L’embellie, jusqu’où ?

Le fait est suffisamment rare pour être souligné, la zone euro caracole en tête de la conjoncture mondiale.

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Cet article fait partie de la série "Perspectives", qui regroupe des contributions externes à Morningstar. Le texte qui suit a été rédigé par Véronique Riches-Flores, Présidente de RF Research, un cabinet d'analyse et de conseil indépendant. Les graphiques n'ont pas été reproduits.

Nous l’avions anticipé dans notre scénario de début d’année, l’effondrement des cours du pétrole ferait de 2015 l’année des consommateurs, y compris en zone euro. Outre l’impact très favorable de la baisse de la facture énergétique sur le pouvoir d’achat des ménages, les pays de l’union monétaire profitent aussi de la normalisation progressive de la politique budgétaire, après quatre années de restriction exceptionnelle d’un coût moyen de sept dixième du PIB potentiel par an.

Pour la première fois depuis 2009, les politiques publiques seront neutres cette année, de quoi non seulement éliminer une ponction de pouvoir d’achat mais également rétablir un peu de visibilité et de confiance, les périodes de réouverture incessante du dossier budgétaire et fiscal n’étant guère propices à ces deux ingrédients indispensables à la croissance de la consommation.

De fait, la confiance des ménages s’envole et leurs dépenses décollent. En moins de six mois le contexte domestique a fait volte-face, passant d’une situation de récession-déflation latente à celle d’une embellie généralisée.

Depuis son point bas de novembre, le baromètre de confiance des consommateurs européens a gagné quasiment huit points, les ménages redevenant confiants non seulement sur la situation économique générale mais également sur les perspectives du marché de l’emploi, composante de l’enquête qui a le plus progressé au cours des six derniers mois.

En février, les dépenses de consommation ont affiché une hausse de 3 % par rapport l’an dernier en France, leur plus forte progression en quatre ans et en Allemagne, les ventes au détail sont ressorties en progression de plus de 3,5 %, après des records de plus de 5 % enregistrés en décembre et janvier.

Le marché automobile reprend également des couleurs avec des immatriculations en hausse de 34 % l’an au Portugal, 24 % en Espagne, 16 % en Italie, 9 % et 5 % respectivement en Allemagne et en Italie. A en juger par le vieillissement du parc, le rattrapage dans ce domaine pourrait alimenter une reprise soutenue plusieurs trimestres durant, à conditions de financement, par ailleurs, très avantageuses.

Vrai départ ?

Les ingrédients sont-ils dès lors en place pour déboucher sur une embellie durable, et à quelles conditions ?

Nous l’avons vu la semaine dernière, l’environnement international n’est pas des plus porteurs, de sorte que les schémas classiques de reprise semblent difficilement applicables aujourd’hui. Si, avec un cinquième du PIB mondial, la zone euro a largement contribué à l’anémie de croissance mondiale ces trois dernières années, sa renaissance pourrait ne pas être suffisante pour redonner à cette dernière l’élan dont in fine les pays de l’union monétaire auront besoin pour renouer avec une croissance durable.

En d’autres termes, la demande internationale n’est pas au rendez-vous, bien au contraire. Or, sans reprise des exportations, difficile d’envisager un rebond de l’investissement suffisant pour pérenniser la croissance de demain, en particulier sur le front de l’emploi. En somme, les effets de la chute de l’euro pourraient donc décevoir, non pas en matière de marges des entreprises, l’impact étant quasiment mécanique, mais en matière de croissance future des exportations.

Il y a principalement deux raisons à cela.

1- Le risque d’une rupture plus profonde que généralement prévu de la croissance américaine, indiscutablement significatif. À ce stade d’un cycle vieux de déjà cinq ans, l’économie américaine est vulnérable et pourrait avoir plus de difficultés qu’escompté à absorber le double choc que représentent l’envolée des cours du dollar et la chute de ceux du pétrole.

En l’absence de dynamique domestique comparable à celle du passé, le surcroît de croissance procuré par les exportations a joué un rôle essentiel pour maintenir à flot l’économie ces dernières années, en moyenne, en effet, le tiers de la croissance du PIB réel depuis 2010, à hauteur de sept dixièmes ; c’est considérablement plus qu’au cours des cycles antérieurs durant lesquels la contribution des exportations était négligeable. Le manque à gagner de l’envolée du dollar est donc loin d’être bénin, comme en témoignent déjà les indicateurs récents.

Le développement de l’activité pétrolière a également été un soutien important à l’économie américaine ces dernières années, sinon en termes de contribution directe à la croissance de la valeur ajoutée, du moins en termes d’investissement (8 % à 9 % des dépenses d’équipement industriel depuis 2008 contre moins de 3 % historiquement) et d’avantage comparatif en matière de baisse des coûts des entreprises. La chute des cours du pétrole a donc de nombreuses ramifications négatives sur l’économie américaine.

En d’autres termes, il faudrait que les autres secteurs de l’activité puissent prendre le relai pour maintenir la performance économique récente. Or tel ne semble pas être le cas:

- les consommateurs étant manifestement plus préoccupés aujourd’hui par leur avenir, épargnent davantage, une tendance plutôt rassurante pour le moyen long terme mais bougrement handicapante pour la croissance immédiate ;

- les entreprises quant à elles n’ont pas trouvé la voie de restaurer des gains de productivité suffisante pour renouer avec la croissance de l’investissement qui serait nécessaire au prolongement du cycle présent.

Les risques d’affaissement de la croissance américaine sont donc bel et bien réels, avec pour conséquence de fragiliser les perspectives internationales et, le cas échéant, de faire remonter le cours de l’euro.

2- Une situation de plus en plus compliquée dans le monde émergent confronté aux effets combinés de multiples chocs que sont pour les principaux : le ralentissement persistant de la Chine et la confiscation trop durable des débouchés qu’elle représentait pour le reste du monde émergent ; l’appréciation des taux de change dont souffrent nombre de pays asiatiques sur fond d’excédents de capacités industrielles ; le surendettement généralisé rendu plus difficile à surmonter en période de faible inflation et d’envolée du dollar dans lequel une proportion croissante de la dette est libellée ; les pertes de revenus en provenance de la vente de matières premières, notamment du pétrole, pour les pays les plus dépendants ; sans parler des scandales de grande ampleur (Petrobras au Brésil) ou des situations de conflit (Russie, notamment).

La baisse de l’euro sur laquelle tout économiste naturellement constitué pourrait compter pour prendre le relai de la reprise domestique d’ici quelques trimestres est donc loin de donner l’assurance de porter ses fruits.

Dans un contexte mondial déjà détérioré, elle se révèle particulièrement difficile à absorber par les concurrents américains et asiatiques de la zone euro, avec pour résultat de peser sur leur croissance et leurs importations…. Le Japon a fait l’expérience de l’échec de la baisse de sa devise comme instrument de sortie de crise depuis deux ans et il pourrait en être de même pour la zone euro.

Les initiatives en matière de soutien à l’investissement sont, dans un tel contexte, assurément bienvenues, sous réserve, toutefois, que les investissements de demain s’accompagnent d’une croissance de la demande qui, si elle ne vient de l’international, devra être domestique.

Paradoxalement, c’est donc sur ce dernier front, qu’il faudra que nos responsables de politique économique fassent porter tous leurs efforts pour consolider la croissance européenne. En faisant chuter l’euro comme elle l’a fait, la BCE a, en quelque sorte, isolé la zone euro.

L’option qui n’est pas critiquable en tant que telle mais ne peut se suffire du seul taux de change et devra s’accompagner de politiques structurelles de développement régional pour pouvoir porter ses fruits. Nous n’en sommes pas encore là, quand bien même plus disposés à croire que tel puisse finir par être le cas dans un contexte quelque peu apaisé par la reprise domestique.

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A propos de l'auteur

Véronique Riches-Flores

Véronique Riches-Flores  Présidente de RF Research, cabinet indépendant d'analyse économique et financière.