PIMCO: le vol de l'aigle

Les marchés s'approchent un point d’inflexion et pourraient connaître un regain de volatilité, avertit Bill Gross de PIMCO.

Bill Gross 11.12.2013
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Cet article fait partie de la série "Perspective", qui regroupe des contributions externes. Le texte suivant a été rédigé par Bill Gross, directeur général de PIMCO. 

J’ai toujours apprécié Jack Bogle, quand bien même je ne l’ai jamais rencontré. Il a bon coeur, mais ce n’ est pas le sien, comme il aime tant à s’ en amuser (il a eu une transplantation cardiaque en 1996, vous saisissez la blague ?).

Il a aussi beaucoup de bon sens en matière d’investissement : il a compris il y a plusieurs décennies que les gérants d’investissement composite ne pouvaient pas surperformer le marché, leur alpha entrant en territoire négatif une fois déduits les frais et les coûts de transaction. Son premier modèle d’activité chez Vanguard, à savoir promouvoir les fonds indiciels, est resté un grand mystère pour moi, tout du moins lors de mes premières années chez PIMCO. Je n’arrivais pas à comprendre : pourquoi la plupart des investisseurs se contenteraient-ils d’une performance moyenne ?

Aujourd’hui, la réponse semble évidente : leur objectif est d’obtenir une performance maximale pour un niveau de risque minimal. Et, pour la quasi-totalité des classes d’actifs évaluables, les fonds indiciels et nombre d’ETF ont surpassé la quasi-totalité des gérants actifs, principalement en raison d’un niveau de frais inférieur.

Cette « quasi-totalité » est la raison pour laquelle j’écris avec autant de liberté et d’enthousiasme à l’égard de Vanguard. Sur le fond, dans ces Investment Outlooks, je devrais faire la promotion de PIMCO, gérant actif qui pèse 2000 milliards de dollars et qui affiche un solide historique d’alpha à long terme. Dans un entretien avec Morningstar, Jack Bogle évoquait récemment ce qu’il appelle « l’effet PIMCO ». Pour paraphraser, il expliquait que les gérants indiciels dépassaient presque tous les gérants actifs, mais qu’il fallait ensuite ajouter « l’effet PIMCO ». « Nous vous retournons le compliment », lui répondons-nous chez PIMCO. En réalité, à l’heure de la haute finance, il y a de la place pour nos deux sociétés et nos deux philosophies d’investissement.

En admettant que le concept d’indexation de Jack Bogle soit métaphoriquement le traitement contre la peste des frais élevés, l’approche de PIMCO serait plutôt celle d’une cartographie du génome de l’investissement pour produire un alpha durablement élevé. Il y a de la place pour chacun de ces laboratoires d’investissement. J’admets qu’il existe d’autres laboratoires de gestion active qui méritent non seulement d’être reconnus, mais aussi de bénéficier de la confiance et de l’argent des investisseurs. Je tiens en haute estime Ray Dalio, de Bridgewater, et Jeremy Grantham, chez GMO, ainsi que l’ensemble de leurs collaborateurs. D’ailleurs, leurs volumineuses pensées occupent une place à part dans ma bibliothèque. Chacun d’eux a sa propre approche de la gestion active : Ray Dalio se concentre sur un modèle endettement/désendettement tandis que Jeremy Grantham a opté pour le retour à la moyenne historique pour la plupart des classes d’actifs.

Mais aucun de nous - ni Vanguard, ni PIMCO, ni Bridgewater, ni GMO - n’a découvert le remède au bon vieux rhume. De temps à autre, et parfois pendant une période particulièrement longue, nos performances sont enrhumées, nous donnent mal au crâne et nous font nous demander pour quelle raison nous ne nous sommes pas mieux lavé les mains pendant l’hiver. Nos sociétés font toutes des erreurs, même si, en ce qui concerne Vanguard, celles-ci incombent au principe d’être totalement investi dans un marché surévalué.

Où se cachent nos futures erreurs ? A quoi pense-t-on la nuit ? Je ne parlerai pas pour les autres (j’ai déjà beaucoup trop parlé d’eux au goût des spécialistes du marketing de PIMCO) et je me contenterai de vous donner quelques éléments sur ce qui nous tient éveillés la nuit, Mohamed et moi.

Mohamed, le créateur du concept de « Nouvelle Norme » caractérisant l’économie mondiale post-Lehman, travaille actuellement sur la possibilité qu’un « carrefour en T » apparaisse, quand, à une date indéterminée, les marchés atteindront un point d’inflexion et qu’ils s’orienteront d’un côté ou de l’autre en raison des aspects négatifs des politiques budgétaires et monétaires dans un monde fortement endetté. Nous sommes tous les deux d’accord sur les dangers potentiels que représentent les mouvements de marché.

Le « carrefour en T » de Mohamed a selon moi un aspect plus descriptif que littéral : il s’agit, comme la Nouvelle Norme, d’un concept qui pourrait être validé au cours des mois ou des années à venir. Sauf nouvel incident nucléaire à la Lehman Brothers, notre scénario actuel devrait se mettre en place progressivement, au fur et à mesure que les marchés privés comprendront que les rois et reines des politiques monétaires n’ont pas les moyens de leurs ambitions et que les investisseurs se détourneront des classes d’actifs traditionnelles, admettant que les rendements sont trop faibles par rapport à la progression du risque. Le T pourrait en réalité ressembler davantage à cela : , une forme d’aigle en vol, qui sous-entend une évolution progressive d’un côté ou de l’autre. Les spéculations qui ont eu lieu en avril dernier au sujet de la réduction du programme d’assouplissement quantitatif de la Réserve fédérale américaine constituent peut-être une bonne illustration de l’orientation future du rendement des actifs.

La réaction du marché obligataire a été brutale et a déclenché non seulement la déception des porteurs d’obligations, mais également une envolée des rachats au sein des fonds communs de placement destinés aux particuliers. Mais dès lors que la Fed a reconnu les aspects négatifs des « conditions financières » et reporté le ralentissement de sa politique, les taux d’intérêt ont amorcé une décrue. Cette espèce de mythe de Sisyphe inversé - deux pas en avant, un pas en arrière pour les rendements - tient plus du que du T.

Les investisseurs attendent désormais avec une certaine nervosité des nouvelles de l’économie réelle et l’ordonnance que lui prépare Janet Yellen. Le traitement comprendra sans aucun doute des taux d’intérêt réels négatifs, ce qui amènera à un moment ou à un autre les investisseurs à s’interroger sur la capacité des rendements de découler principalement des gains en capital comme cela a été le cas historiquement tant pour les obligations que pour les actions. Les investisseurs en obligations l’ont compris en mai, juin et juillet, lorsque le rendement des bons du Trésor américain à 10 ans a touché 1,65%. Ceux qui investissent dans les actions n’ont pas été réellement découragés et ont poursuivi leurs stratégies fondées sur des convictions et dépendantes des plus-values, en dépit de ce qui aurait dû être évident : l’assouplissement quantitatif et la faiblesse des taux d’intérêt sont aussi importants pour les actions qu’ils ne le sont pour les obligations. « Mais que faire d’autre ? » est devenu le leitmotiv des investisseurs en actions à travers le monde, une question qui traduit plus un sentiment de désespoir qu’une pensée logique.

Voilà, c’est simplement ce que je voulais dire en opposant déception progressive à déception brutale des investisseurs internationaux. Pour les investisseurs particuliers, les « Trois mousquetaires » ont toujours été constitués par 1) les obligations investment grade, 2) leurs homologues à haut rendement et 3) les actions. Ces dernières années, les investisseurs institutionnels ont quant à eux opté pour 4) les actifs alternatifs, 5) les hedge funds et 6) les stratégies sans contrainte, et semblent donc trouver de plus en plus d’alternatives à rendement élevé. Pourtant, les 6 stratégies évoquées ci-dessus comportent des actifs artificiellement valorisés sur la base de taux d’intérêt artificiellement bas. Certains ne font pas l’objet de levier, notamment les bons du Trésor, mais ils n’en sont pas moins survalorisés par la Fed, qui cherche à encourager une transition vers des classes d’actifs et/ou des obligations plus risquées.

D’autres, notamment les actifs alternatifs, dépendent du levier des portefeuilles, en empruntant à 10-50 points de base sur des opérations de pension à un jour et en investissant à des taux de rendement plus élevés en dépit de leur caractère artificiel. Mais les investisseurs jouent tous au même jeu dangereux, un jeu fondé sur une politique monétaire quasi éternelle de financement à bas coût et de taux d’intérêt artificiellement bas qui cherche, dans une tentative désespérée, à soutenir la croissance. La Fed, la Banque du Japon (sans aucun doute), la BCE et la Banque d’Angleterre montrent pour ainsi dire l’exemple aux marchés internationaux en expliquant aux investisseurs qu’il n’existe que deux choix : investir dans des actifs plus risqués ou investir à levier dans des actifs de grande qualité. « Il n’y a pas d’autre option », insinuent leurs politiques. « Habituez-vous aux taux d’intérêt réels négatifs, déplacez-vous sur le spectre du risque et permettez ainsi à l’économie réelle de se redresser », semblent-elles ordonner aux investisseurs.

Amorcée il y a presque 5 ans, cette migration à travers les plaines mondiales des actifs à la recherche d’une herbe plus verte et d’une eau plus fraîche semble avoir des limites, tant en termes de prix que de croissance réelle. Si les politiques monétaires et budgétaires ne parviennent pas à générer la croissance réelle que les marchés l’ont intégrée (et elles n’y parviennent pas), certains investisseurs - les investisseurs actifs avisés tels que PIMCO, Bridgewater et GMO - finiront par préférer la douceur d’une migration moins axée sur le risque. S’ils n’ont aucune chance de s’abreuver d’eau fraîche ou de fouler la plaine du Serengeti, les investisseurs avisés pourraient décider de se détourner des risques traditionnels, par exemple de la sensibilité, plutôt que de s’en rapprocher. Les équipes d’analystes des banques centrales doivent composer avec la crainte inquantifiable que les taux d’intérêt proches de zéro, qui ont permis au Dow Jones d’atteindre les 16.000 points, perdent progressivement de leur efficacité si l’économie réelle n’est pas relancée malgré des rendements quasi nuls et l’assouplissement quantitatif.

Pour ce qui concerne l’abandon progressif des actifs à risque traditionnels, je renvoie à l’Investment Outlook du mois d’août, baptisé « La guerre des obligations ». J’y faisais allusion au fait que les obligations et les portefeuilles obligataires comportent un certain nombre de risques de portage inhérents, parmi lesquels la sensibilité/maturité. J’expliquais que si la Fed et les autres banques centrales faisaient artificiellement baisser les rendements et gonfler les prix des obligations, un fonds obligataire traditionnel devrait sous-pondérer la sensibilité et éventuellement surpondérer d’autres sources de portage telles que la volatilité, la courbe ou le crédit. C’est ce que nous avons fait, comme en témoignent nos performances relatives.

« L’effet PIMCO » de Jack Bogle se porte très bien en 2013. Notre première idée a été de nous concentrer sur ce dont nous sommes fortement (mais pas totalement) convaincus, à savoir que la Fed ne touchera pas à ses taux directeurs avant 2016 au plus tôt. Quand bien même cet élément et l’assouplissement quantitatif semblent avoir donné lieu à une redistribution de la richesse plutôt qu’à une création de richesse (en faisant les poches des épargnants pour recapitaliser les banques et les 1% les plus riches de la population), Janet Yellen semble déterminée à poursuivre dans cette voie. La réduction du programme d’assouplissement quantitatif conduira à son extinction courant 2014, mais les taux directeurs resteront à 25 points de base tant que le chômage ne sera pas passé sous la barre des 6,5% et que l’inflation n’aura pas atteint au moins 2,0%. La partie courte de la courbe des bons du Trésor ainsi que les positions sur les emprunts hypothécaires et les entreprises devraient ainsi fournir des rendements modestes mais sympathiquement défensifs.

Nous avons armé nos portefeuilles pour la guerre des obligations : forte accentuation des échéances courtes, positions sur le crédit, la volatilité et la pentification de la courbe et objectif de surperformer aussi bien Vanguard que les autres gérants actifs.
Il ne fait cela dit aucun doute que cette construction de portefeuille dépend d’une forme en  plutôt que d’un carrefour en T. Les économies surendettées et leurs marchés financiers doivent un jour ou l’autre en payer le prix, subir une décote et sortir les investisseurs confiants de la torpeur de cette « Grande Modération 2 ». Chez PIMCO, nous serons prêts quand ce jour arrivera, en espérant battre systématiquement Vanguard en cours de route.

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A propos de l'auteur

Bill Gross