Pas d’accélération de la croissance aux Etats-Unis

Pour Bob Johnson de Morningstar, la croissance réelle américaine devrait se situer vers 2-2,5%.

Robert Johnson, CFA 31.03.2015
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Les vues de Morningstar en résumé

La croissance économique des Etats-Unis devrait être plus faible que beaucoup ne le pensent, vers 2%-2,5%, mais suffisamment élevé pour créer des tensions sur le marché du travail.

Les développements les plus notables au cours du trimestre ont été le « QE » de la BCE, qui a provoqué une forte diminution de l’euro ; une croissance plus faible en Chine ;  une météo capricieuse (à nouveau) ; un ralentissement de la croissance des exportations américaines.

Les tensions sur le marché du travail montent, ce qui est une bonne nouvelle pour les ménages, mais cela pourrait se traduire aussi par plus d’inflation et une baisse des marges des entreprises.

Prévisions pour l’économie américaine

Notre prévision pour 2015 a peu changé depuis notre dernier rapport. L’économie américaine enregistrera 2% à 2,5% de croissance pour la quatrième année consécutive cette année. Le consommateur, qui représente 70% du PIB, sera le principal moteur. L’augmentation des revenus et la baisse du taux de chômage devraient voir la consommation des ménages s’accélérer par rapport au rythme de 2014, qui était de 2,5%. Les dépenses immobilières, qui n’avaient progressé que de 1,6% l’an dernier, devrait faire un peu mieux en 2015, même si la météo a pesé sur l’activité de début d’année.

Source: Morningstar.

L’investissement des entreprises avait cru de 6% environ en 2014 et devrait faire à peu près autant, voire un peu moins en 2015, les investissements liées au secteur pétrolier chutant fortement cette année. Les exportations nettes avaient pesé sur l’activité l’an dernier, du fait de conditions économiques mitigées et de la hausse du dollar. La situation risque d’empirer en 2015.

Les dépenses publiques avaient très légèrement pesé sur l’activité l’an dernier et vont sans doute avoir une contribution légèrement positive en 2015.

La BCE à l’action

Le premier trimestre 2015 a été marqué par le « Quantitative Easing » de la BCE, annoncé le 22 janvier dernier. Son programme représente environ 1 billion de dollars (1.000 milliards), soit l’équivalent du QE3 de la Fed.

L’Europe devrait faire mieux, puisque la baisse de l’euro jouera en faveur des exportations et la faiblesse des taux devrait se traduire par une croissance du crédit. Ajoutez à cela la baisse du prix de l’énergie, et il sera difficile à l’Europe de ne pas faire un peu mieux en 2015.

L’inflation salariale sur les écrans radar

Nous avons par le passé discuté de l’impact du ralentissement de la croissance démographique et de la diminution de la population active sur l’activité. Si la baisse des prix du pétrole a soulevé les craintes d’un risque déflationniste, les graines d’un regain d’inflation sont en fait déjà en place.

Les investissements des entreprises dans des solutions permettant des gains de productivité et l’évolution des comportements des salariés (certains acceptant de repousser l’âge de la retraite) pourrait remettre en question l’hypothèse d’une rareté du travail et des craintes de pression sur les marges.

La population active a ralenti de 1,8% dans les années 1950 à 0,7% actuellement, et devrait tomber à 0,5% au cours des prochaines décennies. Le potentiel de croissance économique sera donc atténué par ce facteur.

La rareté du facteur travail pourrait toutefois se faire sentir en 2015. Le nombre de résidents américains âgés entre 22 et 62 ans va décroître pour la première fois en 2015 après avoir cru de 1 million de salariés par an au tournant du siècle.

L’inflation salariale s’est retourné passant de -0,3% en 2011 à +1,2% en février (moyenne mobile sur trois mois). Cela ne semble pas beaucoup, mais les salaires réels ont augmenté de 0,7% par an au cours des cinquante dernières années, avec des variations annuelles comprises entre -3% et +4%.

Risque inflationniste en 2017

Une accélération des salaires serait une bonne nouvelle pour les ménages mais une assez mauvaise nouvelle pour les entreprises.

Cette tendance devrait également se traduire par une augmentation du rythme de hausse des prix à la consommation. La Fed est d'ailleurs plus susceptible de resserrer sa politique monétaire si la croissance des salaires est trop rapide.

Ce risque est sans doute plus élevé dans les années à venir que dans l'immédiat, lorsque l'économie approchera du plein emploi de ses capacités de production. Les données du CBO (graphique suivant) offrent une évaluation de la croissance potentielle américaine et pointent un risque de tension en 2017.

Depuis 2008, l'économie américaine évolue bien en-deçà de son potentiel, ce qui a comprimé le taux d'inflation, en dépit d'un pic d'inflation sur les prix des matières premières. Au pire de la crise, début 2009, "l'output gap" a atteint 7%, pesant sur la capacité des entreprises de relever leurs prix de vente.

L’écart s’est réduit à 2% et pourrait être proche de 0% en 2017. La réduction de l’écart s’est traduite par une accélération de l’inflation. Une récession de court terme, provoquée par des tensions géopolitiques, pourrait repousser l’échéance. Nous ne pensons pas qu’une inflation plus élevée soit une réalité dans l’immédiat, ni même une certitude, mais la probabilité d’une plus inflation plus forte est sans doute plus élevée que ce que n’anticipent de nombreux investisseurs.

Les prix des matières premières devraient se stabiliser

La chute des prix des matières premières a été une bonne nouvelle pour les ménages du monde entier, ainsi que pour les pays importateurs. Après un mouvement haussier qui a couvert la quasi-totalité de la décennie 2000, une tendance baissière s’est mise en place à partir de 2009. Le boom des années 2000 s’est expliqué essentiellement par le boom de l’investissement en Chine. Depuis la croissance a ralenti et la Chine cherche à réorienter son modèle économique et à avoir une croissance plus économe en ressources naturelles.

La récession mondiale a également contribué au recul du prix des matières premières. Le rebond de 2011 était plus le reflet de tensions géopolitiques momentanées. Depuis, le ralentissement de la croissance économique mondiale a plutôt pesé sur l’évolution des cours.

Les marges sous pression ?

Les profits des entreprises ont atteint 7,2% du revenu intérieur brut, près de leur plus haut historique. Les investisseurs pessimistes (« bears ») clament depuis des années que la seule direction des profits est désormais la baisse.

Nous avons ignoré cette prévision depuis 2010, estimant que la dynamique des profits américains est portée par le développement des services et la technologie. Un article récent écrit par Baijnath Ramraika et Prashant Trevedi d’Advisor Perspectives, suggère que d’autres vents de face pourraient peser sur les profits des entreprises américaines. Des taux d’intérêt faibles, un faible taux d’investissement, et une compression des coûts administratifs et généraux dans une logique de court terme ont alimenté la hausse des profits, pas un boom de productivité.

 

Une remontée des taux, l’accélération de l’inflation salariale, s’ils se concrétisent, auront des effets négatifs sur la rentabilité des entreprises. Les taux d’intérêt ont été l’un des principaux moteurs de la croissance des profits des entreprises américaines ces dernières années.

Du fait d’un large output gap, les entreprises n’étaient pas contraintes d’investir massivement dans leur outil productif, ce qui leur a permis de supporter de moindres charges d’amortissement. Avec l’augmentation des coûts salariaux, les entreprises vont sans doute devoir également investir davantage.

Les « bears » appellent à un retour à la moyenne de la rentabilité des entreprises depuis de si nombreuses années que les investisseurs ont eu tendance à ignorer leur alerte. Mais leur prévision pourrait bientôt être avérée. Il est difficile de prédire quand cela se produira, mais il semble bien que la course à la hausse des profits des entreprises américaines arrive en bout de piste.

Historiquement, on ne retrouve une pareille performance qu’entre 1960 et 1965. Bien sûr, cela s’était terminé de manière dramatique pour les entreprises et la Bourse américaines. Avec quelques années devant eux, entreprises et ménages ont sans doute le temps de s’ajuster progressivement pour éviter le pire. De même, le ralentissement démographique pourrait alléger une partie de la facture, que ce soit au niveau des marges et de l’inflation.

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A propos de l'auteur

Robert Johnson, CFA  Robert Johnson, CFA, is director of economic analysis with Morningstar.