L'Europe va-t-elle durablement battre Wall Street ?

Les actions européennes ont une carte à jouer, mais l'environnement des taux doit être surveillé de près.

Jocelyn Jovène 15.06.2017
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L’heure des actions européennes est-elle venue ? Certains courtiers semblent le croire, pointant la longue période de sous-performance des actions européennes par rapport aux actions américaines, qui serait achevée.

Et de rappeler qu’après une longue période de sous-performance depuis la crise financière de 2008, marquée certes par quels soubresauts de la part des actions européennes, la classe d’actifs devrait retrouver les faveurs des investisseurs grâce notamment au rebond des profits des entreprises, déjà observable au cours du premier trimestre.

Performance relative des actions européennes vs américaines

MSCI Europe vs MSCI USA 1969 2016

Source : MSCI, Morningstar

Cette observation appelle quelques bémols toutefois.

D’une part, si les actions européennes ont sous-performé, elles n’en ont pas moins progressé pour afficher un niveau de valorisation en ligne avec sa moyenne historique.

Prime/décote de valorisation Europe vs USA (Trailing P/E)

MSCI Europe vs MSCI USA PE Premium Discount

Source : MSCI, Morningstar

En relatif, les actions européennes sont moins chères qu’aux Etats-Unis (graphique), mais en absolu, leur valorisation est raisonnable au regard de profits qui n’ont pas rebondi aussi fortement qu’aux Etats-Unis, avec des niveaux de rentabilité aujourd’hui inférieur. Il y a bien décote de valorisation mais celle-ci reflète une moindre rentabilité des entreprises européennes.

La situation pourrait changer si celles-ci sont en mesure de profiter d’un effet de levier opérationnel plus important qu’outre-Atlantique (le levier opérationnel rapporte la variation du résultat d’exploitation à la variation du chiffre d’affaires).

D’autre part, les actions européennes sont largement surpondérées à l’échelle mondiale et actuellement, c’est plutôt le cash qui a la préférence de certains investisseurs, en raison d’opportunités d’investissement trop peu nombreuses.

Ce que l’histoire nous apprend

Pour prendre un peu de recul, nous avons regardé les différents épisodes de surperformance des actions européennes par rapport aux actions américaines, ainsi que les niveaux de valorisation au début et à la fin de ces épisodes.

Au cours des 40 dernières années, les actions européennes ont battu les actions américaines à douze reprises. La décote de valorisation des actions était en moyenne de 16% (sur la base des résultats passés) au début de la phase de rebond et de 0,2% à la fin de celle-ci.

Le plus gros mouvement de revalorisation s’est produit entre 1992 et 1994 (près de 63 points de pourcentage). Sur la période plus récente, la plus forte phase de revalorisation s’est produite en 2010.

Valorisation des actions européennes et américaines (Trailing P/E)

MSCI Europe vs MSCI USA table

Source : MSCI, Morningstar

Quels arguments pourraient conduire à un rebond plus soutenu des actions européennes ? Parmi les facteurs souvent cités, on retrouve l’accélération de la croissance économique dans le monde, qui tend à davantage profiter aux entreprises européennes (46% des revenus du Stoxx 600 sont réalisés hors d’Europe, avec des proportions encore plus importantes dans certains pays – cas de la Suisse, du Royaume-Uni, de la Suède ou des Pays-Bas).

Ensuite, les entreprises européennes affichent un niveau de frais fixes plus important qu’aux Etats-Unis, ce qui signifie qu’elles sont plus sensibles à l’accélération de leur chiffre d’affaires qu’outre-Atlantique (on parle d’un effet de levier opérationnel plus élevé, déjà évoqué précédemment). Selon les calculs de Goldman Sachs, une variation de 1% des ventes se traduit par une croissance des profits de 1,8% aux Etats-Unis et de 2,8% en Europe.

D’autres éléments peuvent aider les actions européennes à surperformer : la baisse de l’euro (qui s’expliquerait par le décalage entre les politiques monétaires de la Fed et de la BCE en matière de remontée des taux directeurs et de réduction de la taille de leur bilan) ; les effets sectoriels (poids de la technologie aux Etats-Unis ou des financières et des matières premières en Europe) ou encore les mouvements de flux, qui devraient plutôt jouer à court terme.

Bien sûr, tout l’argumentaire en faveur d’une surperformance des actions européennes s’effondre si Wall Street devait connaître une brutale correction. A court terme, ce scénario semble peu probable.

A moyen ou long terme, la performance des actions américaines s’est accélérée ces derniers mois sur l’espoir de la mise en œuvre par l’administration Trump d’un programme fait d’allègements d’impôts, de dérégulation, de réformes de certains programmes (l’Affordable Care Act étant sa principale cible) et de dépenses d’infrastructures.

Or cette politique a rencontré de sérieux obstacles, conduisant le marché à douter sérieusement de sa mise en œuvre effective. Les déboires politiques du président ne semblent pas inquiéter outre mesure les marchés – les indices de volatilité évoluant sur des plus bas historiques.

Mais un repli inattendu des marchés américains pourrait avoir des conséquences globales. D’autres facteurs d’incertitude pourraient aussi peser – incertitudes politiques en Europe, impact de la réduction de la taille du bilan des banques centrales, capacité de la Chine à contrôler le crédit sans faire dérailler une croissance fragile…

L’Europe a donc sans doute une carte à jouer dans les portefeuilles. Mais les investisseurs devront rester vigilants à un emballement des marchés qui pourraient conduire les actions vers des niveaux de valorisation intenables, au moment où les marchés de taux sont eux aussi appeler à connaître de profondes évolutions.

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A propos de l'auteur

Jocelyn Jovène

Jocelyn Jovène  est analyste financier senior et rédacteur en chef de Morningstar France.