Le poids des mots

Le langage que nous utilisons avec les autres a un fort impact sur la façon dont nous sommes perçus et sur le succès de nos interactions. Il en va de même en finance.  

Valerio Baselli 28.08.2015
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« Les mots sont importants ! », criait un furieux Nanni Moretti contre une journaliste coupable d’utiliser des termes imprécis et des anglicismes inutiles, dans une scène désormais culte du film Palombella rossa.

Le langage, le choix des bons vocables et expressions, peut aussi faire la différence dans le domaine de l’investissement. C’est ce que confirme une récente analyse publiée par l’UCLA, l'Université de Los Angeles.

Selon cette étude, la façon même dont une personne parle du temps qui passe pourrait affecter son approche en matière de décisions financières. Certaines langues, comme le français, utilisent conjugeunt les verbes au futur (« demain il pleuvra »), quand d’autres ne le font pas. En chinois, on continue à utiliser la forme présente pour une action qui va se produire dans l’avenir (« demain il pleut »).

D’après Keith Chen, auteur de l’étude, les personnes dont la langue utilise plus fréquemment la conjugaison au futur ont tendance à épargner moins que celles qui parlent une langue où on utilise la forme au présent. Cela serait dû à la distance psychologique qui vient du fait d’utiliser les verbes au futur. A l’inverse, le fait de ne pas avoir des différences sémantiques entre le présent et le futur rend psychologiquement les deux actions moins distinctes, plus cohésives.

Un simple exercice permet d’illustrer cette différence subtile: au lieu de dire « je rebalancerai mon portefeuille en avril », il faut dire : « je rebalance mon portefeuille en avril ». Cet expédient mental présente l’avantage de remplacer une intention future, et donc incertaine, par la création immédiate d’un engagement mental précis.

Do you speak… ?

En confirmation que la langue affecte l’état d’esprit, l’Université de Chicago a publié plusieurs études où les sujets sont invités à prendre des décisions d'investissement basées sur un document exprimé dans une langue qu'ils parlent, mais qui n’est pas leur langue maternelle. Comparés avec ceux qui ont eu les mêmes options dans leur langue maternelle, ceux qui lisaient dans une langue étrangère ont généralement fait des choix plus prudents.

« Nous avons constaté que lors de l'utilisation d'une langue étrangère, les gens sont moins sujets à des erreurs émotionnelle », explique l'étude. « Les mots dans une autre langue ne comportent pas de la même profondeur et résonance émotionnelle, et, par conséquent, nos décisions sont moins sujettes à des réactions irrationnelles ».

Mieux vaut utiliser des mots concrets

Tout n’est pas uniquement une question de conjugaison des verbes ou de langue maternelle, mais aussi de choix des termes les plus appropriés. James Grubman, fondateur de la société de conseil Family Wealth Counseling, neuropsychologue avec plus de 20 ans d’expérience dans le domaine de la finance comportementale, a déclaré dans son dernier livre Strangers In Paradise: How Families Adapt to Wealth Across Generations que « ceux qui arrivent à arrêter de penser à l'argent seulement comme une source de revenus (income en anglais) et à commencer à le considérer comme une ressource (asset) sont ceux qui s’adaptent avec succès à la richesse et arrivent à la garder. »

Évidemment, un bon plan financier et de la discipline sont cruciaux pour investir ses économies avec succès. Cependant, cette différence sémantique est moins triviale qu’il n’y paraît à première vue. Les spécialistes des processus cognitifs commencent à s’intéresser à la manière dont les facteurs inconscients, par exemple, les subtilités de la langue, influencent la façon dont nous prenons des décisions financière.

Dans ce cas précis, Grubman explique comment income (revenu) est un mot abstrait, indiquant un mouvement, un flux d'argent qui rentre dans la poche. Inversement, assets (ressources, actifs) est un terme concret, solide. La pensée de perdre des actifs déclenche un sentiment de perte plus lourd de sens que celle d’avoir moins de revenus.

Ce n’est pas un secret : la façon de s’adresser aux autres a un fort impact sur la manière dont nous sommes perçus et sur le succès de nos interactions. Il en va de même en finance. La façon dont nous parlons et réfléchissons a également une grande importance.

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A propos de l'auteur

Valerio Baselli

Valerio Baselli  est éditorialiste sénior chez Morningstar.