Subprime : souvenir, souvenir

La quête de rendement pousse certains gérants à s'exposer à des actifs de moins en moins liquides. Une prise de risque excessive qui peut mal tourner.

Jocelyn Jovène 28.06.2019
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L’histoire ne se répète pas mais elle rime.

Les problèmes de liquidité de plusieurs sociétés de gestion (H2O étant la dernière en date) rappellent de manière diffuse, certes, la situation que l’on avait observée au cours de l’été 2007.

Oddo avait dû liquider précipitamment 3 fonds « monétaires dynamiques » (la banque sera sanctionnée par l’AMF à ce sujet). BNP Paribas avait peu après suspendu 3 fonds exposés à des actifs immobiliers américains titrisés (dont les prêts dits « subprime » en raison du profil risqué des emprunteurs), étant dans l’incapacité de les valoriser (une semaine après avoir assuré que l’exposition au risque du subprime était négligeable).

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Source : Morningstar Direct

Ces accidents industriels, relativement mineurs au regard de la taille du bilan des établissements concernés, étaient annonciateurs de problèmes d’ampleur beaucoup plus grave (faillite de Northern Trust quelques semaines plus tard, suivie d’autres chutes dont celle de Lehman Brothers ou d’AIG un an plus tard, marquant le paroxysme de la crise financière de 2008).

Aujourd’hui, les classes d’actifs concernées ont changé, les sommes en jeux semblent toujours limitées, mais les problèmes de fond demeurent les mêmes.

La recherche d’un surcroît de rendement pousse certains gérants à s’exposer à des classes d’actifs peu voire pas liquides – risque souvent signalé dans la documentation, mais que les investisseurs ont du mal à évaluer (ou font semblant de ne pas regarder).

Dans l’esprit de nombreux investisseurs, la relation semble logique : pour gagner plus, il faut risquer plus. Mais ce n’est pas une relation de causalité : ce n’est pas parce que l’on prend plus de risque que l’on aura forcément un rendement supérieur.

Les performances passées, la renommée et l’exposition médiatique de certains gérants de portefeuilles peuvent également contribuer à une plus grande prise de risque, reflet d’un biais d’excès de confiance.

Le manque d’analyse en profondeur des raisons de la performance de ces fonds, la distinction entre les différentes classes d’actifs et la manière dont elles sont valorisées (la norme IFRS 7 distingue les actifs de niveau 1, 2 et 3, ces derniers ne disposant pas de prix de marché observable), passent malheureusement au second plan.

Les investisseurs, victimes de certains biais psychologiques (comportement moutonnier), ont tendance à ne considérer que la performance passée ou la collecte quand ils « évaluent » un fonds. Quant à comprendre ou s’enquérir des raisons réelles du succès d’un fonds, c’est trop souvent secondaire.

Pourtant, depuis la crise financière de 2008, bien des choses ont changé. Du fait d’une réglementation plus contraignante, les banques ont réduit la voilure dans de nombreuses activités de marché et ne mettent plus à disposition leur bilan pour assurer la liquidité de certains instruments, car trop coûteux en capital.

Ce sont les gestionnaires d’actifs qui doivent désormais supporter ce risque. Cette évolution de l’industrie est connue depuis plusieurs années mais peu prise en compte par les investisseurs. Il faut généralement qu’un ou plusieurs incidents se produisent pour que l’on commence vraiment à s’en inquiéter.

Le sujet n’a pas échappé au régulateur. Le patron de la Banque d’Angleterre, Mark Carney, observait cette semaine cette apparente contradiction entre l’exposition de fonds ouverts à des actifs illiquides et le fait que ces fonds sont sensés assurer une liquidité quotidienne dans le cadre des normes UCITS.

Bien évidemment, tant que les investisseurs auront le sentiment que quoi qu’il arrive, les banquiers centraux sont là pour inonder le système financier de liquidités, il est probable que la prise de risque se poursuive.

Mais un certain nombre d’indices devraient appeler à plus de prudence. Par exemple, le fait que la Bourse américaine atteigne des plus hauts historiques quand les taux longs reculent, ou lorsque le marché intègre avec une quasi certitude une prochaine baisse des taux de la Fed (alors qu’il y a six mois elle parlait de stabilité de sa politique monétaire), sont l’illustration d’un environnement de marché paradoxal.

Le malaise est néamoins perceptible. Depuis le début de l’année (à fin mai), les fonds monétaires et obligataires ont collecté respectivement 392 et 194 milliards de dollars dans le monde, quand les fonds actions, alternatifs et flexibles ont subi des décollectes de respectivement 67, 37 et près de 3 milliards de dollars.

Dans ce contexte, aller chercher un surcroît de rendement dans des actifs illiquides (private equity/non coté, infrastructures, immobilier) uniquement parce que les taux sont bas semble une stratégie pour le moins risquée et trahit sans doute une forme d’exubérance irrationnelle (j’achète un actif car je parie que son cours va monter).

Que la reprise de l’économie américaine soit en passe de devenir l’une des plus longues de l’histoire du pays, que les banques centrales fassent toujours acte de présence ou que les conditions de financement soient très accommodantes ne justifie pas une prise de risque accrue ou de s'abstenir de faire attention au prix payé.

Comme le note Howard Marks, le patron d’Oaktree Capital, dans son dernier mémo : « au cours des années récentes, les Etats-Unis ont connu simultanément la croissance, une inflation faible, des déficits et un endettement en augmentation, des taux d’intérêt bas et des marchés financiers en expansion. Il est important de reconnaître que tous ces faits sont incompatibles. Ils n’ont pas co-existé sur un plan historique, et il n’est pas prudent de faire l’hypothèse que cela peut perdurer. »

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A propos de l'auteur

Jocelyn Jovène

Jocelyn Jovène  est le rédacteur en chef de Morningstar France.