Cet article fait partie de la série "Perspective", qui regroupe des contributions externes. Le texte suivant a été rédigé par Benjamin Mandel, stratégiste Multi-Asset Solutions au sein de l'équipe de gestion de J.P.Morgan Asset Management.
L’un des faits les plus surprenants d’un troisième trimestre riche en rebondissements est la résilience de la vision présentant la réunion de septembre du FOMC comme une candidate au décollage des taux de la Réserve fédérale.
Dans un contexte de volatilité des marchés, les actions mondiales ont chuté de 7 % depuis le début du trimestre – entrainées par les marchés émergents eux-mêmes en recul de 19 %, suivis par le Japon, l’Europe et les États-Unis respectivement en baisse de 12 %, 6 % et 5 %. Pourtant, la probabilité qu’une hausse de taux par la Réserve fédérale intervienne réellement le 17 septembre est faible, bien que non négligeable. Les futures intègrent la probabilité d’une telle occurrence à hauteur de 20 % environ.
Que va décider le FOMC ? Que devrait-il faire ? Et quelles sont les implications possibles pour les portefeuilles diversifiés ? Nous maintenons notre position selon laquelle un relèvement des taux en septembre est possible, préférable – et pas improbable. Nous anticipons des manifestations à court terme de cette évolution de la politique monétaire (ainsi qu’une très forte probabilité de hausse de taux plus tardive en 2015 si rien ne se passe en septembre) à l’extrémité courte de la courbe de taux, sur le dollar et sur les marchés d’actions mondiaux.
L’effet le plus immédiat d’une hausse de taux sur les marchés sera de réfuter les arguments des opposants à cette vision des choses qui parient sur un relèvement en 2016 ou au delà, en générant un petit coup de pouce au point à deux ans de la courbe des taux et en donnant un coup de fouet supplémentaire au dollar. Les marchés ont déjà adopté cette idée, comme le démontrent le rebond massif du dollar depuis fin 2014 et le bon du Trésor américain à deux ans à des niveaux de reprise, supérieurs à 70 pb (points de base). La réaction réflexe des actions des marchés développés sera négative mais, du fait de la solidité du contexte de la croissance aux États-Unis et plus généralement sur les marchés développés, notre opinion tactique sur ces dernières reste positive. Dans tous les cas, les actions des marchés développés sont susceptibles de surperformer les actions émergentes au fur et à mesure que se déploie la normalisation des taux d’intérêt.
L’économie américaine repose sur des bases solides
Notre conviction de l’imminence d’une hausse de taux cette année repose d’abord sur l’état de l’économie américaine (U.S). En dépit de deux premiers trimestres très faibles et de séquelles persistantes de la crise financière (notamment de conditions de crédit rigoureuses, d’un niveau d’investissement agrégé des entreprises peu dynamique, d’une productivité en berne et d’un marché du logement évoluant progressivement), le PIB des États-Unis a réussi à générer un taux de croissance de 2,6%, supérieur à sa moyenne tendancielle au cours de ces deux dernières années.
Actuellement, les éléments prometteurs abondent. Le marché du travail se tend à un rythme rapide, avec un taux de chômage de 5,1 % désormais égal à l’estimation médiane du “taux naturel” par le FOMC. Le nombre de créations d’emplois en juillet a atteint un record à la hausse de 3,9 % de l’emploi total aux États-Unis, indiquant une forte demande de main d’oeuvre. Toutes ces bonnes nouvelles pour le revenu des ménages renforcent une large gamme d’indicateurs orientés favorablement pour ce qui concerne les dépenses de consommation. La puissante consommation des États-Unis atteint son rythme de croisière, comme le démontrent le gonflement des ventes automobiles en juillet et en août ainsi que la progression de l’utilisation du crédit revolving.
Les autres indicateurs de la demande intérieure, comme l’indice PMI (Indice des directeurs d’achat) des services et les indices du marché du logement, ont été dans l’ensemble positifs. Tout compte fait, nous estimons que la trajectoire de l’économie américaine (U.S.) et en particulier celle du marché du travail, est largement conforme aux préconditions du FOMC pour un relèvement de son taux directeur. La croissance supérieure à la tendance réduit progressivement l’insuffisante fermeté de l’économie, ce qui devrait inspirer confiance dans une lente accumulation de pressions inflationnistes.
Pas de “choc”
Il est également important de reconnaître que le FOMC communique depuis très longtemps sur son intention de relever les taux d’intérêt en 2015. Depuis si longtemps que l’on pourrait soutenir qu’il s’agit d’une pierre angulaire du pilotage des anticipations par le Comité. Depuis septembre 2012, une majorité de participants du FOMC prévoit que le taux directeur commencera à augmenter en 2015 (Graphique 1). Si cette prévision ne plaide pas par elle-même en faveur d’une hausse en septembre, elle indique qu’une inflexion prochaine de la politique monétaire fait partie d’un scénario de plus grande ampleur conçu depuis longtemps.
La communication récente du FOMC a même été plus explicite sur la perspective de l’imminence d’une hausse de taux, avec le commentaire apporté en août par le vice-président Stanley Fisher, selon lequel il était trop tôt pour écarter l’hypothèse du mois de septembre, même à la suite de l’importance des turbulences qui affectent les marchés émergents.
En observant le comportement du marché cette année, l’idée d’une hausse de taux en septembre n’apparaît pas choquante. Dans la mesure où le fort rebond du dollar depuis le début de 2015 et la récente volatilité des actions et du marché des changes sont alimentés par la perspective d’une action de la Réserve fédérale, l’inflexion elle-même est au moins partiellement intégrée dans les cours. Dans ces conditions, la validation de ces anticipations en commençant à augmenter progressivement les taux d’intérêt pourrait ne se traduire que par une réaction modérée et progressive du marché ; une surprise pour certains, sans aucun doute, mais pas un choc.
Les risques de l’imminence d’une hausse de taux pour les marchés émergents sont souvent cités comme une raison de la retarder – une position défendue notamment par la Banque Mondiale et le FMI dans leurs déclarations publiques séparées. Cependant, en mettant de côté l’argument selon lequel le FOMC n’est pas une banque centrale mondiale et n’est par conséquent pas tenu de prendre en compte ces vulnérabilités, l’incertitude générée par la faiblesse de la croissance des marchés émergents et les craintes d’un atterrissage brutal de l’économie chinoise ne sont pas susceptibles d’être résolues par un report de la hausse en décembre ou même l’an prochain. Ainsi, en vertu de cette logique, la persistance de problèmes de croissance sur les marchés émergents présente les caractéristiques d’une impasse pour la politique monétaire à court terme des États-Unis.
Enfin, nous relevons que l’annonce en septembre d’un report de la décision, au lieu d’une hausse de taux, serait un exercice beaucoup plus nuancé. Le FOMC est déjà familier d’un compromis entre une action de politique monétaire emprunte de fermeté et une communication accommodante. Un bon exemple en est le début du tapering (réduction progressive du programme de rachat d’actifs de la FED) en décembre 2013, lorsque le FOMC a géré les anticipations (et atténué la réaction du marché) en abaissant les projections du futur sentier des taux. De même, un décollage des taux en septembre serait probablement accompagné d’assurances sur un rythme de normalisation très progressif.
Dans le compromis généralement bien compris entre des hausses de taux initiales précoces plutôt que tardives, un mouvement précoce, tout en adoptant une trajectoire moins brutale pour les taux d’intérêt, semble moins risqué que la tâche d’expliquer pourquoi le Comité reste sur un positionnement attentiste. Peut-être, le risque d’adresser un signal négatif sur l’état de l’économie, qui accompagnerait un retard serait-il probablement plus grand que l’avantage d’attendre trois mois pour recueillir des données complémentaires de confirmation.
Les implications pour les classes d’actifs
Dans nos portefeuilles diversifiés, les implications d’une hausse de taux cette année par la Réserve fédérale se manifestent de plusieurs manières. Tout d’abord, elle contribue à un sentiment d’optimisme prudent sur les actions américaines. Bien que l’impulsion sous-jacente en faveur d’une action de la Réserve fédérale soit la croissance de l’économie américaine, nous sommes également conscients d’une possible réaction réflexe dans les valorisations des actions au moment décisif. Une telle réaction est susceptible d’être plus prononcée pour les marchés émergents, ce qui renforce notre préférence pour les marchés développés des actions.
Le risque de baisse des actions provenant d’une hausse de taux ou de craintes sur la croissance chinoise et le fait que les corrélations entre actions et obligations ont progressé nous ont conduit à rechercher les avantages de la diversification. A cet égard, le crédit high yield s’engouffre dans la brèche. Des valorisations relativement attractives et la tendance du crédit high yield à surperformer les actions dans les phases de faible croissance de l’économie apporte une couverture utile à notre exposition aux actions américaines.
Enfin, nous décelons des implications directes pour l’extrémité courte de la courbe des taux, bien que modérées étant donné les évolutions récentes des taux à deux ans. Comme le FOMC va entrer en action soit en septembre, soit en décembre, il va susciter un engouement additionnel en faveur des taux courts et un certain soutien pour le dollar.