Inflation en Chine : encore un danger ?

Le point de vue d'Hervé Liévore, économiste spécialisé sur l’Asie et les matières premières chez AXA IM.

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Comme prévu, un fort ralentissement de l’inflation chinoise s’est produit en février, passant de 4,5% à 3,2%. 2012 s’annonce comme l’année du retour de l’inflation dans les limites fixées par les autorités monétaires. La stabilisation du régime d’inflation offre le double avantage pour Pékin de limiter les tensions sur le plan intérieur et de réduire le besoin d’apprécier le renminbi (RMB). A condition de ne pas ouvrir trop largement les vannes du crédit.

 

Trois décennies de réformes


Ces dix dernières années, le gouvernement chinois a été régulièrement confronté à des pics d’inflation, comme en 2004, en 2008 et plus récemment en 2011. A chaque fois, la riposte a consisté en un mélange de hausse des taux d’intérêt directeurs, de restrictions quantitatives sur le crédit et d’actions directes sur les prix des biens qui ont connu les plus forts emballements (les produits agricoles notamment). Toutefois, compte tenu des taux de croissance du PIB affichés par le pays, les poussées inflationnistes de la dernière décennie apparaissent relativement limitées, surtout comparées aux années 1979-1994.


Le régime d’inflation qui a prévalu pendant les années 80 et la première moitié des années 90 est en effet marqué par une tendance haussière très prononcée et des cycles d’inflation très violents. De moins de 5% à la fin des années 70, l’inflation a culminé à 25% en 1994. La libéralisation progressive des prix à la consommation et la régulation très inefficace de l’activité de crédit au cours de cette période en expliquent les fortes pressions inflationnistes. L’encours des crédits a ainsi progressé de 46% en une seule année (1993).


Vers 1993-94, la fin du programme de libéralisation des prix a coïncidé avec une série de réformes structurelles qui vont altérer durablement le régime d’inflation chinois. Citons notamment la scission des banques d’État entre activités commerciales et de crédits liés à la politique du gouvernement, la réforme fiscale de 1994 qui a concentré les recettes fiscales sur le gouvernement central, l’unification des marchés de change et, enfin, la restructuration du secteur d’Etat entre 1995 et 2000.

La restructuration du secteur d’Etat, notamment dans l’industrie, s’est traduite par la fermeture des « entreprises »  non rentables et par la baisse drastique des effectifs dans les autres. Outre une montée assez nette du chômage, cette politique s’est traduite par une hausse de la productivité bien plus rapide que celle des salaires. L’industrie chinoise a donc pu afficher des baisses de coûts salariaux unitaires (CSU) significatifs pendant un peu moins de dix ans, avec une inflation ramenée à zéro, voire négative certaines années.


La hausse des CSU (4,6% par an depuis 2002 en moyenne) a de fortes chances de se poursuivre dans les prochaines années. La résorption de la main-d’œuvre rurale excédentaire (conséquence du vieillissement de la population et de la hausse des revenus agricoles) se traduit par une plus grande élasticité de l’offre de travail par rapport aux prix, c’est-à-dire que les entreprises doivent utiliser le levier des salaires pour stabiliser (aussi bien les travailleurs migrants qu’urbains) leurs effectifs, nonobstant les 13% de hausse annuelle des salaires minimums voulus par le gouvernement jusqu’en 2015.

L’inflation comme alternative à l’appréciation de la monnaie ?


Le régime d’inflation prévalant aujourd’hui s’inscrit dans la continuité de celui qui a débuté dans la seconde moitié des années 90. La tendance est toujours haussière mais sur une pente nettement inférieure à celle du régime d’inflation des années 1980-94. L’amplitude du cycle inflationniste est également plus faible (Figure 2). L’enjeu pour Pékin est de parvenir à maintenir ce régime d’inflation basse, gage de stabilité sociale.


Il est généralement admis qu’un régime d’inflation basse est atteint lorsque l’inflation reste ancrée autour de 2% à 3% sur une longue période. Or, la moyenne des cinq dernières années en Chine a été de 3,7% pour l’inflation totale, et nous estimons que l’inflation restera en moyenne à ce niveau en 2012. Néanmoins, l’inflation sous-jacente sur ces six années devrait se situer un peu en-dessous de 1%. L’essentiel des pressions inflationnistes se concentrent, pour l’heure, sur l’alimentation et l’énergie et la hausse des CSU reste, jusqu’à présent, compatible avec un régime d’inflation basse.

Les choses pourraient cependant rapidement dériver si le gouvernement chinois venait une nouvelle fois à ouvrir les vannes du crédit pour parer tout risque d’atterrissage brutal. Les statistiques relatives aux deux premiers mois de l’année suggèrent en effet un ralentissement assez prononcé de la croissance au premier trimestre (nous tablons sur une hausse de 5,7% en variation trimestrielle annualisée) et une inflation en nette décélération. Un assouplissement de la politique de crédit est donc attendu, notamment via la baisse du taux des réserves obligatoires des banques. Les effets sur les prix pourraient se faire sentir dans le courant de l’été avec à la clé une recrudescence des pressions inflationnistes vers la fin de 2012.


Une appréciation plus rapide du renminbi permettrait-elle de prévenir, en compensant l’inflation intérieure par une moindre inflation importée, un retour de l’inflation (ou en tout cas de le retarder) ? Le gouvernement ne semble pas vouloir utiliser pleinement cette option. L’appréciation de la monnaie chinoise vis-à-vis de l’USD s’est en effet ralentie depuis la fin de l’année dernière et s’inscrit désormais sous le seuil des 5% l’an. La courbe est même plate depuis le début de l’année. La courbe des taux à terme s’est également aplatie, pour la première fois depuis 2002.


Si le marché semble jeter l’éponge sur la correction des déséquilibres extérieurs de la Chine par le taux de change nominal, c’est en grande partie parce que le rééquilibrage se produit sur le plan réel via la hausse du coût des facteurs (notamment les CSU). Le taux de change effectif réel est sur une pente haussière et le différentiel d’inflation entre la Chine et les Etats-Unis illustre ce phénomène.


La Chine doit donc manœuvrer habilement car la hausse des prix représente une alternative à la hausse du RMB pour réduire les déséquilibres extérieurs mais constitue également un facteur déstabilisant dans une économie où la rémunération de l’épargne est faible. L’objectif d’inflation de 4 % indiqué par Wen Jiabao pour 2012 constitue un bon compromis.
 

[1] On ne parlait pas vraiment à l’époque d’entreprise mais d’unité sociale de production dont les charges incluaient le logement, la couverture médicale et la retraite des salariés, ainsi que l’éducation des enfants.

 

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Les analyses publiées au sein de la rubrique Perspectives le sont sous la responsabilité de leurs auteurs. Si vous souhaitez apporter votre contribution à cette rubrique, merci de contacter Fréderic Lorenzini, Directeur de la Recherche.

 

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A propos de l'auteur

Morningstar Europe Editor  .