Inflation, désinflation, déflation... Où en sommes-nous ?

Les mots « récession » et « désinflation » ne sont plus adéquats pour qualifier la situation de bon nombre de pays de la zone euro. Le vrai danger, c'est la déflation par la dette.

Philippe Ithurbide 12.06.2013
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Nombreux sont ceux qui ont - encore - tendance à opposer inflation et déflation, une situation d’inflation étant caractérisée par une croissance de la quantité de monnaie, et une situation de déflation par une contraction. Cette idée - ancienne - repose sur le fait que, généralement, inflation et hausse de la production allaient de pair. L’histoire a cependant apporté des contre-exemples cinglants : ainsi, dans les années 70, le monde industrialisé a connu une période d’inflation sans croissance (la stagflation) qui a été davantage qu’un épiphénomène ; de même, il est facile de trouver des périodes – nombreuses et longues - d’inflation et de baisse de la production. Autrement dit, il est difficile désormais de penser qu’il existe une relation biunivoque entre production et inflation, ou encore entre quantité de monnaie et production ; ceci oblige bien évidemment à mieux préciser les concepts en question.

Quelques définitions

L’inflation (« inflatio », en latin, signifie gonflement) est définie comme une hausse générale et cumulative des prix. La désinflation est caractérisée par un ralentissement du taux de croissance des prix. La déflation est une situation dans laquelle le taux d’inflation est négatif. Les taux réels deviennent alors positifs et augmentent au rythme de la baisse du taux d’inflation (d’où le débat sur les taux d’intérêt négatifs, seule possibilité pour réduire les taux d’intérêt réels). Dans le cas d’une « debt deflation », c’est la correction de l’excès d’endettement (le « deleveraging ») qui a un effet néfaste sur l’emploi, l’activité, les salaires, les prix, les taux d’intérêt, les actions, le change… autrement dit, il y a dans ce cas une baisse concomitante de l’activité et des prix, de tous les prix : des salaires sur le marché du travail (d’où les gains de compétitivité-coût), des taux d’intérêt sur le marché du capital (qui entraîne un accroissement du poids de la dette mais en facilite le financement), du cours de change sur le marché des changes (qui génère des gains de compétitivité et une amélioration des balances commerciales via les exportations), des valeurs des entreprises sur les marchés d’actions, et des prix des biens sur le marché des biens et services (gains de compétitivité-prix). Dans le cas d’une dépression, on retrouve les mêmes caractéristiques d’une « debt deflation », mais avec une magnitude de grande ampleur : récession profonde, chômage de masse, krach boursier, faillites… Rappelons simplement qu’Irving Fisher, le premier théoricien de la « debt deflation » a basé son étude sur la crise des années 1930, période de grande dépression.

Il ressort du débat théorique au moins deux choses :

  • il vaut mieux avoir un peu d’inflation que prôner – ou constater - continûment la baisse des prix ; c’est en fait ce que recherche désormais le Japon,
  • une économie ne sort pas naturellement d’une situation de déflation, et l’interventionnisme de l’État est nécessaire pour sortir d’une telle impasse ;
  • le « Quantitative easing », la politique de taux zéro, le rachat de titres « toxiques », la recapitalisation des banques, les réformes fiscales, l’acceptation de déficits budgétaires temporaires sont autant d’exemples de lutte contre la déflation.

 

L’une des grandes erreurs des années 1930 aura été de croire en l’auto-régulation des marchés et au retour – automatique – des grands équilibres économiques. Tous les manuels d’économie rappellent ces erreurs et le bien-fondé du « New Deal » interventionniste de F.D. Roosevelt. Pourtant, non seulement l’Europe n’a pas suivi ces recommandations et n’a pas soutenu la croissance via des politiques contra-cycliques, mais la mise en place des politiques d’austérité pro-cycliques (avec l’aval de la Commission européenne, des agences de notation et du FMI, pour ne citer qu’eux) a amplifié la détérioration de l’activité économique européenne. À cela sont venues s’ajouter des erreurs d’estimation empiriques, notamment sur le multiplicateur budgétaire : erreur de diagnostic sur l’état réel de la situation économique ou grave erreur de politique économique, ou les deux à la fois sans doute.

Au total, création monétaire, aide au crédit, expansionnisme budgétaire sont finalement les meilleurs indicateurs d’une politique anti-déflationniste. Cette sorte de « préférence pour l’inflation » a cependant trouvé ses limites, ce qui justifie les hésitations de bon nombre de banquiers centraux. La stagflation des années 70 (situation d’inflation et d’absence de croissance) a remis en cause ce précepte dans les années 80, et les politiques de désinflation ont fait leur apparition. La question est désormais de savoir jusqu’où il est possible d’aller. Dans de nombreux pays, les risques déflationnistes sont apparus, même si partout (ou presque) banquiers centraux et gouvernements rejettent le terme de déflation. Le fait est là : dire que l’on n’est pas en situation de déflation avec des taux de croissance négatifs et des taux d’inflation proches de 1 % relève, pour certains, de la pure rhétorique.

La désinflation est-elle vraiment compétitive ?

Nul ne peut contester la nécessité de bien maîtriser les prix et les salaires dans la recherche d’une meilleure compétitivité. La désinflation compétitive, par définition, doit permettre une meilleure maîtrise de l’inflation et le retour à des excédents commerciaux. Pourtant, pour qu’une telle politique ne devienne pas rapidement contre-productive, deux conditions sont nécessaires :

  • d’une part, il faut que l’endettement pouvant en découler (de façon temporaire ou non) puisse être financé à un taux d’intérêt inférieur au taux de croissance de l’activité économique. Il s’agit d’une condition fondamentale pour peu que l’on souhaite éviter que l’effet « boule de neige » de la dette ne mette en péril la croissance ;
  • d’autre part, il ne faut pas que la maîtrise de l’inflation (et du différentiel d’inflation à l’égard des partenaires commerciaux) ait pour contrepartie une forte augmentation du chômage.

 

Toute désinflation se traduisant par ces deux effets néfastes serait elle-même indésirable. On ne peut pas dire, au regard de ces deux critères, que la désinflation européenne soit totalement vertueuse. Certes, et cela est crucial, récession et chômage ont été fortement accrus par la crise financière et ses conséquences, mais cela n’explique pas tout. On retrouve en zone euro et avant 2008, les deux problèmes majeurs : le caractère explosif de la dette publique, et le haut niveau du chômage. Nous avons à plusieurs reprises fait référence, dans cette publication, à l’inadéquation de la politique économique en Europe.

Tout le monde connaît la « théorie » explicitant la relation négative qui existe entre l’inflation et le chômage (la célèbre courbe de Philipps). Cette idée très controversée a souvent été « revisitée », et notamment sur la relation désinflation – chômage (qui nous intéresse ici) dans une étude menée par Laurence Ball, Professeur à l’Université John Hopkins (« How costly is disinflation: the historical evidence », Federal Reserve Bank of Philadelphia Business Review, November – December 1993). Celle-ci, qui concerne 20 pays de l’OCDE durant la période 1960 - 1991, montre clairement que la vitesse et l’ampleur de la désinflation sont des éléments déterminants dans l’ampleur de la montée du chômage de longue durée. En substance, l’auteur montre plusieurs choses :

  • plus la désinflation est importante, et plus la croissance du chômage sera durable ;
  • plus les périodes de désinflation sont longues, et plus la hausse du chômage est importante ;
  •  enfin, et cela n’est pas directement lié à l’inflation, plus les périodes d’indemnisation du chômage sont longues, et plus l’augmentation du chômage est importante.

 

La désinflation compétitive a des limites bien identifiées

Au total, si le point de départ de la montée du chômage est lié à l’insuffisance de la demande (induite par les politiques menées), le maintien d’un chômage élevé se transformant en chômage de longue durée a un lien avec les systèmes d’indemnisation mis en place. Voilà de quoi méditer s’agissant de quelques pays de la zone euro, qui combinent chômage de masse, forte récession et forte désinflation / déflation. Au regard de leur situation actuelle, il est fortement préférable de cesser les politiques d’austérité déflationnistes, de mener des réformes structurelles, de miser sur des mesures de relance « budgétairement neutres » qu’accroître précarité et pauvreté et réduire encore salaires et indemnisations…

Relance de l’activité et réformes sur le marché du travail seraient donc les deux solutions-indissociables à mettre en place.

Tout cela ne signifie pas pour autant que la résorption du chômage soit une chose aisée. Le débat n’est pas simple du tout : derrière le problème de l’inflation se pose en réalité celui de l’endettement. Comment arriver à maîtriser ce dernier sans recourir ni à l’inflation, ni à la déflation, sachant par ailleurs que croissance et endettement sont intiment liés ? Voilà en réalité ce qui nous semble être la véritable question de fond.

Au final, on peut grouper les pays en plusieurs blocs :

  • ceux qui semblent en train de sortir de la « debt deflation », au prix de mesures non conventionnelles exceptionnelles comme les États-Unis ;
  • ceux qui conservent une croissance positive et un taux d’inflation proche voire au-dessus de la cible de 2 % : Allemagne, Pays-Bas, Autriche et Luxembourg ;
  • ceux qui sont encore au « milieu du gué », comme les pays de la zone euro, où le « deleveraging » se poursuit, et où les taux d’inflation sont en baisse depuis au moins 6 mois. Désormais entre 0 % et 1 % (Italie, France, Portugal, Chypre, Slovénie, Malte notamment) ou entre 1 % et 1.5 % (Slovaquie, Finlande, Belgique, Italie), c’est dans ces pays que la déflation menace ;
  • ceux qui, au sein de la zone euro, ont des caractéristiques de dépression (chômage de masse, baisse des taux d’épargne notamment) comme la Grèce, l’Espagne et le Portugal. Dans certains pays, le taux d’inflation baisse et y est même devenu négatif (Irlande et Grèce). L’Espagne a pour sa part un taux d’inflation encore au-dessus de 1.5 %.

 

Cet article est extrait d'une publication de la société de gestion Amundi Asset Management ("Cross asset investment strategy" de juin 2013). Il a été relu et édité par Morningstar.

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A propos de l'auteur

Philippe Ithurbide  est Directeur Recherche, Analyse et Stratégie d'Amundi.