Lire les annonces de résultats sans se tromper

Les investisseurs peuvent commettre certaines erreurs lorsqu’ils cherchent à décortiquer les annonces de résultats des sociétés cotées, avertit Raife Giovinazzo, directeur de la recherche chez Fuller & Thaler.

Jason Stipp 05.08.2013
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Jason Stipp : Je suis Jason Stipp de Morningstar. La saison des publications de résultats se traduit par une avalanche d’informations pour les investisseurs, souvent critiques pour la gestion de leur portefeuille. Pour évoquer les erreurs qui peuvent être commises lors de l’analyse de ces informations, nous recevons  Raife Giovinazzo, directeur de la recherche chez Fuller & Thaler. Merci d’être avec nous.

Raife Giovinazzo : Merci de me recevoir.

Jason Stipp : Plusieurs biais cognitifs peuvent affecter la lecture des résultats des sociétés cotées. Nous allons en évoquer trois. Le premier est l’ancrage. Pouvez-vous le décrire et expliquer comment il agit sur la lecture des résultats ?

Raife Giovinazzo : L’ancrage est une règle générale que la plupart des gens utilisent. Cela part d’un point de référence, qui est ensuite ajusté. Mais généralement, cet ajustement n’est pas suffisant. Prenez l’exemple d’un vendeur de voitures d’occasion, qui affichent souvent des prix élevés, sachant que les acheteurs tenteront de faire baisser ce prix vers ce qu’ils pensent être le juste prix. Mais ils ne le baisseront jamais suffisamment.

En Bourse, imaginez qu’au cours du trimestre de l’exercice précédent, les résultats étaient de 1 euro. Imaginons que la prévision pour l’année en cours soit de 1 euro. Les résultats arrivent, et aux résultats trimestriels, le profit annualisé est de 1,30 euro. C’est une bonne surprise. Ce que les investisseurs ont tendance à faire est de se focaliser sur le vieux chiffre (1 euro) et ils considèreront que la capacité bénéficiaire de l’entreprise se situera de manière durable entre 1 et 1,30 euro. C’est une règle générale, très utilisée. Mais vous imaginez qu’il y aura des moments où cette approche sera totalement faussée, où vous risquez de manquer d’importantes surprises sur les résultats, et l’ancrage peut être une source de danger.

Jason Stipp : Le deuxième effet souvent décrit est l’effet d’inclinaison qui peut jouer autour des périodes de publications de résultats. Pouvez-vous décrire ce biais et voir comment il affecte les décisions d’investissement ?

Raife Giovinazzo : L’effet d’inclinaison est la tendance des investisseurs à vendre leurs gains et à maintenir leurs pertes, ce qui résulte de l’aversion au risque et de la segmentation mentale. Les investisseurs cherchent à rester dans le vert, à gagner de l’argent. Et ils pensent que s’ils ne vendent pas, ils n’ont pas à reconnaître leurs pertes potentielles.

Terry O’Dean, professeur à l’université de Berkeley, a montré que les investisseurs faisaient beaucoup cela. Le problème est qu’il y a un momentum des cours de Bourse. Il y a une période de flottement qui peut durer quelques jours, semaines ou mois. Et cela se produit souvent à la baisse : lorsqu’il y a une mauvaise nouvelle, le cours de Bourse chute, les investisseurs ne réagissent pas comme il faut même s’ils ont perdu de l’argent, car ils ont tendance à adopter un horizon de temps long dans l’espoir de revenir à l’équilibre. C’est l’effet d’inclinaison.

Andrea Frazzini a réalisé des recherches sur ce thème, et a montré que cela pouvait se produire en partie à cause du momentum des cours de Bourse. Vous ne voulez pas être la personne qui n’a pas été capable de reconnaître les mauvaises nouvelles, alors que les cours de Bourse tendent à continuer à reculer.

Jason Stipp : Mais en même temps, vous n’avez pas forcément envie de vendre si votre thèse d’investissement est intacte et que cela pourrait être un effet de court terme, non ?

Raife Giovinazzo : Oui. Il faut bien faire la part des choses, mais vous devez être certain que votre décision est guidée de manière froide, rationnelle et factuelle, et non par vos émotions, et le besoin de considérer que vos pertes n’existent pas et vous sentir bien en n’admettant pas que votre décision vous a conduit à perdre de l’argent.

Jason Stipp : Ou juste penser : « j’attends jusqu’à  ce que le cours revienne vers mon prix d’achat » ?

Raife Giovinazzo : C’est bien le cas, nous l’avons tous vécu. Vous voyez des gens agir de la sorte au casino. C’est un peu comme dans les courses hippiques, où les personnes qui ont perdu de l’argent se mettent à parier de manière peu rationnelle dans l’espoir de se refaire. Les gens cherchent absolument à ne pas perdre d’argent.

Jason Stipp : Un troisième biais est le biais de confirmation, qui peut intervener en Bourse ou dans la vie de tous les jours. Comment ce biais intervient-il ? Je pense que c’est l’un des plus difficiles à surmonter, en particulier lorsque vous cherchez à effectuer des recherches efficaces.

Raife Giovinazzo : C’est très difficile en effet. La nature humaine cherche en permanence des informations qui confirment une opinion et ne regarde pas assez les informations qui la contredisent. Les gens veulent des données qui confortent leur vue.

Le problème avec les annonces de résultats est qu’il y a des tonnes d’informations qui sont diffusées simultanément. Il y a généralement une prévision. Des discussions sur de nouveaux produits en cours de développement. Il est vraiment aisé de faire son choix des informations en faveur de votre thèse d’investissement et de manquer ainsi la vue d’ensemble qui vous montrerez que l’histoire a totalement changé, que votre thèse d’investissement est fausse et que, si vous détenez le titre, il est temps de vendre.

Jason Stipp : Il ne s’agit pas de dire qu’il faut ignorer cette saison de publication de résultats. C’est une période importante pour obtenir de nouvelles informations sur les titres que vous détenez, mais vous devez avoir conscience de ces biais. Comment peut-on améliorer son processus de décision quand on reçoit toute cette nouvelle information, que les marchés bougent et qu’il faut garder la tête froide pour bien prendre en compte ces annonces de résultats et prendre les bonnes décisions pour sa gestion de portefeuille ?

Raife Giovinazzo : Trois recommandations.

La première est d’éviter l’ancrage, en particulier, ce que nous faisons chez Fuller & Thaler lorsqu’il y a une grosse surprise sur des résultats qu’il faut analyser, s’agit-il d’un changement permanent dans les prévisions de l’entreprise ou d’un effet temporaire ? Souvent, les dirigeants d’entreprises diront ce qu’ils pensent, mais souvent, le bon sens s’applique aussi. Si c’est une amélioration durable des conditions d’exploitation de l’entreprise, il y a peut-être un changement durable dans la trajectoire des résultats. Vous ne voulez pas vous ancrer sur les performances passées. Si l’impact n’est que temporaire, par exemple une variation du cours des matières premières ou de la météo, à ce moment-là l’effet d’ancrage constitue une bonne règle générale, et vous devriez penser à la manière dont les choses se sont déroulées dans le passé.

La deuxième est d’éviter l’effet d’inclinaison. Il est bon d’avoir une idée de ses positions au cours du marché. Si vous avez perdu de l’argent, vous l’avez bien perdu. La règle d’usage, comme le vieil adage au poker le dit, si vous ne voulez pas relever une enchère, le mieux est probablement de vous coucher. En Bourse, si vous ne voulez pas acheter davantage d’un titre, si vous ne l’achèteriez pas au cours actuel, vous devriez probablement vendre. Les gens pensent en général qu’on n’a pas perdu tant qu’on n’a pas vendu. Il peut y avoir des enjeux de coûts de transaction. Mais ce qu’il faut éviter, c’est d’être dominé par ces biais psychologiques, et ne pas reconnaître qu’il y a une perte.

Le troisième sujet est le biais de confirmation, très difficile à éviter. Une histoire pour évoquer ce point illustre une bonne manière de gérer ce sujet : mon premier emploi à la sortie de l’université était d’être consultant en stratégie. L’un des associés, lorsqu’il relisait une présentation, la retournait et notait au dos les trois points qu’il souhaitait y trouver traités. Il la retournait et regardait si ces points étaient effectivement traités. En termes boursiers, avant que la publication de résultat n’ait lieu, il s’agirait d’imaginer ce qui sera annoncé, et d’une manière très rationnelle et objective, d’évaluer si ce que vous attendiez s’est produit ou pas. Ensuite prêtez votre attention aux points sur lesquels vous vous êtes trompé.

J’espère que cela aidera les investisseurs, mais cela serait mes principales pensées de la manière de regarder les annonces de résultats sans tomber dans ces pièges psychologiques.

Jason Stipp : De très bons conseils pour rester sur le vif pendant cette saison des publications de résultats. Merci de m’avoir rejoint, Raife.

Raife Giovinazzo : Merci de m’avoir reçu.

Jason Stipp : Pour Morningstar, je suis Jason Stipp. Merci de nous avoir regardés.

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A propos de l'auteur

Jason Stipp  Jason Stipp is Site Editor for Morningstar.com