Inflation, amie ou ennemie des actions ?

Pour Charles Dautresme et Franz Wenzel, stratégistes chez Axa IM l’inflation constitue un risque pour les bénéfices.

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C’est à présent officiel ! Au cours de la dernière réunion du FMI, les hauts responsables financiers ont tiré la sonnette d’alarme sur le risque substantiel que l’inflation pourrait représenter dans les marchés émergents que pour les pays industrialisés, faisant d’elle l’ennemie publique N°1.

Alors qu’une accélération de l’inflation est clairement néfaste aux obligations, la conclusion est nettement moins simple pour les actions. Deux écoles de pensées s’opposent. En premier lieu, celle pour qui les actions sont des actifs réels, et donc constituent une couverture naturelle contre l’inflation, les bénéfices devant profiter à leur tour de la montée de l’inflation. Par conséquent, dans un modèle de valorisation simpliste actualisant les futurs profits/dividendes, l’inflation est prise en compte tant au niveau du numérateur que du dénominateur (habituellement un taux d’intérêt nominal). L’inflation est donc considérée comme négligeable. La seconde école insiste davantage sur le fait que 1) la hausse de l’inflation est néfaste car elle fait grimper le coût du capital et pèse donc sur les valorisations ; 2) l’incertitude économique s’accroît et poussera les investisseurs à demander des primes de risque plus élevées.

Dans ce commentaire, nous étudierons l’impact de l’inflation sur les bénéfices, la situation actuelle en termes de valorisation, et si des secteurs gagnants ou perdants se détachent dans un environnement inflationniste.

L’inflation fragilise la lecture des bénéfices

Même si à première vue les actions peuvent être perçues comme un rempart naturel contre l’inflation, nous pensons que c’est une approche un peu simpliste, notamment en ce qui concernent les bénéfices, n’allant pas au bout du raisonnement.

Plusieurs facteurs nous laissent penser que les valorisations se contracteront à la suite de l’envolée de l’inflation – les « vrais » bénéfices, ajustés des coûts directs et indirects que l’inflation fait peser sur les profits, devraient être inférieurs aux bénéfices réels, ajustés seulement de l’inflation :

1) Même si les entreprises arrivent à répercuter la hausse des coûts de production à court terme, il ne faut pas négliger la baisse de la demande qui en résulte. Cela est d’autant plus vrai pour les entreprises/pays ayant des coûts fixes élevés. Les variations de la demande ont un énorme impact sur les bénéfices.

2) Comptabilité/dépréciation : il serait raisonnable de penser que les actions offrent un refuge dans des périodes où les recettes et les profits fluctuent parallèlement à l’inflation. Cependant, la dépréciation des actifs n’étant possible que sur la base des prix historiques et non sur les « véritables coûts de remplacement », les bénéfices sont généralement surestimés en période d’inflation élevée/montante et inversement en périodes d’inflation basse/décroissante.

3) Comptabilité/stocks : même si les entreprises ont rationnalisé la gestion de leurs stocks, la hausse de l’inflation devrait peser sur la profitabilité, puisque les coûts des intrants des biens vendus auront augmenté au cours de la phase de stockage.

4) Imposition : comme nous l’avons mentionné ci-dessus, les bénéfices des entreprises sont généralement surestimés dans un environnement de hausse de l’inflation. Ce qui veut dire que le taux d’imposition effectif est lui aussi plus élevé.

Des valorisations loin de leur maximum

Quelle est la preuve empirique ? Comme le montre le graphique ci-après, la progression extraordinaire des multiples de 1980 à 2000 a été en partie l’œuvre d’une longue tendance désinflationniste. Le graphique montre l’inflation américaine en abscisse et le ratio cours/bénéfices en ordonnée. Nous pouvons y déchiffrer trois enseignements.

Premièrement, la montée de l’inflation autours de 4-5% est clairement néfaste et entraîne un net déclassement des actions. Une inflation dans une fourchette de 2 à 4% est le meilleur contexte pour les valorisations. L’argument désinflationniste a toutefois ses limites. Malheureusement, nous disposons de peu de données pour explorer l’impact sur les valorisations d’un contexte de déflation prolongée. Mais la logique économique voudrait que toute déflation durable ait tendance à induire une sous-estimation des actifs réels, car le coût réel de la dette augmente. La « décennie perdue » japonaise en est l’infortuné exemple.

Où en sommes-nous donc en termes de valorisations ? Aujourd’hui, la combinaison de 3% d’inflation aux Etats-Unis et de 14x les bénéfices 2011 nous indiquent clairement que les valorisations sont bon marché. Nous en concluons par conséquent qu’une hausse non négligeable de l’inflation semble déjà escomptée. Il va sans dire, toutefois, que des mauvaises surprises inflationnistes représenteraient un risque de déclassement supplémentaire.

Quelles sont les implications au niveau sectoriel ?

Comme nous l’avons vu précédemment, les valorisations ont tendance à se contracter lorsque l’inflation dépasse 4% aux Etats-Unis. Nous avons identifié quatre périodes au cours desquelles l’inflation a dépassé ce seuil. Evidemment, les deux chocs pétroliers en font partie, mais également la fin des années 80 et la période de 2004 à 2006, où la croissance, historiquement élevée dans les pays émergents et même dans des économies développées telles que les Etats-Unis, a engendré de fortes pressions inflationnistes. La période de la fin des années 80 s’est caractérisée par une forte croissance américaine, avec des taux d’utilisation de capacités atteignant des niveaux historiques.

 

Les deux premières périodes sont caractéristiques d’un choc d’offre, où il y a eu pénurie de pétrole, alors que les deux plus récentes périodes avaient connu des chocs de demande. Bien qu’il soit impossible d’isoler les effets d’une inflation excessive sur la performance sectorielle, nous avons cependant essayé de limiter le biais d’une régression vers la moyenne. Par conséquent, nous avons étudié la performance des secteurs 12 mois avant l’entrée en période d’inflation excessive et 12 mois après avoir atteint le seuil de 4%. Nous n’avons toutefois trouvé aucun élément permettant de valider l’hypothèse d’une régression vers la moyenne, comme en témoigne le tableau en annexe.

Lorsque l’on pense aux secteurs bénéficiant d’un contexte d’inflation excessive, ce sont les secteurs liés aux matières premières qui viennent en premier à l’esprit. Les matières premières sont considérées comme une couverture naturelle contre l’inflation. Par conséquent, les valeurs qui leur sont liées sont également perçues comme offrant une telle protection. Le secteur pétrolier & gazier a réalisé la meilleure performance au cours des quatre périodes, avant que l’inflation n’atteigne le seuil de 4%.

Dans ces périodes où ce seuil d’inflation a été franchi, le secteur des Materials n’a jamais été parmi les deux plus performants. De même, le secteur pétrolier et gazier n’a figuré dans le classement de tête qu’au cours des deux premiers épisodes. Le secteur des services aux consommateurs fait partie de ceux à éviter dans ce contexte d’inflation excessive. En effet, au cours des quatre périodes concernées, il a toujours fait partie des secteurs ayant réalisé la pire performance du marché. Cela semble contre-intuitif si l’on considère que les services devraient être les mieux placés pour répercuter la hausse des prix à leurs clients.

Les investisseurs craignaient une déflation il y a quelques mois, mais depuis le début de l’année, où l’inflation a franchi les 2%, le secteur pétrolier & gazier a réalisé la meilleure performance du marché, enregistrant une croissance de 10,9%, contre 3,8% pour le marché d’actions américain. Nous pensons que le secteur devrait continuer à surperformer dans les mois à venir.

Lorsque l’inflation atteint la barre des 4%, les secteurs défensifs et à haut rendement sont les mieux adaptés à ce contexte économique. Le secteur des télécoms fait partie des deux secteurs les plus performants dans trois des quatre épisodes que nous avons étudiés. En fait, il a presque figuré au cours du second choc pétrolier dans le duo de tête des meilleurs secteurs avec une baisse de 6%. Depuis le début de l’année, les télécoms ont sous-performé le marché, mais plus nous nous approchons du seuil des 4% d’inflation, plus nous croyons que ce secteur surperformera des secteurs plus cycliques, à mesure que la politique monétaire américaine se resserre et que la concurrence entre opérateurs téléphoniques devient moins dure avec l’acquisition de la branche américaine de T-mobile par AT&T.

Les avis exprimés dans la rubrique Perspectives n'engagent que leurs auteurs. Pour apporter une contribution à cette rubrique, contactez Frédéric Lorenzini, Directeur de la recherche.  

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A propos de l'auteur

Morningstar Europe Editor  .