Inflation : un peu, beaucoup, pas du tout

En Europe continentale, la question de l'inflation n’est pas à l’ordre du jour.

Cyril Blesson, 02.01.2012
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Depuis le début de la crise à l’automne 2008, certains observateurs suggèrent que les Etats vont faire massivement tourner la planche à billet et éroder l’envolée des dettes publiques en générant une forte poussée inflationniste. Le scénario est séduisant alors que certains pays connaissent de réelles poussées d’inflation, comme le Royaume Uni dont la hausse des prix s’est établie à 5% (en rythme annualisé) en octobre dernier. Outre la hausse des prix de l’énergie commune à tous les pays développés, le pays a connu une hausse importante de la TVA répercutée sur les prix de détails. Mais surtout le Royaume Uni mène une politique monétaire pragmatique en réponse à l’envolée de son endettement privé puis public : une politique monétaire quantitative agressive pour peser sur les taux d’intérêt qui a fait baisser la valeur de la livre et a donc à générer un surcroit d’inflation importée.

Si la solution n’est pas forcément mauvaise, elle reste extrême car l’inflation ne se décrète pas facilement, et une fois revenue elle peut devenir hors de contrôle, selon l’image du Ketchup chère à JC. Trichet…Une solution à mi-chemin est de maintenir les taux d’intérêt réels très bas, et inférieur au taux de croissance du PIB en valeur, en jouant sur le niveau des taux comme le fait la Federal Reserve américaine (par le maintien durable des taux directeurs très bas et une politique de quantitative easing agressive).

Toutefois le risque de résolution par l’inflation des problèmes de dettes publiques et privées ne nous a jamais semblé crédible de ce côté de l’Atlantique, où la politique économique est clairement orthodoxe : réticences de la Banque Centrale à financer les Etats, cible d’inflation inférieure à 2,0%, focus sur la réduction rapide des déficits budgétaires dans un contexte déjà récessif de désendettement privé.

Ainsi, en partant d’une crise initiée aux Etats Unis en 2008, la zone euro se retrouve aujourd’hui menacée par le risque de déflation et d’éclatement. Non pas que les situations agrégées de ses finances publiques et comptes externes soient pires qu’aux Etats-Unis, mais parce que le pragmatisme politique n’y est pas de mise.

Les forces à l’œuvre dans l’économie européenne sont déflationnistes. Un détour par l’économie réelle et le système financier de la zone euro permet de dresser un constat sans ambiguïté : faire revenir une forte inflation en zone euro ne serait pas chose aisée comptes tenus des énormes surcapacités inemployées et de l’état affaibli de la création monétaire via le crédit. En clair, l’inflation ne se décrète pas, l’exemple japonais nous le rappelle : malgré une utilisation massive de la planche à billets, l’Archipel se débat depuis 15 ans avec la déflation.

D’où peut venir l’inflation ?

Première source : une demande largement supérieure à l’offre offrant un potentiel de hausses des marges tout au long des chaînes de valeur ajoutée. De ce point de vue, le fait que l’économie de la zone euro opère très en dessous de son niveau potentiel suggère que la capacité des acteurs à monter les prix de ventes de produits et services dans un contexte de concurrence exacerbée est limitée. La demande privée est soumise à plusieurs effets dépressifs : un désendettement privé significatif dans plusieurs économies de la zone, de faibles progressions salariales et une austérité budgétaire simultanée dans la majorité des pays de la zone qui comprime l’évolution des revenus disponibles après impôts et taxes. Enfin, les indicateurs d’activité avancés signalent une récession à venir en zone euro…

Deuxième source possible : des hausses de taxes (TVA notamment) sur les biens de consommation, qui ont bien sûr un effet inflationniste assez rapide. Toutefois, les expériences passées (Japon, UK, Allemagne) ont montré que dans un contexte de faible progression de la demande (on rejoint ici le point 1), une part des hausses de TVA étaient absorbées par les marges. Au final, on estime qu’un point de hausse généralisée de la TVA dans le contexte actuel se répercuterait seulement pour moitié sur l’inflation des prix à la consommation.

Troisième hypothèse : une hausse des coûts de production provenant de hausses des salaires, de hausses de prix des matières premières (hausse sur les marchés mondiaux ou liées à une dévaluation). Certes les tensions sur les matières premières ont généré un peu partout une bouffée inflationniste importée, mais l’inflation sous-jacente (hors produits alimentaires, énergie, alcool et tabac) reste sous contrôle en zone euro (1,6% sur un an contre 3,0% pour l’indice d’ensemble), alors que les prix des matières premières ont connu une accalmie. Surtout, outre cette inflation importée, contre laquelle la BCE ne peut rien, les niveaux extrêmement élevés des taux de chômage limitent sérieusement le potentiel de négociation des salariés et donc de cercles vicieux inflation/rattrapage salariale comme dans les années 70. Les salaires représentent les trois quarts des coûts des entreprises européennes.

Quatrième piste : une création monétaire excessive, c'est-à-dire non génératrice d’investissements créateurs de capacités de production supplémentaires. On parle beaucoup de la fameuse planche à billet, qui tourne pour octroyer aux systèmes bancaires les liquidités qui leur font défaut sur les marchés interbancaires. Pour autant comme nous l’avons déjà écrit dans ces colonnes, ce qui compte ce n’est pas seulement l’injection de monnaie Banque centrale mais la démultiplication de cette dernière via le crédit bancaire, qui fonde en temps normaux l’essentiel de la création monétaire. Avec la crise politique et financière à l’œuvre en zone euro, la très faible croissance de la masse monétaire en zone euro va à nouveau ralentir (voir encadré).

La BCE convient d’un faible risque inflationniste mais traîne encore les pieds pour combattre agressivement le risque de déflation. Après ses étonnants relèvements de taux directeurs de 1,0% à 1,50% début 2011, la BCE a enfin opéré un revirement et entamé un mouvement de baisse de ses taux directeurs en Novembre (1,25%), qu’elle devrait poursuivre vers des plus bas historiques. Elle accompagne son geste de ses mots : « Bien que l’inflation soit restée élevée et restera probablement au-dessus de 2,0% pour les mois à venir, les taux d’inflation devraient baisser sous les 2,0% courant 2012. En même  temps, le rythme sous-jacent de l’expansion monétaire continue d’être modérée.»

Nous sommes d’accord, et ajouterions que le risque majeur pour la zone euro aujourd’hui est la déflation, surtout si aucun prêteur en dernier ressort n’intervient auprès des Etats solvables pour se substituer à des marchés pris d’un accès de panique. Car les niveaux des taux d’intérêt sur la dette de certains états solvables de la zone, sont devenus malheureusement insoutenables à terme. La panique financière actuelle pourrait devenir auto réalisatrice et précipiter l’insolvabilité…Et des défauts massifs d’états importants de la zone euro, en dégradant massivement les bilans bancaires, créeraient des forces déflationnistes massives que seul un éclatement de la zone euro et son cortège de dévaluations significatives de la plupart des pays pourraient contrecarrer.

ENCADRE

Trappe de liquidité

3 ans après la faillite de Lehman Brothers, la croissance de la masse monétaire en zone euro reste très faible (3,1% sur un an) relativement à sa tendance de long terme proche de 7,0%. Certes la masse monétaire émise par la banque centrale est plus dynamique mais le crédit au secteur privé est lui très atone avec une progression de seulement 1,6% sur un an. Et une rechute est à présent envisageable.

Pourquoi ? D’abord les taux d’intérêt remontent fortement dans la plupart des pays de la zone euro. Ensuite, la réticence du secteur privé à s’endetter reste élevée et s’accentue actuellement avec une montée des comportements de précaution des entreprises et des ménages.   Ensuite, le secteur bancaire de la zone euro, fragilisé encore un peu plus par la crise des dettes souveraines et subissant une envolée du coût d’accès aux ressources sur les marchés, durcit à nouveau ses conditions d’octroi de crédit.Pour couronner le tout, la nouvelle régulation bancaire Bâle III, génère encore un peu plus de freins à la production de crédit bancaire.

Dans ce contexte, la masse monétaire élargie, qui inclut non seulement la monnaie banque centrale mais aussi la création monétaire via le crédit bancaire, reste faible. Ainsi les multiplicateurs de crédit bancaire en zone euro, que mesure le rapport entre la masse monétaire élargie et la monnaie banque centrale (M3/ base monétaire) restent très faibles et vont probablement rechuter encore plus dans les mois à venir. Si cela rassure sur les risques inflationnistes  liés à une excessive création monétaire dans la zone euro… cela accentue nettement  les risques déflationnistes.    

Cet article a été initialement publié dans le magazine Morningstar Professional de décembre 2011.

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