Grande rotation: les marchés ont acheté la rumeur, vont-ils vendre la nouvelle ?

La "grande rotation" des obligations vers les actions prend forme et se double d'une rotation sectorielle des défensives vers les cycliques et les financières.

Jean-François Bay 15.08.2013
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En début d’année, alors que l’indice CAC40 évoluait en dent de scie autour des 3.500 points depuis plusieurs semaines sans grande tendance, nous avions signalé, dans un article intitulé « Un CAC40 à deux vitesses », que cet indice était composé en fait de deux sous-groupes de valeurs. D’une part, les valeurs de croissance qui battaient record sur record par rapport à leurs plus hauts niveaux et qui profitaient de la croissance mondiale. D’autre part, les valeurs plus cycliques qui étaient très loin de leurs plus hauts de 2007.

Depuis quelques semaines, ce début de rotation sectorielle et de rattrapage des valeurs cycliques et financières s’est doublé d’une rotation des allocations d’actifs des Obligations vers les Actions.

La rotation des allocations tant attendue

Apparue en octobre 2012 sous la plume des stratégistes de marché de Bank of America Merrill Lynch dans une étude intitulée "L'ère des obligations se termine", l'expression "grande rotation" désigne la tendance selon laquelle les investisseurs institutionnels devraient sortir des fonds obligataires pour revenir vers les marchés actions.

Avec la fin prévisible des politiques monétaires ultra-accommodantes, les taux ne peuvent en effet que remonter.

En outre, la reprise économique favorise les actions, selon les stratégistes de Bank of America Merrill Lynch.

Les premières estimations Morningstar confirment que le mois de juin a été un mois de sortie sur les fonds obligataires, qui s’est prolongée en juillet. Et, du côté des fonds actions, nous avons assisté à une collecte nette positive à partir du mois de juillet, notamment sur les catégories Actions Europe, qui se prolonge encore aujourd’hui.

Cet arbitrage est pour l’instant technique dans un environnement RISK ON/ RISK OFF piloté par les Banques Centrales :

-          Risk ON mi mai/juin après les déclarations de Bernanke (baisse de tous les actifs risqués sans discernement)

-          Risk OFF début juillet après les déclarations de Draghi (hausse des actifs risqués)

Aujourd’hui, les 3 grands risques majeurs semblent sous contrôle grâce aux actions de ces mêmes Banques Centrales

-          Les USA et les inquiétudes quant à "l’Exit strategy",

-          L’Europe et les inquiétudes sur la crise dette souveraine

-          Et enfin les pays émergents et les inquiétudes sur la croissance en Chine.

Donc les marchés achètent la confiance à court terme (comme en été 2009, après une correction début juillet, les indices actions avaient rebondi "sans raison", par anticipation). En Europe notamment, les marchés anticipent dans les prochains mois des mesures de stimulation de l’économie qui devraient arriver de l’Union européenne et de la BCE et pourraient favoriser la reprise en 2014.

D’autres éléments soutiennent les marchés actions :

-          Taux : les taux d’intérêt devraient rester très bas et pour longtemps, ce qui incitent à prendre du risque.

-          Effet technique : les gérants courent après le marché.

-          Macro : on parle d’amélioration de la conjoncture.

-          Micro : les résultats semestriels ont rassuré.

-          OPA : Les opérations de croissance externe se sont multipliées (la zone euro achète du Dollar : Essilor, Schneider, Publicis …), constituant un soutien, un repère pour les marchés.

-          Valorisation : en Europe, la valorisation est raisonnable.

La rotation sectorielle

Signe d’un regain de confiance sur les marchés, nous assistons depuis plusieurs semaines à l‘accélération de la rotation sectorielle en faveur des valeurs cycliques et financières. En fait, on peut faire le distingo entre trois grands groupes de valeurs sur les marchés européens actuellement :

  1. Les valeurs ayant un profil plus "défensif". Souvent, le secteur leur a permis de mieux résisté dans les périodes extrêmes comme 2008/2009 ou 2011/2012 comme Sanofi pour la santé par exemple. Par ailleurs, leur exposition à la croissance mondiale et aux pays émergents en particulier a judicieusement compensé la faible croissance en Europe ces dernières années (comme L'Oréal, Pernod Ricard, Air Liquide). Leur profil "défensif" fait qu’elles ont été surpondérées dans beaucoup de portefeuilles ces dernières années. Elles sont aujourd’hui plus corrélées aux marchés américains et émergents et sont relativement chères. Elles ont touchées leurs plus hauts début 2013 avec, pour certaines, un début d’inflexion depuis. Est- ce que début d’une rotation sectorielle alors même que la croissance dans les pays émergents marque le pas ?
  2. Les valeurs plus "financières & domestiques" qui sont certes très loin de leurs plus hauts de 2007 mais qui connaissent une "recovery" forte depuis le début de l’année 2013. Les prémices d’une amélioration de la conjoncture en Europe conjuguées aux actions de la BCE expliquent sans doute ce retour en force, notamment pour les financières comme Crédit Agricole ou AXA. En plus de ces raisons macro-économiques, les résultats sur le premier semestre 2013 expliquent également ce rebond pour des valeurs comme EDF (résultats S1 à +3.5% par rapport à 2012) qui avaient été particulièrement sanctionnées par les marchés et étaient à des niveaux de valorisation relativement faibles (un PE 2014 autour de 6 en ce début d’année).
  3. Les valeurs les plus "cycliques" qui continuent de décevoir, qui restent principalement exposées à la conjoncture domestique et ont annoncé des résultats semestriels décevants comme Solvay, Lafarge, ou Orange. Les perspectives des dirigeants pour les prochains mois (comme ArcelorMittal par exemple) n’ont pas rassuré les marchés ! Malgré des valorisations très faibles, leur profil très cyclique fait qu’elles continuent d’être négligées par les marchés. Ceux-ci sont sans doute prêts à anticiper une amélioration de la conjoncture et à faire confiance à Mario Draghi, mais peut-être pas de là à jouer ces valeurs aussi tôt dans le cycle.

 

Les marchés ont acheté la rumeur. Vendront-ils la nouvelle ?

Donc, parmi ces trois paniers de valeurs, si vous cumulez les critères de « potentiel de rebond en sortie de crise » et de faible valorisation, vous devez plutôt privilégier les valeurs du deuxième groupe comme AXA, Société Générale, Total, EDF, GDF Suez ou Renault. Attention, composé surtout de financières, toutes les déclarations en provenance des Banques Centrales et de la BCE en particulier devront être suivies en temps réel afin de pouvoir réagir au plus vite !

Si vous faites partie des investisseurs prudents et pensez que la crise en Europe va continuer à animer les marchés, des sociétés de croissance bénéficiant de plus de visibilité sont à chercher dans le premier panier. Attention à la valorisation de certaines sociétés en privilégiant des sociétés relativement moins chères.

Les valeurs du troisième groupe sont à réserver aux investisseurs les plus spéculatifs qui anticiperaient un plan de relance en Europe sous la houlette de l’Allemagne après les élections de Septembre par exemple ! On trouve des valeurs exposées au Telecom (Bouygues, Orange…) et des valeurs très cycliques comme Lafarge, Alstom ou Michelin.

Attention cependant. Passé ce mouvement de rattrapage à court terme, des prises de profit sont possibles à la rentrée, et l’arrivée de nuages sur septembre/octobre doit être prise en compte :

-          Des prises de bénéfices motivées par les performances élevés des indices depuis le début de l’année (+21% pour le Nasdaq, +18% SP500, +11% CAC40, +11% FTSE100, +30% NIKKEI…).

-          Les marchés actions US sont chers ("bulle" sur le Nasdaq ?).

-          La rentrée sera également une période charnière pour la mise en place concrète de "l’Exit Strategy" aux USA.

-          L’amélioration de la conjoncture en Q22013 en zone euro sera-t-elle durable pour fin 2013 et surtout 2014 ? Les anticipations quant aux mesures de stimulation de l’économie européenne se concrétiseront-elles ?.

-          La crise de dettes souveraines en zone euro. Deux ans après le soutien de la Troïka, la conjoncture économique reste toujours dégradée (hausse du chômage, hausse du ratio Dette/PIB…) dans tous les pays ayant mis en œuvre une politique d’austérité (Grèce, Portugal…). Ces pays pourront-ils revenir sur les marchés mi-2014 ? A cela s’ajoute une colère sociale grandissante et des risques de crise politique en 2014.

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Valeurs citées dans l'article

NomValeurVariation (%)Notation Morningstar
Air Liquide SA159,70 EUR-0,13Rating
Alstom SA22,15 EUR0,23Rating
AXA SA34,10 EUR1,61Rating
Bouygues29,07 EUR0,73Rating
Credit Agricole SA13,17 EUR0,15Rating
Electricite de France SA  
Engie SA15,23 EUR0,89Rating
Essilorluxottica231,20 EUR0,00Rating
L'Oreal SA343,35 EUR-0,33Rating
Michelin32,78 EUR0,83
Orange SA9,61 EUR0,50Rating
Pernod Ricard SA113,95 EUR0,04Rating
Renault SA44,77 EUR1,50Rating
Sanofi SA89,17 EUR-1,68Rating
Societe Generale SA27,18 EUR-0,49Rating
Solvay SA31,50 EUR-1,81
TotalEnergies SE53,36 EUR-0,02Rating

A propos de l'auteur

Jean-François Bay  est le directeur général de Morningstar France.