Greenblatt: la patience, secret de la gestion "value"

L'investissement "value" offre des résultats probants sur longue période, mais repose en grande partie sur la patience des investisseurs.

Jocelyn Jovène 24.11.2013
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A.J.Dasaro: Bonjour, je suis A.J.Dasaro pour Morningstar. Avec moi, Joel Greenblatt, CIO et principal directeur de Gotham Asset Management, qui a succédé à Gotham Capital, une société de gestion qu'il a fondée en 1985.

Joel est professeur à la Columbia Business School et l'auteur de You Can Be a Stock Market Genius et The Little Book That Beats The Market (traduit en français). Joel, merci d'être avec nous.

Joe Greenblatt: Merci, A.J.

A.J.Dasaro: Joel, vous êtes un investisseur value réputé, et beaucoup d'autres investisseurs value affichent de belles performances sur longue période. Si le secret de l'investissement value est connu de tous, et que tout le monde sait que cela fonctionne, ce type de stratégie peut-il continuer de fonctionner à l'avenir ?

Joe Greenblatt: En réalité, le secret de l'investissement value est la patience, et ce qui manque à beaucoup de monde. La raison pour laquelle ce n'est pas arbitré systématiquement dans le marché est que dans un arbitrage type, vous achetez de l'or à New York et vous le vendez simultanément à Londres pour 1 dollar de plus. Dans un arbitrage type, certains professionnels voient la différence de prix et donc ils vont continuer d'acheter de l'or à New York et le vendre à Londres jusqu'à ce que les deux prix convergent. Cela arrive tellement vite que les investisseurs individuels ne peuvent en tirer parti et très peu de gros investisseurs institutionnels y parviennent.

Mais si je vous dis que vous pouvez acheter de l'or aujourd'hui à New York pour le vendre dans deux ou trois ans, et il est possible que vous en tiriez un profit, mais aussi que vous perdiez 40% pendant que vous attendez, il est beaucoup plus difficile de trouver des gens pour faire cet arbitrage. L'horizon d'investissement s'est beaucoup réduit au cours des 20-30 dernières années.

La situation est en fait plus favorable aux investisseurs value, elle ne s'est pas dégradée. Le monde est plus institutionnalisé, il y a plus d'accès aux informations, il est plus facile de traiter des instruments financiers. La patience fait défaut et cela avantage les investisseurs value qui savent attendre.

Si l'investissement value fonctionnait en tout temps, des arbitragistes corrigeraient cette situation, mais ce n'est pas le cas. Cela fonctionne sur longue période, mais avec des hauts et de bas. Mais cela fonctionne malgré tout et la règle première est pour que cela marche, il faut savoir être patient.

A.J.Dasaro: Récemment, dans l'industrie de la gestion sont apparus des indices fondamentaux, comme les RAFI. Est-ce une approche value et les investisseurs peuvent-ils en tirer parti ?

Joe Greenblatt: La réponse est, ce n'est pas de l'investissement value, mais les investisseurs peuvent en tirer parti. Ils ont été développés car il y a des problèmes avec les indices fondés sur la capitalisation boursière.

Dans un tel indice, vous pondérez davantage les sociétés ayant la plus forte capitalisation boursière, comme le S&P 500 ou le Russell 1000. Lorsque les sociétés sont surévaluées, et que leurs cours de Bourse sont trop élevés, vous placez automatiquement trop d'argent sur ces sociétés. Si une entreprise est décotée, car son cours de Bourse est trop bas, vous en mettez trop peu.

(...)

Au cours des 40 dernières années, si vous faisiez l'étude, au lieu de faire des erreurs systématiques, ce que vous faites dans les indices basés sur la capitalisation boursière, en équipondérant les titres vous auriez fait encore beaucoup d'erreurs. En d'autres termes, pour le S&P 500, vous achetez le même montant de chaque titre (0,2%) Vous ferez le même type d'erreur en ayant trop d'un titre et trop peu d'un autre... Vos erreurs deviennent aléatoires. Il se trouve que sur les 40 dernières années, une approche équipondérée aurait produit un rendement 2% supérieur à une pondération par la capitalisation boursière, avant les coûts de transaction, et c'est une indication de combien l'approche par la capitalisation boursière peut coûter aux investisseurs.

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Au sein de l'indice RAFI, par exemple, les titres sont pondérés sur la base d'indicateurs fondamentaux (chiffre d'affaires, actif net, résultat ou cash-flow moyen). Il n'y a plus de composante prix - ce n'est plus qu'une comparaison de la taille des entreprises. Ce type d'indice tend à orienter l'argent vers les "large caps", avec au final le même type d'erreur aléatoire qu'un indice pondéré par la capitalisation boursière.

A.J.Dasaro: Joel, vos fonds suivent une approche value systématique. A quoi s'exposent les investisseurs lorsqu'ils paient pour accéder à la gestion active de vos fonds ?

Joe Greenblatt: Nous conduisons une recherche bottom-up dans nos fonds longs et long/short sur environ 2.000 titres. Nous regardons dans le détail leurs états financiers, faisant nos propres retraitements pour tenir compte de la différence entre ce que disent les comptes et leur interprétation économique.

Nous classons les entreprises sur la base de leur valeur absolue relative. Mon associé, Rob Goldstein, qui est avec moi depuis 1989, et c'est la seule manière que nous connaissons pour valoriser des entreprises, que nous classons ensuite sur la base de leur décote par rapport à la valeur que nous leur attribuons.

Ce que je promets à mes étudiants à Columbia est que s'ils font bien leur travail d'évaluation, je leur garantis qu'à terme le marché leur donnera raison. Juste, je ne leur dis pas quand cela arrivera. Cela peut prendre quelques semaines, ou deux ou trois ans.

Nous construisons nos portefeuilles et nous sommes patients. Sur les 2.000 entreprises, nous en achetons 300 sur la partie "long" (acheteuse) et 300 sur la partie "short" (vendeuse à découvert). Nous n'équipondérons pas. Plus une société est bon marché, plus elle a de poids dans la partie "long" du fonds. Plus elle est chère, plus elle est présente dans la partie "short" du fonds.

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Nous créons trois fonds long/short. L'un est le Gotham Absolute Return Fund, qui détient environ 120 long et 60 short. Nous avons créé un fonds 100% long, avec 170% long et 70% de short. Et nous avons le Gotham Neutral Fund. Mais nous faisons toujours la même chose dans les trois fonds.

Nous sommes long des titres les moins chers et short des titres les plus chers. Nous avons beaucoup de diversité et pas beaucoup de concentration. Nous équilibrons notre risque. Nous essayons d'offrir un chemin tranquille aux investisseurs, pour qu'ils voient les avantages d'être un investisseur patient et nous essayons de rendre cela le plus simple possible.

A.J.Dasaro: Comment pouvez-vous suivre autant de titres et éviter les "value trap" ou de shorter un titre cher, mais qui a encore de belles perspectives ?

Joe Greenblatt: C'est une très bonne question. Il nous a fallu six ou sept ans pour faire notre analyse des sociétés et d'être en mesure de la mettre à jour chaque trimestre ou entre les trimestres quand nous avons de nouvelles informations. Cela a représenté un gros projet. (...)

A.J.Dasaro: Comment investissez-vous dans des entreprises où les chiffres peuvent ne pas être en accord avec leur histoire sous-jacente ?

Joe Greenblatt: Ah oui, les "value trap". Nous sommes intraitables sur les cash-flows. Ben Graham disait, achetez bon marché. Trouvez ce que ça vaut et payez beaucoup moins. Warren Buffett, l'étudiant le plus célèbre de Graham, a fait une petite entorse et est devenu l'homme le plus riche au monde. Et il disait, si je peux acheter une bonne entreprise à des conditions bon marché, c'est encore mieux.

Les entreprises que nous achetons ont tendance à afficher une rentabilité élevée du capital et les titres que nous vendons sont chers, mais également ils n'investissent pas leur argent dans leur activité.

Dans mon livre The Little Book, j'évoque le cas d'une entreprise qui se traite faiblement par rapport à ses cash-flows, mais vient ensuite la question de Buffett - est-ce une bonne société ? Si je peux acheter une bonne entreprise dans de bonnes conditions, c'est encore mieux. L'exemple que je donne ce sont les entreprises qui ont une rentabilité du capital élevée.

(...)

Nous aimons les entreprises qui non seulement sont bon marché sur différentes mesures absolues relative que nous utilisons pour les valoriser, mais elle sont aussi très rentables. Nos fonds, que nous gérons comme des hedge funds, sont des fonds long/short. Nos titres longs affichent une rentabilité du capital d'au moins 50%. Et nos titres short gagnent près de 40% de moins en termes de rentabilité du capital tangible et ils sont chers.

A.J.Dasaro: Joel, merci pour ces éclairages.

Joe Greenblatt: Merci.

A.J.Dasaro: Pour Morningstar, je suis A.J. Daraso, merci de nous avoir regardé.

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A propos de l'auteur

Jocelyn Jovène

Jocelyn Jovène  est analyste financier senior et rédacteur en chef de Morningstar France.