Matières premières : un argumentaire d’investissement à revoir

La performance des contrats à terme sur les matières premières n’est pas dictée par les fondamentaux ou les prix au comptant, mais par la structure du marché.

John Gabriel 03.11.2015
Facebook Twitter LinkedIn

Cet article a paru dans l’édition du mois d’août d’ETFInvestor, une publication de Morningstar. Téléchargez un exemplaire gratuit d’ETFInvestor ici.

Quel serait le Saint Graal de la diversification des portefeuilles ? Une classe d’actifs capable d’assurer à long terme des rendements corrigés du risque semblables à ceux des actions, tout en entretenant une corrélation négative avec les performances des actions et des obligations. C’est précisément ce que les professeurs Gary Gorton et Geert Rouwenhorst (ci-après, « G&R ») semblaient avoir identifié dans leur étude phare, Facts and Fantasies about Commodity Futures.

Couvrant la période de juillet 1959 à décembre 2004, ce travail concluait que la prime de risque obtenue en investissant dans un panier diversifié de contrats à terme sur les matières premières pleinement garantis était très proche de la prime de risque historique des actions. Par ailleurs, les deux auteurs indiquaient que la volatilité de ces contrats à terme (mesurée par l’écart-type) était inférieure à celle des actions. D’après l’étude, ces meilleurs rendements corrigés du risque présentaient non seulement une corrélation négative avec les actions et les obligations, mais également une corrélation positive avec l’inflation non anticipée.

Malheureusement, ce qui semblait trop beau pour être vrai à l’époque pourrait bien n’avoir été, effectivement, qu’une illusion. Dix ans se sont écoulés depuis la parution de l’étude, qui avait fait grand bruit dans le monde de l’investissement. Nous disposons donc d’un certain recul pour examiner les performances des contrats à terme sur les matières premières au cours des années qui ont suivi la publication des travaux de G&R.

Il s’avère que depuis lors, les contrats à terme sur les matières premières ne se sont pas comportés tout à fait de la même manière que sur la période étudiée.

Plusieurs points clés susceptibles d’expliquer cette divergence doivent être soulignés. D’abord, à l’époque, les contrats à terme sur les matières premières étaient dans la majorité des cas moins chers que les prix au comptant (phénomène connu sous le nom de déport, ou « backwardation »). Par conséquent, la composante de rendement issue du renouvellement des positions futures (« roll yield ») était régulièrement positive.

Ensuite, le taux sans risque sur la période étudiée (représenté par le bon du Trésor à trois mois) était beaucoup plus élevé qu’il ne l’a été dernièrement. Ceci est bien évidemment d’une importance majeure en matière de rendement des garanties. Entre juillet 1959 et décembre 2004, le taux du bon du Trésor à trois mois s’est établi en moyenne à 5,6 %, grimpant jusqu’à 16,3 % au début des années 1980. Depuis la parution de l’étude, il s’est élevé à 1,34 % en moyenne.

Et pour donner quelques éléments de contexte supplémentaires, ce taux est aujourd’hui de 0,02 %, après avoir atteint en moyenne 0,06 % sur les cinq dernières années.

Rappelons que la performance des contrats à terme sur les matières premières se décompose en trois volet : (1) l’évolution du prix au comptant, (2) le roll yield et (3), le rendement de la garantie (nantissement) associée aux contrats à terme.

Bien que de nombreux investisseurs allouant une partie de leur portefeuille aux contrats à terme sur les matières premières pensent que l’évolution du prix au comptant constitue le principal facteur de performance, cela n’a pas été le cas historiquement.

En fait, le rendement des garanties constitue le premier moteur de la performance, suivi du roll yield, tandis que les prix au comptant érodent la performance totale. En 2008, une étude2 de Vanguard portant sur les sources de la performance du S&P GSCI de 1983 au 30 septembre 2008 avait montré que le rendement de la garantie comptait à hauteur de 6,4 points de pourcentage dans la performance annualisée de 7,1 % enregistrée par l’indice de référence sur cette période. Le roll yield représentait 3,3 points de pourcentage, tandis que les prix au comptant avaient eu une incidence négative de 2,6 points sur une base annuelle (6,4% + 3,3% -2,6% = 7,1%).

Il est essentiel de comprendre les composants sous-jacents des contrats à terme sur les matières premières (et leur impact sur la performance) pour pouvoir décider en toute connaissance de cause de s’exposer (ou continuer de s’exposer) ou non à la classe d’actifs.

Passé/présent : des différences fondamentales

Depuis le milieu des années 2000, les marchés de matières premières ont été la plupart du temps en situation de report (ou « contango »), tandis que sur la période de 45 ans étudiée par G&R, ils se trouvaient continuellement en situation de déport.

Selon la théorie du déport normal développée par Keynes3, il était raisonnable de partir du principe que le roll yield resterait un important contributeur aux performances totales. Les tendances prévisibles (telles que l’effet de saisonnalité) étant intégrées dans les prix des contrats à terme, l’évolution attendue des prix au comptant ne devrait pas être considérée par les investisseurs comme une source sûre de rendement.

Comme l’ont noté G&R, les écarts inattendus des prix au comptant par rapport à leur évolution escomptée sont, par définition, imprévisibles et devraient s’annuler dans la durée (un rendement attendu positif, ici, supposerait une capacité à anticiper systématiquement les mouvements du marché).

G&R ont donc établi que le rendement attendu des contrats à terme sur les matières premières revenait à ce qu’ils appelaient la prime de risque. Si le prix actuel du contrat à terme est inférieur au prix au comptant attendu (déport), l’acheteur du contrat obtiendra en moyenne une prime de risque. À l’inverse, si le prix du contrat à terme dépasse le prix du comptant attendu (report), la prime de risque ira au vendeur du contrat.

La théorie du déport normal part du principe que les producteurs de matières premières chercheraient à couvrir le risque lié à un écart inattendu entre les contrats à terme et les prix au comptant. Dans ces conditions, un producteur vendant des contrats à terme pour « verrouiller » les prix futurs obtient une sorte d’assurance contre le risque de prix.

Cette assurance est fournie par les spéculateurs qui achètent les contrats à terme en exigeant, théoriquement, que le prix du contrat soit inférieur au prix actuel au comptant, afin d’obtenir une prime de risque pour l’assurance qu’ils fournissent au producteur. La théorie du déport normal se fonde, soulignons-le, sur un autre postulat implicite : à savoir, que le nombre de producteurs en quête d’une couverture dépasse celui des spéculateurs présents sur le marché.

Conséquences involontaires (et largement inattendues) de la démocratisation des ETF ?

L’avènement des produits indiciels cotés adossés à des matières premières a élargi la base d’investisseurs dans les matières premières. Autrefois limitée aux rares fondations et fonds de pension investissant dans les premiers indices de contrats à terme, cette base intègre désormais un nombre considérable de particuliers et d’investisseurs institutionnels du monde entier.

Cette évolution pourrait avoir renversé la théorie de Keynes, les spéculateurs ayant afflué sur le marché au milieu des années 2000, c’est-à-dire à peu près au moment où G&R publiaient leur fameuse étude, sur fond de hausse pluriannuelle des marchés de matières premières (à l’époque, l’appétit de la Chine semblait insatiable).

Il y a peu de temps encore, les gérants de portefeuille et les particuliers se cantonnaient aux actions et aux obligations. De manière totalement séparée, les agriculteurs, les producteurs d’énergie et les arbitragistes des bourses aux marchandises dominaient les marchés de matières premières.

Au milieu des années 2000, les investisseurs ont commencé à investir et spéculer en masse sur les matières premières. En fait, durant cette période de croissance exceptionnelle, les flux financiers mensuels portant sur les matières premières étaient considérablement supérieurs à la valeur de la production physique. Il semble que ce phénomène ait pu avoir des conséquences non négligeables sur les rendements de ces investissements.

Rappelons que fin 2005, les investissements dans les ETP en matières premières cotés aux États-Unis s’élevaient à moins de 5 milliards de dollars. Cinq ans plus tard environ, à l’issue d’une période de croissance exponentielle, les actifs investis dans ces produits atteignaient quelque 125 milliards de dollars.

C’est à ce moment que les investisseurs ont commencé à se familiariser avec les termes de report et de déport, prenant conscience qu’il leur fallait adapter leurs attentes. Depuis son sommet d’août 2011, l’encours des ETP en matières premières connaît un déclin, du fait de rendements négatifs et d’un grand nombre de rachats. La décollecte a atteint plus de 22 milliards de dollars sur cette période.

D’après les données disponibles, il semble raisonnable d’avancer que, du fait du nombre considérable d’investisseurs dans les indices de matières premières, l’intérêt financier était devenu trop important par rapport au marché physique, créant une demande long-only excessive, qui ne pouvait investir que dans les contrats à terme.

Ce type de demande entraîne une hausse des prix des contrats à terme par rapport à leur valeur attendue, aboutissant à une situation de report extrême et persistant.

Si les acheteurs de contrats à terme avaient plutôt investi dans des matières premières physiques, les prix au comptant seraient montés en flèche à mesure que l’offre, en quantité limitée, aurait été amassée et stockée.

En réalité, comme les contrats à terme sont généralement vendus avant leur expiration et que le produit de leur vente est réinvesti dans le contrat suivant, les prix des contrats à terme dépassent en permanence le prix au comptant augmenté du coût de portage.

En vertu des règles économiques de base, les arbitragistes devraient intervenir pour stocker les matières premières physiques et se positionner du côté court de la transaction. Mais les sites de stockage sont peu nombreux et font souvent l’objet de réglementations de la part des gouvernements.

C’est pourquoi nous assistons à des scènes étranges de navires pétroliers, habituellement destinés au transport, immobilisés dans des ports où ils servent d’installations de stockage. Une fois que les investissements financiers dépassent les stocks disponibles et les capacités de stockage, les arbitragistes ne peuvent plus couvrir parfaitement les positions courtes sur les contrats à terme.

Les pressions exercées par les positions long-only entraînent alors une montée des prix à des niveaux supérieurs à ce que les fondamentaux du marché laisseraient attendre.

Des attentes à revoir

Compte tenu de l’inversion de tendance qu’a connue le marché des contrats à terme sur les matières premières au cours des années passées, il pourrait être utile de reconsidérer l’intérêt des matières premières en tant qu’investissement à long terme. Chacun sait que celles-ci ont traversé une période difficile ces dernières années.

Les contrats à terme sur les matières premières offrent-ils encore un avantage en termes de diversification des portefeuilles ? D’après les données actualisées sur les corrélations, il semble que les matières premières ne constituent pas un outil de diversification si efficace. Outre les chiffres fournis par G&R, le premier tableau ci-dessous présente les corrélations sur les décennies précédant et suivant la publication de l’étude.

Pour évaluer l’impact sur un portefeuille, j’ai pris pour base un portefeuille hypothétique 60/40 et je l’ai comparé à des portefeuilles similaires comportant une allocation aux contrats à terme sur les matières premières. Les résultats parlent d’eux-mêmes : sur les 15 dernières années, une allocation aux matières premières a généralement abouti à des rendements plus faibles et à un risque plus élevé.

L’étude concluante de G&R couvrait une période caractérisée par des roll yields positifs et un rendement élevé des garanties. La situation est aujourd’hui tout à fait différente : les roll yields sont devenus négatifs ces dernières années et les rendements des garanties sont pratiquement nuls du fait de taux d’intérêt proches de zéro.

En outre, l’augmentation des corrélations au cours des années passées a réduit les avantages potentiels en termes de diversification. En définitive, sauf à imaginer un retour à une situation de « déport normal » durable, les contrats à terme sur les matières premières pourraient avoir perdu l’attrait qu’on leur prêtait autrefois.

 

 

Facebook Twitter LinkedIn

A propos de l'auteur

John Gabriel  John Gabriel is an ETF strategist with Morningstar and contributor to Morningstar ETFInvestor. Click here for a free issue.