Les craintes de bulle sont grandement exagérées

Les investisseurs craignent la résurgence de bulles à cause de l'action de la Fed, mais cela doit être relativisé, estime le Directeur de la recherche économique de Morningstar.

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Jason Stipp : Bonjour, je suis Jason Stipp de Morningstar.

Les marchés sont globalement bien orientés, avec de bonnes données dans le secteur de l’immobilier. Sommes-nous confrontés à un risque de bulle ? Pour éclairer ce débat, l’avis de Bob Johnson, Directeur de la recherche économique de Morningstar. Merci pour votre présence, Bob.

Bob Johnson : Ravi d’être ici.

Jason Stipp : Nous observons de bonnes performances boursières, des statistiques solides. Certains commencent à parler de surchauffe. Devrait-on parler de bulle dès à présent, et est-ce la bonne appellation ?

Bob Johnson : J’ai beaucoup de questions sur le sujet de la part de journalistes qui me disent que si la Fed se retire – en arrêtant d’acheter des obligations hypothécaires, et que les taux d’intérêt remontent – est-ce que cela ne va pas provoquer l’éclatement de bulles créées par la politique de la Fed ?

Ma réponse est que nous ne sommes pas vraiment en situation de bulle. La Fed a conduit une politique accommodante, mais une faible partie des liquidités injectées ont atteint l’économie réelle. Et lorsque je regarde à tout un ensemble de classes d’actifs, je n’ai pas le sentiment d’y observer une bulle, à l’exception peut-être des obligations.

Jason Stipp : Commençons par le marché immobilier. Les dernières statistiques Case-Shiller montrent une hausse de 11% sur un an. Certains évoquent une situation de bulle sur les prix de l’immobilier américain. Qu’en pensez-vous ?

Bob Johnson : Je pense que c’est un peu excessif. Je pense que les gens regardent beaucoup trop l’action de la Fed, toutes les bulles qu’ils ont créées et tous les marchés qui ont monté de manière artificielle. Mais lorsque vous regardez dans le détail, les choses ne montent pas tant que cela et nous ne sommes pas du tout en situation de bulle.

Jason Stipp : Quelles sont les raisons qui font que l’on est encore loin du pic sur le marché immobilier ?

Bob Johnson : Noussommes environ 20% en-dessous des précédents plus hauts. Entre temps, nous avons eu de l’inflation, une augmentation de la population et des taux d’intérêt très bas. Tout cela pourrait justifier des prix quelque-part proches du précédent [pic] chemin faisant.

Jason Stipp : Pensez-vous que le précédent pic soit un point de référence à utiliser aujourd’hui, ou est-ce quelque-chose que nous pourrions voir à l’avenir, dans un certain nombre d’années ?

Bob Johnson : Difficile de dire en quelle année nous reviendrons à de tels niveaux et combien d’inflation nous aurons dans l’économie d’ici là. Je ne pense pas que ce soit un bon point de référence, mais c’est un point que l’on peut regarder, parmi d’autres.

Jason Stipp : Qu’en est-il de l’accessibilité ? C’est un autre indicateur que vous suivez.

Bob Johnson : Oui, la National Association of Realtors publie une série de données qui comparent le prix moyen des maisons et le revenu disponible correspondant. Plus le rapport des deux est élevé, plus les maisons sont abordables. Typiquement, l’indice d’accessibilité se situe entre 1,2 et 1,4 fois le revenu disponible, et il peut descendre à 1, et actuellement se situe à 2x au cours des derniers mois, et cela est une très bonne nouvelle ; cela signifie que l’immobilier était particulièrement accessible. Nous sommes revenus vers 1,9 fois. Donc nous sommes encore dans une situation où les Américains peuvent s’offrir une maison.

Jason Stipp : Vous avez également comparé l’indicateur d’accessibilité aux Etats-Unis avec d’autres pays développés ?

Bob Johnson : Aux Etats-Unis, le prix des maisons représente environ 3 fois le revenu disponible, alors que dans le reste du monde, le ratio est plutôt de 5 fois. Vous avez des cas extrêmes comme Hong-Kong, où le ratio est de 13 fois. Au sein des marchés anglo-saxons, les Etats-Unis font partie des marchés les plus abordables, même comparé au Canada, qui était d’habitude le pays meilleur marché.

Jason Stipp : Venons-en aux matières premières. Au regard des stimulus en place, certains ont pu penser que les matières premières pourraient connaître une situation de bulle qui soit hors de contrôle. En tant qu’actif réel, les gens devraient placer leur argent sur cette classe d’actifs lorsqu’ils craignent une dévaluation monétaire. Est-ce ce que l’on observe ?

Bob Johnson : Pas vraiment. Le cours du pétrole a reculé dernièrement. Le prix du soja ou du blé est également en repli, après l’annonce de bonnes récoltes en Amérique du Sud et de plantation aux Etats-Unis. Si vous regardez la performance de quelques grands fonds matières premières, leur baisse atteint 5% en moyenne depuis le début de l’année.

Cette classe d’actifs est loin d’être en situation de bulle. En 2011, j’écrivais que la Fed contribuait à la formation d’une bulle. Mais, depuis, les forces de l’offre et de la demande ont pris le dessus et le cours des matières premières connaît un mouvement de baisse. Difficile d’évoquer une situation de bulle.

Jason Stipp : Que peut-on dire de la situation des marchés actions ? Ces derniers ont dans l’ensemble bien progressé depuis le début de l’année, et ce malgré quelques pics de volatilité. La valorisation des actions est-elle proche d’une situation excessive ?

Bob Johnson : Je pense que la situation est encore acceptable. Les actions ne sont pas aussi bon marché qu’elles le furent récemment. En période de récession, vous pouvez observer une chute de 60% voire 70% des ratios de valorisation, alors qu’actuellement, les marchés sont juste au niveau de leur juste valeur telle que déterminée par l’actualisation des flux de trésorerie. Clairement, nous ne sommes plus dans une période de marchés actions bon marché, mais leur valorisation est raisonnable. Là encore, on ne peut pas parler de bulle.

Jason Stipp : Quelques segments de la Bourse peuvent apparaître chèrement valorisés, comme les REITs. Qu’en pensez-vous ?

Bob Johnson : Cela pourrait être le cas. Les investisseurs en quête de rendement ont pu facilement se diriger vers ce type de titres, et lorsque l’on regarde au graphique du ratio cours sur juste valeur par secteur, c’est sans doute l’un des secteurs les plus chèrement valorisés.

Jason Stipp : Les actions japonaises ont également enregistré des performances remarquables – avec un bond atteignant 70% sur un an il y a peu de temps. Le marché japonais est-il en situation de bulle ?

Bob Johnson : Il y a beaucoup de choses qui bougent. Je ne vais pas commenter cette situation spécifique. Mais lorsque vous avez un marché qui bouge rapidement, là encore parce que les autorités locales ont adopté un programme d’assouplissement quantitatif pour relancer l’inflation et faire baisser leur devise – comme ce qui a été fait aux Etats-Unis – tous ceux qui pensaient que le marché n’avait guère de chance de repartir sont redevenus plus optimistes. Cela peut aussi être une source de volatilité. Je ne dirais pas qu’il est excessivement surévalué, mais que la situation actuelle présente de plus grands risques de volatilité.

Jason Stipp : Une question plus difficile, sur les obligations. Y a-t-il situation de bulle ? Cela ne ressemble pas aux bulles traditionnelles avec un excès d’enthousiasme et d’exubérance. Mais il semble que les valorisations semblent plus tendues.

Bob Johnson : A mon avis, il y a beaucoup d’acheteurs forces sur le marché obligataire. Je ne pense pas qu’on puisse parler d’exubérance, les gens achetant des obligations se disant, mon dieu, c’est une opportunité offrant beaucoup de valeur. Ils achètent parce que les alternatives ne sont pas attrayantes. Donc difficile de parler de bulle.

En même temps, l’écart de taux typique entre l’inflation et une obligation à 10 ans est compris entre 2% et 2,5%. En prenant le taux d’inflation du mois dernier, à 1,1%, qui n’est probablement pas soutenable, cela signifie qu’en ajoutant 2%, le rendement à 10 ans des obligations devrait se situer plutôt entre 3,1% et 3,6%.

Au cours des dernières semaines, le rendement est remonté de 1,7% vers 2,1%, 2,2% sur le 10 ans. Le mouvement est donc haussier, mais on est encore loin d’une situation normale dans la relation entre inflation et rendement obligataire à 10 ans. Evoquer une bulle n’est pas le terme exact, mais nous sommes bien dans une situation qui mérite un ajustement.

Jason Stipp : Pas beaucoup de situations de bulles dans les marchés, donc. Certaines classes d’actifs sont certainement plus tendues en termes de valorisation que d’autres, mais nous ne sommes pas dans une situation dangereuse , en particulier lorsque l’on évoque l’idée de bulle au sens traditionnel du terme.

Bob Johnson : Exactement.

Jason Stipp : Entendu. Bob, un grand merci pour votre présence et vos éclaircissements.

Bob Johnson : Merci.

Jason Stipp : Pour Morningstar, je suis Jason Stipp. Merci de nous avoir regardés.

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A propos de l'auteur

Jason Stipp  Jason Stipp is Site Editor for Morningstar.com