Revue semestrielle des marchés obligataires européens : beaucoup de questions, peu de réponses

Après un premier semestre mouvementé pour les investisseurs des fonds obligataires européens, les grandes questions du début d'année restent en suspens.

Shannon Kirwin 20.07.2015
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Le premier semestre 2015 a été mouvementé pour les investisseurs des fonds obligataires européens. La perspective d'une hausse des taux d'intérêt aux États-Unis et la crise de la dette grecque, ainsi que les craintes grandissantes autour du ralentissement de la croissance en Chine, ont dominé l'actualité. Parallèlement, les rendements des obligations européennes ont connu une inversion de tendance inattendue au printemps.

Les banques centrales restent maîtresses du jeu

À l'instar des années précédentes, l'influence des banques centrales sur les marchés de la dette a constitué l'un des principaux thèmes du premier semestre 2015. Dans le monde entier, les acteurs du marché ont continué de se préparer à ce qui serait la première hausse des taux d'intérêt américain depuis près de dix ans. Début 2015, le consensus anticipait un premier relèvement des taux de la Fed en juin. Cependant, ces prévisions ont été peu à peu reportées à plus tard cette année, les statistiques économiques en provenance des États-Unis se révélant décevantes. À l'heure où nous rédigeons ces lignes (début juillet), la plupart des économistes semblent tabler sur une première hausse des taux d'intérêt en septembre. 

Dans le reste du monde, les banques centrales ont cependant maintenu leurs politiques d'assouplissement monétaire. La Banque du Japon a augmenté au tournant de l'année l'ampleur de ses achats mensuels d'obligations, la Banque d'Angleterre a laissé inchangé son propre programme d'assouplissement quantitatif, et en avril, la Banque populaire de Chine a pris de nouvelles mesures pour soutenir le crédit bancaire. Surtout, du point de vue des investisseurs européens, la Banque centrale européenne a annoncé en janvier qu'elle achèterait 1 100  milliards d'euros d'obligations sur les 19 mois suivants. En réaction à cette annonce, les investisseurs se sont rués sur les fonds obligataires, et notamment sur les actifs d'échéance longue. Les catégories Morningstar Obligations d'entreprise en EUR, Obligations d'État en EUR et Obligations diversifiées en EUR ont attiré respectivement 12 milliards, 8 milliards et 6,5 milliards d'euros de flux de capitaux au premier trimestre 2015. La plupart des catégories d'obligations d'échéance courte ont, à l'inverse, subi une décollecte, la catégorie Obligations à ultra-court terme en EUR perdant près de 2 milliards d'euros.

Inversion de tendance sur les rendements des obligations d'État

Le programme de soutien de la BCE a produit des effets non négligeables. Le rendement du Bund allemand de référence à 10 ans, qui avait entamé l'année à 0,50% environ, est tombé à un plus-bas de 0,07% le 20 avril, la plupart des pays de la zone euro affichant une évolution similaire de leur courbe de taux. Les catégories Morningstar Obligations d'État, Obligations diversifiées, Obligation d'entreprise et Obligations à haut rendement en EUR ont toutes enregistré une progression sensible, comprise entre 2 et 4%, au premier trimestre. La catégorie Obligations à long terme en EUR s'est distinguée, signant une performance de 11%.

Fin avril, toutefois, le marché a changé d'orientation, le rendement du Bund à 10 ans amorçant soudainement une tendance haussière, jusqu'à atteindre près de 1% à la fin juin. Cette inversion de tendance, qui a pris de court de nombreux investisseurs, semble imputable à plusieurs facteurs. La fin des programmes d'austérité dans différents pays et l'amélioration des statistiques économiques en Europe, tout comme le léger rebond du prix du pétrole (qui atteignait 66 dollars fin avril, contre un plus-bas de 50 dollars en janvier), ont entraîné une augmentation des anticipations d'inflation, incitant une grande partie des investisseurs à repenser leur exposition aux obligations à long terme. 

La hausse des rendements a affecté la quasi-totalité des catégories obligataires ; les fonds d'obligations d'État libellées en EUR ont chuté de 4,5% en moyenne au deuxième trimestre, tandis que les catégories Morningstar Obligations investment grade et Obligations d'entreprise à haut rendement ont perdu respectivement 2,7% et 1,2%. Au sein des stratégies de gestion active, l'évolution a été assez contrastée, néanmoins. Ainsi le fonds Zantke Euro Corporate Bonds, noté « Bronze » et qui avait dominé sa catégorie en 2014 grâce à sa préférence pour les titres d'échéance longue, a perdu plus de 4% au deuxième trimestre 2015, sous-performant 96% de la catégorie Morningstar Obligations d'entreprise en EUR. Comme l'on pouvait s'y attendre, les fonds qui avaient conservé un positionnement prudent sur la duration sont ceux qui ont le mieux résisté sur la période. Bien qu'il ait perdu quelque 2%, Pioneer Funds Euro Corporate Bond, noté « Bronze », a signé la meilleure performance de sa catégorie, son gérant se montrant particulièrement vigilant en termes de sensibilité aux taux.

La crise grecque revient sur le devant de la scène

La crise grecque et ses nombreux rebondissements ont constitué l'une des principales sources d'inquiétude des investisseurs cette année. Après l'arrivée au pouvoir fin janvier de Syriza, le parti de la gauche radicale élu sur un programme anti-austérité, les négociations entre Athènes et ses créanciers (FMI, Union européenne, BCE) ont été de plus en plus tendues, suscitant la crainte que les parties ne puissent parvenir à un accord pour éviter un défaut de la Grèce et sa sortie de la zone euro. La conclusion, en février, d'un accord donnant au pays quatre mois de répit sur le remboursement de ses créances a apaisé le marché mais, fin juin, la situation n'avait pas progressé. Le 30 juin, la Grèce a fait défaut sur son premier remboursement au FMI et le 5 juillet, à l'occasion d'un référendum surprise, les Grecs ont majoritairement voté à l'encontre de la poursuite du programme d'austérité. Néanmoins, le 12 juillet, les parties ont semblé parvenir à un accord provisoire permettant de maintenir la Grèce dans la zone euro. 

Si peu de fonds européens domiciliés en dehors de la Grèce présentent une exposition substantielle à la dette grecque (à l'exception notable du français H2O Asset Management, dont le fonds H2O Multibonds de 850 millions d'euros comptait en décembre 2014 plus de 25% de ses actifs investis dans la dette grecque), l'impact potentiel d'un « Grexit » pourrait quand même être très sensible. Si la Grèce ne peut pas se maintenir dans la zone euro, nombre de gérants craignent que les investisseurs perdent confiance dans d'autres pays périphériques, ce qui pourrait entraîner de lourdes pertes pour les détenteurs de dette italienne et espagnole, par exemple. Bien que le marché ait jusqu'ici plutôt fait preuve de sang froid face à la crise grecque, les dernières semaines ont donné un avant-goût de ce qui pourrait se produire en cas d'aggravation de la situation. Ainsi, après l'annonce du référendum par A. Tsipras, le rendement du Bund allemand à 10 ans, valeur « refuge » par excellence, a baissé d'environ 13 points de base en l'espace de trois séances, tandis que celui de l'obligation italienne à 10 ans a bondi de 24 points de base. De nombreux gérants continuent cependant de penser que le programme d'assouplissement quantitatif de la BCE suffit à empêcher les dettes souveraines européennes les plus vulnérables d'être trop malmenées.

Les nuages s'amoncellent dans le ciel chinois 

Les difficultés de la zone euro n'ont pas été le seul souci des détenteurs d'obligations européennes. Les nouvelles en provenance de plusieurs marchés émergents ont de fait continué à alimenter les spéculations. En premier lieu, les chiffres de l'économie chinoise sont restés jusqu'ici synonymes de ralentissement de la croissance. En mars, les statistiques officielles ont montré une chute des prix de l'immobilier, même si la production manufacturière a semblé se stabiliser. La question qui préoccupe le plus de nombreux gérants d'actifs est de savoir si l'ajustement se fera en douceur - avec une croissance en 2015 proche des 6,8% attendus par le FMI - ou bien s'il prendra la forme d'un « atterrissage brutal », l'effondrement de la croissance créant alors une onde de choc affectant les principaux partenaires commerciaux de la Chine (États-Unis, pays d'Asie). Au sein des catégories Morningstar d'obligations internationales, les opinions des gérants sont partagées. En mai, le fonds Templeton Global Bond, noté « Silver », surpondérait les monnaies d'un grand nombre des principaux partenaires commerciaux asiatiques de la Chine, reflétant l'optimisme du gérant quant à la capacité du pays à produire une croissance meilleure que prévu. En revanche, le fonds GLG Flexible Bond, noté « Bronze », a nettement réduit son exposition à ces pays, anticipant une forte chute de la croissance et des échanges.

Si la Chine est au cœur de nombreuses discussions, les marchés émergents ayant connu les mouvements les plus importants depuis le début de l'année se situent dans d'autres régions du monde. Le Venezuela et la Russie, dont les dettes respectives avaient subi de fortes corrections en 2014, ont enregistré un redressement spectaculaire, les mesures prises par leurs gouvernements pour lutter contre l'inflation semblant produire quelques résultats. De son côté, le prix de la dette ukrainienne a poursuivi sa régression, le pays tentant de renégocier ses créances existantes.

Alors que s'ouvre le second semestre, les grandes questions du début d'année - le calendrier de resserrement monétaire de la Fed, l'issue de la crise grecque et la trajectoire à venir de la croissance dans les pays émergents de premier plan - restent en suspens, et les investisseurs ne manqueront pas de sujets à surveiller dans les prochains mois. 

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A propos de l'auteur

Shannon Kirwin  est analyste fonds chez Morningstar.