.

Voici ce que les conseillers doivent savoir sur l’investissement ESG et pourquoi ils doivent prendre en compte les préférences des clients en la matière :

Les investisseurs peuvent intégrer leurs préférences ESG dans leur stratégie d’investissement et espérer obtenir des rendements élevés

Quand bien même les investisseurs ont un intérêt pour le développement durable, ils n’ont pas pour autant renoncé à obtenir des rendements élevés.

Heureusement, de nombreuses études montrent que jusqu’à preuve du contraire, le fait d’investir dans des placements durables n’entraîne pas une diminution des rendements corrigés du risque.

Dans une étude récente, les chercheurs de Morningstar ont constaté que les investisseurs qui ciblent les entreprises soucieuses des enjeux ESG ne sacrifient pas les rendements, même si une faible prime ESG peut être exigée aux États-Unis.

Selon une méta-analyse du Accountability Office du gouvernement fédéral des États-Unis, 88 % des études réalisées sur le lien entre les facteurs ESG et les rendements financiers ont montré que la prise en compte de critères ESG ne s’accompagne pas toujours d’une baisse des rendements.

En bref, sélectionner des investissements qui obtiennent de meilleurs scores au regard des critères ESG peut être une stratégie intéressante pour les investisseurs qui souhaitent mettre en phase leurs placements avec leurs valeurs.

Rien ne garantit toutefois que cette relation perdurera à l’avenir. Les conseillers se doivent d’informer leurs clients de ce risque éventuel, comme ils le feraient pour n’importe quel autre risque.

Il existe par exemple un risque que les investisseurs soient contraints de payer une prime pour investir dans les entreprises les plus performantes au regard des critères ESG du fait que ces entreprises soient convoitées par un nombre toujours plus grand d’investisseurs.

Une application stricte des critères ESG peut également donner lieu à des déviations importantes en termes de secteur, de capitalisation boursière, de préférence géographique par rapport au marché. Les investisseurs ayant des préférences ESG font le pari (sciemment ou pas) que ces facteurs n’ont pas été pleinement intégrés par le marché.

Deux approches

Les investisseurs qui ont des objectifs non financiers peuvent être divisés en deux catégories : les éviteurs et les amplificateurs. On peut très bien appartenir aux deux catégories et les investisseurs peuvent mettre en pratique les deux approches en même temps. En raison des différences entre ces approches, il est important pour les conseillers financiers de bien comprendre ce que leurs clients veulent dire lorsqu’ils expriment un intérêt pour le développement durable :

  • Les éviteurs évitent à tout prix d’investir dans des entreprises ou des secteurs qui réalisent des activités commerciales controversées ou qui produisent des effets négatifs sur l’environnement ou la société. Par exemple, les éviteurs sont susceptibles d’acheter des parts de fonds qui filtrent les émetteurs qui réalisent des tests sur des animauxqui vendent des armes controversées, ou qui extraient du charbon. Ces investisseurs peuvent bien sûr considérer pour des raisons financières que les entreprises impliquées dans certaines activités controversées ne sont pas bien positionnées pour le futur.
  • Les amplificateurs ciblent les entreprises ou les secteurs qui ont un impact positif sur l’environnement ou la société. Les amplificateurs peuvent par exemple cibler les entreprises qui cherchent à améliorer l’accès aux médicaments, à aider les gens à s’adapter au changement climatiqueou qui développent de nouvelles technologies pour réduire les émissions de CO2 telles que les véhicules électriques, les énergies propres ou les produits de construction écologiques. Sachant que ces investissements pourraient contribuer à résoudre les défis à moyen et long terme posés par l’adaptation au réchauffement de la planète, les investisseurs peuvent espérer obtenir des rendements élevés sur ces placements ou être motivés par des objectifs aussi bien financiers que non-financiers.

Pression des régulateurs

Il est également important de connaître ces approches car, en Europe, les conseillers seront bientôt soumis à des règles formelles qui leur imposeront d’identifier les deux catégories de clients.

La directive MiFID II impose déjà aux conseillers de se renseigner sur les objectifs d’investissement des investisseurs, sur leur horizon temporel et sur leur situation personnelle dans le cadre d’une évaluation du profil d’investisseur.

Dès l’an prochain, les évaluations devront être toutefois complétées par un questionnaire destiné à recueillir les préférences ESG de leurs clients.

Il s’agira pour eux de déterminer si les clients sont intéressés par des placements qui tiennent compte de facteurs environnementaux ou sociaux, ou par des placements qui vont plus loin et qui ont des effets positifs sur la durabilité.

À compter de mars 2021, les investisseurs pourront consulter une rubrique sur le site Internet de leurs conseillers qui explique comment ces derniers :

  • intègrent les risques liés au développement durable dans leurs conseils de placement ; et
  • tiennent compte des effets négatifs que les placements ont sur les facteurs relatifs au développement durable. 

Prendre en compte le long terme

Au-delà des valeurs, les facteurs ESG sont des risques clés pour la durabilité des entreprises et ces risques sont aussi importants que les autres auxquels les entreprises sont exposées.

Les entreprises ne peuvent pas se permettre d’ignorer les risques importants liés à l’émergence de nouveaux concurrents ou à l’évolution des technologies.

Elles ne peuvent pas non plus ignorer les risques que le changement climatique, ou les réglementations édictées par les pouvoirs publics pour l’atténuer, peuvent faire peser sur leur capacité de production.

Elles doivent également tenir compte du risque que leurs pratiques concernant la santé et la sécurité de leurs salariés puissent démotiver les travailleurs en cas de tensions sur le marché du travail, ou le risque que leur équipe de direction ne soit pas suffisamment incitée à privilégier les résultats à long terme.

Les risques ESG importants diffèrent d’une entreprise à l’autre et chaque secteur d’activité possède un niveau d’exposition qui lui est propre à différents types de risques ESG.

La rentabilité à long terme de tout placement peut être toutefois compromise par des risques ESG qui auraient été négligés, d’où la nécessité de prendre en compte ces risques.

Étant donné l’importance des risques ESG dans le cadre d’une stratégie de placement à long terme, il convient de les prendre en considération dans l’analyse des titres.

Faute de quoi, on prend le risque de surestimer la juste valeur d’un titre. Les conseillers financiers doivent s’assurer que leurs clients comprennent les risques ESG et leur expliquer dans quelle mesure les facteurs tels que le risque de taux d’intérêt, le risque de défaut, le risque de change, le risque de marché ou le risque de concentration sectorielle peuvent impacter leurs investissements.

Un nouveau regard sur les préférences ESG des clients

Face à l’intérêt croissant des investisseurs pour les questions ESG, les conseillers ne peuvent pas fermer les yeux sur ce type de placement.

Même pour les investisseurs qui n’expriment pas un grand intérêt pour les enjeux ESG, les conseillers doivent tenir compte des risques ESG et en informer leurs clients comme ils le feraient pour n’importe quel autre risque.

Outre le fait que les conseillers aient tout intérêt à intégrer ces questions, les nouvelles réglementations qui entreront en vigueur en Europe intègreront la prise en compte des facteurs ESG dans les workflows des conseillers et leurs processus en matière de durabilité.

Ces réglementations feront partie intégrante des obligations des conseillers d’agir dans l’intérêt de leurs clients.

Facebook Twitter LinkedIn

A propos de l'auteur

Andy Pettit  est directeur des affaires publiques de Morningstar en Europe.