Création de valeur pour l’actionnaire : une idée «stupide»

James Montier de GMO s'interroge sur les risques pour une entreprise et la société d'ériger en objectif ultime la création de valeur actionnariale.

Jocelyn Jovène 05.12.2014
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La théorie financière est remplie de notions et concepts qui prêtent facilement le flan à la critique (pensez à l’hypothèse des marchés efficients).

Les limites de la "SVM"

 

Dans sa dernière missive, James Montier, membre de l’équipe d’allocation d’actifs de GMO, estime que l’objectif de certaines entreprises de « maximiser la valeur actionnariale » (« Sharehoder Value Maximization » ou SVM) est sans doute l’un des plus stupides.

Pour Montier, non seulement cette notion ne produit pas toujours les effets escomptés, mais elle a des conséquences perverses à l’échelle de l’économie, contribuant par exemple à l’accentuation des inégalités de revenus.

La critique de cette théorie n’est pas nouvelle, elle a même été reprise par certains dirigeants d’entreprises (Montier cite Jack Welch qui l’avait qualifiée de « stupide »).

Parmi les éléments intéressants de sa note, Montier souligne le glissement sémantique de grandes organisations patronales et l’évolution du « mission statement » de grandes entreprises comme IBM, dont l’objectif était, à ses débuts (et par ordre d’importance), « 1) le respect pour les employés au plan individuel ; 2) le service apporté au client ; 3) atteindre l’excellence », pour devenir il y a encore peu « la satisfaction du client et la valeur actionnariale », puis plus récemment le seul doublement du bénéfice par action.

L’explication de ce glissement serait liée à l’évolution dans le temps de la façon dont les dirigeants d’entreprises sont rémunérés, et en particulier avec l’explosion des rémunérations sous forme de stock-options, mais aussi au fait que la durée d’exercice des mandats des PDG de sociétés cotées tend à raccourcir.

Risques pour la société

Cette obsession de la création de valeur actionnariale a également des conséquences au niveau macro-économique, explique Montier.

D’un côté, l’évolution du mode de rémunération des dirigeants a contribué à l’explosion des inégalités de revenus dans la plupart des pays développés. De l’autre, elle a pu inciter certains dirigeants à réduire leurs dépenses d’investissement (ce qui nuit à la croissance sur longue période), voire à avoir recours à l’endettement et à procéder à des rachats d’actions (généralement lorsque les cours de Bourse sont élevés, ce qui est un comble en matière d’allocation du capital).

De son analyse, James Montier tire plusieurs conclusions :

  • La maximisation de la valeur actionnariale n’atteint généralement pas son objectif et se traduit par une performance boursière décevante.
  • Le premier objectif d’une entreprise devrait plutôt être la satisfaction du client et le respect de ses parties prenantes (salariés, fournisseurs…) plutôt que le retour à l’actionnaire. C’est en faisant les choses dans cet ordre que les entreprises créent de la valeur pour leurs actionnaires.
  • Enfin, la maximisation de la valeur actionnariale place l’entreprise au centre de tout : son objectif n’est autre qu’elle-même, ce qui a des conséquences à l’échelle du reste de l’économie et peut conduire au désastre.

 

Cette note de Montier est d’autant plus intéressante qu’un certain nombre d’auteurs se sont concentrés sur les dirigeants qui créent réellement de la valeur pour leurs actionnaires sans le dire ou le clamer sur tous les toits.

Allocation du capital

La qualité principale qui distingue ces dirigeants d’entreprises du reste de leurs confrères tient dans leur capacité à allouer correctement le capital entre les projets de croissance interne, les acquisitions ou les rachats d’actions (le plus souvent lorsque le cours de Bourse est déprimé plutôt que l’inverse).

En 2012, William N. Thorndike Jr a publié l’ouvrage The Outsiders, où il raconte l’histoire de 8 dirigeants d’entreprises remarquables et sur la façon dont ils ont conduit ou conduisent leurs affaires. Parmi ces dirigeants, on trouve des noms très connus comme Warren Buffett (Berkshire Hathaway) ou John Malone (Liberty Media, DIRECTV), et d’autres sans doute moins du public, tels Henry Singleton (Teledyne), Katharine Graham (Washington Post) ou Dick Smith (General Cinema).

Pour Thorndike, ce qui distingue ces dirigeants des autres est qu’ils pensent comme des investisseurs plutôt que comme des managers. De surcroît ces sociétés sont généralement frugales en frais généraux, se focalisent sur la génération de cash… Leurs dirigeants ne succombent pas à l’impératif de communication avec Wall Street, délèguent beaucoup la gestion des opérations.

Ils préfèrent rester en retrait pour passer le plus clair de leur temps à comprendre leur environnement, se focaliser sur les décisions stratégiques et se tenir être prêts à agir lorsqu’une opportunité se présente (réaliser une acquisition ou  racheter leurs actions).

Et selon l’auteur de The Outsiders, cette approche en matière de gestion d’entreprise se traduit par des performances boursières remarquables pour les actionnaires. Pourtant, aucun de ces dirigeants n’a pour objectif premier la « création de valeur actionnariale », celle-ci n’est que l’illustration ou la conséquence d’une stratégie (et pas l’inverse).

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Valeurs citées dans l'article

NomValeurVariation (%)Notation Morningstar
Berkshire Hathaway Inc Class A617 283,99 USD0,99Rating
Berkshire Hathaway Inc Class B408,78 USD0,91Rating
General Electric Co150,19 USD1,44Rating
Graham Holdings Co700,75 USD-0,51
Liberty Formula One Group Registered Shs Series -B- Formula One60,00 USD2,55

A propos de l'auteur

Jocelyn Jovène

Jocelyn Jovène  est analyste financier senior et rédacteur en chef de Morningstar France.