Quand l’alternatif prend des airs de conventionnel

En élargissant la base des actifs éligibles, UCITS 3 a ouvert la voie à la convergence entre gestions conventionnelle et alternative. Jusqu’à un certain point…

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Même si de vraies disparités subsistent, la convergence entre la gestion dite conventionnelle et la gestion alternative franchit des étapes. Côté gestion alternative, l’émergence des « newcits » (fonds alternatifs opérant dans le cadre réglementaire de UCITS III) en est un des aspects les plus visibles, avec ce qu’elle implique, par exemple, d’ouverture de ces produits à un plus grand nombre d’investisseurs, ou de modifications des règles d’éligibilité de ses fonds. Parallèlement la gestion conventionnelle « de bon père de famille » s’est elle aussi émancipée du cadre étroit que lui fixait une vision de type « long only ». L’alternatif veut se démocratiser en se fixant de nouvelles règles, le conventionnel s’ouvre aux risques. Jusqu’où va l’exercice ?

Couverture et prise de risques

En gestion conventionnelle, l’introduction de stratégies de couverture du risque de marché a implicitement donné le feu vert aux gérants pour une prise de risques plus importante. «Depuis longtemps des gérants avaient recours à des futures sur indices, tout simplement pour gérer leur poche de cash, gérer les flux d’entrées et de sorties, explique Marc Fleury de Theam. Au milieu des années 2000, ils se sont aperçus qu’ils pouvaient aller plus loin. A partir des crises de 2007 ils ont  réalisé que pour s’en sortir il fallait être moins investi… ou être couvert du risque de marché ». Bref, les stratégies de couverture d’un portefeuille de type long à l’aide d’indices répondaient à la volonté tactique de se couvrir momentanément d’un risque, pas au souhait d’adopter une position structurellement directionnelle.                                                   

L’intention « bon père de famille » de départ a finalement cédé le pas à la possibilité de prendre plus de risques, puisqu’on savait les couvrir. Cette évolution, les acteurs de l’alternatif la constatent. Ainsi pour Benjamin Louvet, directeur général délégué de Prim Finance (société de gestion possédant à côté de fonds UCITS une gamme de FCIMT destinés à une clientèle d’investisseurs qualifiés), c’est l’évolution des marchés qui a conduit assez naturellement les opérateurs de la gestion conventionnelle à s’emparer d’outils jusqu’à une époque réservés à la seule gestion alternative : « on assiste à une accélération de l’information, les risques se rapprochent de plus en plus vite, d’où une plus grande difficulté de se cantonner à la gestion long only. Les outils de couverture du risque de marché apportent aux gérants une réactivité plus forte».

Quand l’alternatif devient « mainstream »

Pour ce qui est de l’évolution de la gestion alternative vers une certaine « démocratisation » de ces produits, le déclencheur en a été la crise de confiance de 2007-2008. Pointés du doigt, même si ce n’était pas toujours justifié, les hedge funds, y compris les fonds français de type ARIA, avaient besoin d’un changement pour que les investisseurs renouent avec la confiance. Ce changement a pris la forme d’une modification de leur norme d’éligibilité : ils pouvaient désormais s’appeler UCITS, une norme européenne couvrant un large spectre de produits. « On a assisté à une demande accrue de transparence » rappelle Eric Robbe, président de Laffitte Capital : à un moment où les suspicions touchent les investisseurs de plein fouet, le recours à UCITS rassure en apportant une cadre réglementaire et une plus grande transparence. « Alors que nous avions opté pour un fonds d’arbitrage ARIA EL, nous l’avons fait évoluer vers UCITS. Une modification qui impose plus de contraintes sur le middle et back office notamment, mais qui permet de normaliser ce fonds avec une norme européenne ouvrant ainsi ce produit à un panel plus large d’investisseurs. Si plusieurs fonds français ARIA ont opéré ce mouvement, ils n’ont pas été les seuls : des confrères sont passés de l’offshore (Bermudes, Caymans ) à l’onshore (Luxembourg et à l’Irlande)». Autant dire qu’on retrouve sous cette appellation UCITS une très grande diversité de produits, alors que l’ARIA EL français ne comptait qu’une poignée de produits.

Besoin de transparence

Actuellement, beaucoup de gérants alternatifs sont passés à UCITS et les gestions classiques ont adopté certains outils alternatifs, abolissant un peu les frontières fermées entre les deux univers. « Avec UCITS on assiste un peu plus à une convergence entre la gestion classique et l’alternatif » résume Eric Robbe de Laffitte Capital. UCITS, ce sont de nouvelles règles de gestion et d’éligibilité. Pour les investisseurs, ces nouvelles règles du jeu vont de pair avec un retour à la confiance. 

Le cadre réglementaire a changé, il doit notamment apporter plus de transparence, ce dont la gestion alternative avait besoin, au regard des investisseurs notamment institutionnels. « Il faut saluer la plus grande souplesse de la part des régulateurs, note Marc Fleury de Theam. Pour être UCITS, soit on en respecte les critères de diversification et de risques de contrepartie, soit on adopte une gestion en VaR. On peut mettre tout type de lignes dans les fonds tant qu’on a une VaR inférieure aux limites fixées par l’AMF. Il existe 2 types de formules : VaR 95% à 1 semaine inférieure à 5%, ou de façon exceptionnelle VaR 95% à 1 semaine inférieure à 10%. Mais dans ce cas, la part grand public a un minima d’investissement de 10.000 euros ». On l’a compris : UCITS, outre la souplesse de gestion, permet une distribution de ces produits non plus à un public strictement professionnel comme l’ARIA mais à une cible beaucoup plus large. Ici aussi il y a convergence : les produits alternatifs deviennent accessibles à « monsieur tout le monde », comme s’il s’agissait de gestion conventionnelle ! Ainsi le fonds Theam Harewood Euro Long-Dividend, classé dans la catégorie AMF « diversifié » est non seulement conforme UCITS mais aussi éligible au PEA, avec pour les particuliers, il est vrai, un minimum de souscription de 10.000 euros.

Restons lucides cependant : la convergence qui est en marche a ses limites. Tout n’est pas faisable dans le cadre fixé par UCITS et tous les produits alternatifs du marché ne peuvent s’en prévaloir. Diversification, règles de gestion, effet de levier et lock up marquent encore des différences.

L’alternatif est-il pour autant soluble dans UCITS ?

Ainsi chez Prim Finance, les choix de gestion très marqués de certains fonds ne pourront pas satisfaire aux normes UCITS. « Dans le domaine des matières premières, on est rapidement confronté à la contrainte, légitime, de diversification imposée par UCITS, témoigne Benjamin Louvet, on regarde aussi le degré de corrélation entres les matières premières. » Ainsi les fonds Prim Gold et Prim Energy ne sont pas suffisamment diversifiés au regard de UCITS. « En outre, les futures sur matières premières exposent à un risque de livraison, ce n’est pas la même chose que le risque de contrepartie inhérent à un swap de performance ».

La diversification semble être la contrainte sur laquelle butent  les opérateurs. Ainsi Marc Fleury de Theam estime que beaucoup est possible avec UCITS, à condition que la contrainte de diversification soit respectée de manière incontournable. « Dans le cadre d’une stratégie sur les émergents, nous avons voulu faire un swap sur un sous-jacent particulier. L’AMF a considéré que cela nuirait à la diversification et n’était donc pas conforme à la directive UCITS ». D’une manière différente, Emmanuel Martin, directeur de la gestion chez Acropole, a rencontré la contrainte de diversification avec le fonds  Acropole convertible Arbitrage, un ARIA EL qui apparaît difficilement soluble dans UCITS. « Avec ce genre de fonds, schématiquement on achète la convertible, on vend l’action et on couvre le crédit avec un CDS pour jouer la volatilité implicite de l’option de conversion. Mais ce process n’est pas facile à transposer : en arbitrage de convertibles  les opportunités sont surtout sur les valeurs moyennes ; pour y arriver il faudrait vendre le sous-jacent via des swaps de performance ; mais sur ces produits, cela n’existe pas ou bien ils sont très illiquides ».

Contraintes techniques

Il faut aussi garder à l’esprit que UCITS impose un surcroit d’opérations en backoffice que toutes les petites sociétés de gestion alternative ne pourront probablement pas s’offrir. Un supplément d’ingénierie et de technicité est nécessaire comme en témoigne Eric Robbe de Laffitte Capital, « avec le statut de ARIA EL, on pré-emprunte via un prime broker. Dans le cadre UCITS, on ne peut pas emprunter. Pour répliquer un profil de position vendeuse on est alors obligé de passer par des equity swap et des CFD. Cela devient plus technique, mais pas nécessairement moins transparent ».

Autre contrainte de l’UCITS, le recours à un effet de levier limité, levier qui a fait la réputation de certains hedge funds. Ainsi Theam n’a pu transposer en UCITS son fonds Vol Edge qui recourt massivement au levier, « le fonds est lui-même très volatil, à 90%, cela n’est pas gérable en VaR même à 10%, le fonds est resté contractuel ».

Enfin, il reste également des différences en matière de lock-up (période durant laquelle les actifs sont indisponibles pour les souscriptions-rachats et qui peut courir de quelques semaines à plusieurs mois) qui permet aux gérants d’aller sur des actifs peu liquides (non coté par exemple) ou des montages qui ne peuvent pas se dénouer au pied levé.

Mais quelques soient les contraintes et limites d’UCITS rencontrées par les gérants, le cadre ne manque pas d’intérêt. « Le fonds UCITS permet aux investisseurs ayant délaissé la gestion à performance absolue, après la crise des sub-primes, d’y revenir explique Eric Robbe. Et pour ceux qui ne sentaient pas confortables avec les réglementations off shore, de progressivement se positionner sur des thématiques auxquelles ils n’avaient pas accès avant ».

Reste-t-il une place pour les « hedge funds » ?

Si la frontière entre les 2 gestions, alternative et conventionnelle, s’est pour partie estompée, elle s’est aussi déplacée. « Les notions de gestion traditionnelle en beta et de gestion alternative en alpha se sont rencontrées, résume Benjamin Louvet de Prim Finance. Désormais la ligne de démarcation se situe plutôt entre les grands établissements et les maisons de taille plus modeste qui seront à même de s’approprier ces outils et ces façons de faire». « Si on veut swapper contre une stratégie, prévient Marc Fleury, en UCITS, il faut être capable de contre-valoriser les actifs qui sont en portefeuille, et cela est difficile quand on est en OTC avec des sous-jacents très exotiques.». Bref, si UCITS a permis de démocratiser la gestion alternative auprès d’une plus large population d’investisseurs, pour les gérants, la gestion alternative demeure un savoir-faire qui ne s’improvise pas.

Il sera intéressant de voir sur le long terme, si les fonds de type ARIA résistent et retrouvent la confiance des investisseurs ou si leur intérêt est dilué par l’attractivité des UCITS. Et de voir jusqu’à quel point les investisseurs sont prêts, pour la sécurité apportée par UCITS, à abandonner certaines libertés qu’offrent traditionnellement les hedge funds. En particulier la liquidité : avec des fonds à liquidité quotidienne, sans lock-up, il est vraisemblable que les gérants sont moins enclins à prendre des risques et à devoir faire face, en cas de sous-performance momentanée, à des demandes de remboursement importantes.

Cet article a été initialement publié dans le magazine Morningstar Professional de septembre 2011.

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A propos de l'auteur

Frédéric Lorenzini

Frédéric Lorenzini  est Directeur de la Recherche de Morningstar France.